Arte, peau de chagrin
Par Jean-Jacques Birgé, jeudi 1 juin 2006 à 07:11 :: Cinéma & DVD :: #140 :: rss
Comme ce matin dans la page Vous de Libération, notre opéra de lapins, Nabaz'mob, a les honneurs du site d'Arte, c'est sympa, ça nous fait plaisir, mais sur l'autre lucarne l'image est ternie. Arte n'est plus la chaîne qu'elle était, et encore moins celle qu'elle aurait pu devenir.
Je me souviens, cela avait commencé avec le logo dans le haut droit du cadre, une marque. Pour faire comme les autres ? Pour rameuter des spectateurs ? Peu importe. À l'époque, Jean-André Fieschi avait écrit que c'était comme porter une étoile jaune. Une fierté transformée en une terrible honte. Comment peut-on marquer ainsi un film, l'œuvre d'un auteur, fussent-ils diffusés dans leur version réduite au petit écran ? Cette tâche (in)dé(lé)bile est-elle encore une mesure de protection contre le piratage ? Chaque fois qu'on émet une critique sur la chaîne, on nous répond à voix basse que c'est à cause des Allemands. Les films étrangers passent en prime time en version française, c'est de la faute des Allemands qui n'ont pas autant l'habitude des sous-titres que les Français. C'est ainsi que petit à petit la culture déserte un des rares îlots de résistance de la télévision. On sait pourtant bien que ça passe par le langage. Déjà que Paris Première a été racheté par M6... On peut constater le gâchis. À propos des tentatives d'auto-dédouanement des responsables d'Arte, Fieschi rappelait le procès d'Arletty au lendemain de la guerre devant les tribunaux chargés de l'épuration. La comédienne à qui étaient reprochées ses relations intimes avec un officier de l'armée d'occupation répondit : "Monsieur le Président, encore ne fallait-il pas les laisser rentrer !".
L'idée était pourtant chouette, une chaîne franco-allemande, une manière de rapprocher les deux pays berceaux de la philosophie contemporaine. C'était sans compter l'effet entropique de toute entreprise qui décide de ne plus grimper aux rideaux, ça se casse la figure de l'autre côté de la fenêtre, ça dégringole jusqu'au trottoir. Ne soyons pas trop injustes, il reste quelques bonnes émissions l'après-midi ou tard le soir, quelques "habillages" inventifs, rare vestige du passé, mais la part des auteurs y est devenue portion congrue. La programmation populiste gagne chaque jour du terrain. Mauvais calcul, la chaîne n'en a pas les moyens financiers : qu'a donc Arte à gagner de jouer sur le même terrain que les grandes généralistes en perdant sa spécificité qui entraînait tant de passion ?
Le Net, à son tour, subira-t-il tant d'assauts envers son (contre)pouvoir qu'il perdra liberté (l'invention) et fraternité (le partage) au profit des services et des marchands ? On voit que partout il s'agit sans relâche de rester vigilants et de ne pas baisser les bras, tant qu'il reste un souffle de vie et d'espoir dans cet autre monde que celui du consensus.
Commentaires
1. Le vendredi 2 juin 2006 à 08:14, par glorb
2. Le dimanche 4 juin 2006 à 14:10, par muriel
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