mardi 31 octobre 2006
Libido de Brigitte Fontaine
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 31 octobre 2006 à 00:11 :: Musique
Un nouvel album de Brigitte Fontaine est toujours une aubaine. Libido est plus classique que les précédents, il renoue avec une certaine tradition de la chanson française tout en restant franchement barré. L'île Saint Louis n'est pas si loin de Saint Germain des Prés et Brigitte joue de plaisanteries grivoises en jonglant avec les deux siens. Oecuménique, peu lui importe le voile, elle le déchire et glisse sa voix devenue grave du quatuor à la guitare électrique, d'Areski à Vannier en gardant le jeune M comme fil rouge de sa combinaison noire. S'amusant d'un érotisme SM de pacotille, Brigitte semble débarrassée de sa fragilité. Elle mord, fouette et cravache, mais gentiment ! Les musiques d'Areski rappellent tendrement leurs débuts à tous deux, celles de Jean-Claude Vannier sentent un peu trop les années 60 et Mister Mystère est du M tout craché, inventif et bondissant. Le livret présente une BD de Cabine, style Guido Crepax, fidèles à leur rose bonbon.
La première fois, j'ai rencontré Brigitte en juillet 1970 à Biot Valbonne, elle était accompagnée par Earl Freeman, un grand bassiste black plutôt brutal. Six ans plus tard, nous participions à un festival de soutien à la clinique antipsychiatrique de Laborde où je rencontrai Bernard Vitet lors d'un mémorable concert d'Opération Rhino. Il y avait Pierre Clémenti qui jouait du sax en costume blanc à col mao. Les pensionnaires étaient indiscernables des soignants. Il régnait une ambiance de douce folie à laquelle je n'échappai pas, mais ça c'est une autre histoire. Nous avions fait une battue pour retrouver Brigitte qui s'était enfuie dans les bois. La troisième fois, Bernard était venue rejouer avec elle (il avait entre autres remplacé Lester Bowie juste après l'enregistrement de Comme à la radio), il y avait Moustaki à l'accordéon, Jean-Philippe Rykiel aux claviers, Areski, bien entendu, qui est toujours là pour Brigitte.
Mais la rencontre la plus mémorable fut évidemment l'enregistrement de Amore 529 pour le disque d'Un Drame Musical Instantané, Opération Blow Up, en 1992. Le premier rendez-vous fut manqué à cause d'un gros orage, Brigitte avait préféré aller se cacher à la cave. La seconde fois, elle avait souhaité "une grande voiture avec quelqu'un à l'arrière avec moi", ça tombait bien, j'avais déjà l'Espace, Bernard s'est assis à côté d'elle pendant le voyage jusqu'au Père Lachaise où j'habitais alors. J'avais composé un truc tout en douceur pour conforter sa fragilité lorsqu'entrant dans le studio elle annonça de but en blanc n'être plus branchée que par le rock 'n roll ! Catastrophe, cette fois c'est moi qui fut vraiment touché par la foudre. Je dus récrire un morceau en deux heures, programmer l'Atari, pendant que Bernard et Brigitte prenaient le thé à la cuisine. De son côté, elle avait rédigé, très vite comme toujours, de superbes paroles, autographiées dans le livret du CD :
Moment de flamme et de vigueur
et amitié jour intérieur
Serait-ce le sillon où se grave la vierge
ou le microsillon poussiéreux des concierges ?
Bernard à la trompette, tout en live sur deux pistes directes. Je marchais sur un petit nuage. L'ayant raccompagnée et dînant à la brasserie en bas de chez elle, j'écoutais Brigitte nous conter ses angoisses avec la lucidité des vrais souffrants. Elle l'avait toujours clamé, titrant même son premier disque solo : Brigitte Fontaine est... folle ! On l'adore...
P.S. : N'empêche, si vous ne connaissez-pas son album Comme à la radio (Saravah SHL1018), courez l'acheter illico, chef d'œuvre absolu de 1970, un peu comme Rock Bottom de Robert Wyatt, Escalator over the Hill de Carla Bley, Trout Mask Replica de Captain Beffheart, White Noise, Carnival de Wyclef Jean, Björk ou les Beatles, mais aussi les Kindertotenlieder par Kathleen Ferrier et Bruno Walter ou les quatre derniers Lieder de Richard Strauss par Lisa della Casa, la Callas dans La Traviata, et Brigitte Fontaine dans "Comme à la radio"...
Elle y est accompagnée par l'Art Ensemble of Chicago (Lester Bowie, Malachi Favors, Joseph Jarman, Roscoe Mitchell), Leo Smith, Areski, Jacques Higelin, Jean-Charles Capon, J.F. Jenny-Clark, Kakino de Paz, Albert Guez.