Route One / USA
Par Jean-Jacques Birgé, mercredi 20 septembre 2006 à 08:36 :: Cinéma & DVD :: #264 :: rss
Dernier jour de l'été, dernière photo de La Ciotat prise au téléphone, la traversée de l'Atlantique déjà à l'esprit. On se croirait à Miami ou Los Angeles. Faux-semblant, vérité des aveugles, la température vient de chuter brutalement, on pense loin, ailleurs. Hier soir, je regardais la première partie du film de Robert Kramer, Route One / USA. Nous emprunterons un bout du trajet dans quelque temps. Sur son site, depuis le 10 novembre 1999, quelqu'un a rajouté le bouton Sortie, bifurcation prématurée, il avait 60 ans.
Kramer filme l'autre Amérique, celle dont on parle peu, parce qu'elle vit à l'ombre des autoroutes, le long des nationales. C'était il y a une quinzaine d'années. Kramer s'étonne que rien n'a changé depuis les années 70, mais rien n'a bougé depuis le tournage. La misère a continué d'être chassée du centre ville pour mieux se répandre dans ses banlieues. Fachos embrigadés par l'église, résistants dont les utopies se sont envolées, ghettos blacks, réserves indiennes... Le cinéma a pris soin de camoufler ce pays pour que le rêve américain puisse se perpétuer. Kramer est un militant armé d'une caméra. Il tourne en Super 16 qu'il gonfle en 35. Route One / USA, 4 heures, se retrouve en DVD (Éditions Montparnasse) avec Dear Doc, un court, lettre à son double, et un CD inédit, conçu pour l'occasion par le contrebassiste Barre Phillips à partir des prises non retenues qu'il a composé pour le film. Sur son clavier Michel Petrucciani égrène de tendres grappes, le percussionniste Pierre Favre colle ses timbres tout en couleurs, John Surman, à la clarinette basse ou au soprano, dessine de lyriques arabesques, tandis que l’archet ou les pizz mènent le bal...
La musique ne souligne jamais l'action. Elle prend ses distances. Recul nécessaire pour voir et comprendre ce qui nous pend au nez. Les musiciens improvisent, du presque rien n°1 à la composition. Daniel Deshays enregistre les musiciens qui jouent en regardant le film. Sur deux cents morceaux, soixante-dix-huit seront utilisés. Barre Phillips travaille avec Kramer depuis Guns en 1980, rencontré grâce à la comédienne Juliet Berto. À se battre sur tous les fronts, Kramer est forcément bien entouré. Son chef op, Richard Copans, tient le rôle de son producteur. Vieille amitié, la fidélité est l'apanage de l'engagement. Copans, qui dirige Les Films d'Ici, est aussi le producteur de Luc Moullet, tiens tiens...
Après la guérilla vénézuélienne, le Vietnam, la révolution des œillets, la chute du Mur, la mondialisation, le globe-trotter revient à la maison. Going home, pas going back home, juste un passage avant de reprendre son chemin. Le long de la route n°1, la plus ancienne des États Unis, du nord au sud, du Maine à la Floride, s'étalent trois cents ans d'histoire d'un pays jeune qui n'en finit pas de s'abîmer. Il ne vieillit pas prématurément, il meurt jeune, grillant ses cartouches à la conquête d'un Eldorado qui n'existe que dans les vapeurs de l'alcool, de la poudre, aux yeux ou dans le pif, dans ses écrans omniprésents qui infligent l'oubli. Récession, chômage. Tous les Américains semblent "de passage".
Commentaires
1. Le lundi 19 mars 2007 à 23:54, par Le Plume
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