70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 23 septembre 2006

100 lapins prennent la relève


En 1962, György Ligeti écrivait son Poème Symphonique pour 100 métronomes. En 1995, le sculpteur Gilles Lacombe mit au point un mécanisme qui en facilitera les représentations. C'est la version qu'Arte en proposa il y a une dizaine d'années (photogramme ci-dessus ; plus bas Ligeti et Françoise Terrioux par Markus Bollen).
Si Antoine et moi avons bien pensé à Cage, Nancarrow, Reich et Ligeti, en composant Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants, ni lui ni moi ne nous sommes rappelés le Poème Symphonique. Une centaine d'objets mécaniques ne peuvent pourtant pas tomber si facilement dans une faille de l'inconscient. Il nous semblerait juste aujourd'hui de dédier Nabaz'mob à l'un des plus grands compositeurs du XXième siècle, disparu le 12 juin dernier.
Très proche alors de George Maciunas et Nam June Paik, Ligeti était en pleine période Fluxus lorsqu'il composa le Poème. En lisant ses notes dans le livret du CD de l'Édition Sony, Mechanical Music, on apprend que les conditions de mise en place ne furent pas si différentes des nôtres : déballer les métronomes, dévider le mécanisme remonté à fond lors de la livraison, détacher les clefs colées dessous, etc. Pour Violet, c'est Maÿlis qui se charge de conformer tous les lapins. 100, ça fait du monde ! En 1963, la première représentation qui eut lieu à Hilversum aux Pays Bas fit un tel scandale que le film de l'événement programmé à la télévision hollandaise deux jours plus tard fut remplacé sans prévenir par un match de football. En composant ce happening, Ligeti "songeait à de nombreuses grilles superposées, des figures moirées, qui donneraient ensuite naissance à des structures rythmiques mouvantes... Une grille rythmique si dense d'abord qu'elle en paraîtrait presque continue : ce qui implique brouillage et désordre. Pour ce faire, il (lui) fallait un nombre suffisant de métronomes, le chiffre de cent ne représentant qu'une estimation... Le désordre régulier du début s'appelle en jargon de théoriciens de la communication (et en thermodynamique) une "entropie maximale". Les structures de grille irrégulières qui se mettent progressivement en place réduisent l'entropie, car l'uniformité initiale donne naissance à des organisations imprévues..."
Ligeti joue sur les différences de tempo et l'épuisement du remontoir qui ne laisse entendre qu'un seul métronome à la fin de l'œuvre. Nos lapins sont évidemment infatigables et leur partition est pour tous identique. Les décalages sont créés par les difficultés du wi-fi à envoyer l'information en même temps à tous, et l'entropie présente à la fin de chacun des trois mouvements provient d'une indiscipline informatique incontrôlable qui est le sujet même de notre opéra, le désir d'être ensemble et la difficulté pour y parvenir. Comme pour Ligeti, l'influence de John Cage est claire.

Pour New York, nous avons réécrit le troisième mouvement avec des percussions et des rythmes, histoire de construire un chaos ou de déconstruire la tentative de nos bestioles de s'organiser enfin. Il y a toujours une grande impatience chez les compositeurs qui ne découvriront leur œuvre que lorsque tous les interprètes seront réunis. La création au Centre Pompidou était frontale dans un dispositif de concert. Au NextFest organisé par le magazine Wired (Javits Center), la nouvelle version sera jouée en boucle pendant cinq jours dans un cylindre noir de dix mètres de diamètre. La proximité du public avec les lapins fera ressortir le dispositif acoustique des 100 haut-parleurs cachés dans le ventre de chaque Nabaztag...

Ben Laden, mort-né


Les agences de presse racontent que Ben Laden serait mort depuis quelque temps. Comment en douter ? Peu importe qu'il soit mort l'année dernière ou la semaine prochaine, Ben Laden ne pouvait (ré)apparaître sans mettre à mal l'intoxication de masse fomentée par le gouvernement américain. Dix ans agent de la CIA lorsque les USA soutenaient les Talibans contre les Soviétiques, il aurait retourné sa veste pour diriger la Jihad contre les mécréants de l'occident chrétien. On ne connaît de lui que des cassettes dont la mise en scène rappelle les plus mauvaises séries américaines, décor de carton pâte, texte récité, caricature pleine de contradictions s'il était censé suivre les préceptes que son interprétation de l'Islam lui ordonne. Quelle que soit l'efficacité de la plus puissante armée du monde (cough ! cough !), il ne pouvait apparaître au grand jour sans risquer de faire chuter le bel édifice de mensonges que l'on tente de nous faire avaler depuis cinq ans. Sa mort arrange tout le monde, les Américains comme les Arabes. Le diable ne parlera pas et le héros devient un mythe. Dans ce scénario catastrophe du plus mauvais goût, le terroriste Ben Laden était condamné à mort, depuis le premier épisode, par ses concepteurs-mêmes.

P.S.: Ben Laden ne sera officiellement mort que lorsque ceux qui l'ont nommé se seront trouvé un nouveau méchant.