Voyager dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier nous a permis de trouver de la place dans un vol direct de la Thaï pour Bangkok. Dans l'avion personne ne se soucie de la date. Nous ne saurons jamais quel pays nous survolions lorsqu'y sonnèrent les douze coups de minuit. Manière amusante de fêter notre rencontre il y a cinq ans. Le mouvement de l'avion et celui de la planète produisent un glissement du temps dans l'espace que je n'arrive pas à contrôler. Où et à quel instant passons-nous à 2008 ? Arrivés, nous sommes accueillis partout un "Happy New Year" qui remplace le "Sawadee" habituel.


Difficile de se repérer dans le labyrinthe des "soi" de l'immense marché que représente Chinatown. À chaque coin de rue, les cuisines ambulantes nous proposent des plats que nous connaissons de Belleville et du XIIIème. Nous choisissons d'attendre le retour pour acheter tout ce qui nous éblouit, d'autant que nous ne savons plus où donner de la tête dans ses ruelles couvertes qui grouillent de monde et d'objets incroyablement bon marché. Bousculade. Les livreurs jouent de la trompe et de la sonnette. Les sacs en plastique pleins à ras-bord envahissent les arrière-boutiques. Nous mangeons pour 40 baths chacun, même pas un euro ! La chambre du New Empire Hotel dont Françoise a coupé l'air conditionné s'ouvre sur un bourdonnement de voix et de ruche urbaine. Au coucher du soleil, rouge comme il se noie, une nuée d'hirondelles vient crier devant la fenêtre et le premier moustique s'infiltre pour me souhaiter la bonne année de son dard arrogant.


Il paraît que les Thaïlandais ne sourient plus autant qu'avant. Avant la télévision et la publicité. C'est partout pareil. Les gens s'endettent pour posséder le nouvel objet dernier cri, un 4x4 flambant neuf, chromé, doré. Un je ne sais quoi qui pourra les pousser jusqu'au suicide si une peine de cœur vient s'ajouter à la course au fric. Chaque mois, il s'en précipite dans le vide depuis les toits des buildings qui grattent le ciel. Bangkok juxtapose la plus grande opulence et la misère des plus démunis dans le même espace. Le long des rives de la Chao Phraya alternent palais et taudis sur pilotis. On circule en bateau, en métro ou en SkyLine, en bus, en taxi ou en tuk-tuk, une petite voiture attachée à une moto. Cela dépend des quartiers. Les courses sont si bon marché qu'il serait stupide de s'en priver, souvent moins d'un euro. Il faut seulement réapprendre à marchander pour ne pas contribuer à une flambée des prix que les autochtones ne pourraient pas assumer. Parfois le chauffeur de taxi refuse de mettre son compteur en route et nous en redescendons aussitôt. La plupart ne connaissent pas la ville et ne savent pas plus lire un plan que le reste des Thaïs auxquels nous demandons notre chemin. Ils conduisent comme des fous. Certains n'ont pas de permis. Nous marchons aussi beaucoup. Une halte au Wat Pho nous donne quelque répit. Le Bouddha couché nous montre l'exemple. Quarante cinq mètres d'horizontalité avant d'atteindre le nirvana. Nos pieds réclament la réincarnation.


Nous reviendrons à Bangkok dans un mois pour y faire de dernières emplettes. Nous avons eu le temps de noter que l'on mange mieux dans la rue pour quelques centimes que dans n'importe quel restaurant indiqué par les guides. Autant manger au délicieux Lao Siam rue de Belleville ! La cuisine populaire des cantines et des marchands à la sauvette emportent par contre tous nos suffrages. Assis sur un tabouret, sur le trottoir ou dans le caniveau, nous nous régalons de fruits de mer, de soupe aux ailerons de requin, de nouilles et de rôtisseries. Le soir, les magasins ferment et laissent la place à de nouveaux commerces qui s'installent devant les vitrines désertées. Les rues sont métamorphosées, méconnaissables. L'agitation ne cesse jamais. Jour et nuit, Chinatown vibre d'activité. Nous nous laissons envahir par le vertige et le bruit.


Il faut venir à Bangkok les mains vides, sans valise et tout acquérir sur place. Se vêtir à Chinatown, au marché indien de Pahurat et surtout dans les shopping centers de Pattunat où les jeunes designers vendent leurs créations pour une bouchée de pain, entre un et quatre euros pour un haut ou un bas ! Éviter soigneusement Chatuchak Park qui ressemblent aux Puces de Saint-Ouen pour aller où se fournissent les habitants. D'ailleurs, c'est la règle que nous suivrons partout, fréquenter autant que possible les lieux désertés par les touristes pour privilégier les endroits où rencontrer les locaux. C'est là que l'on mange le mieux, là que l'on trouve des trucs invraisemblables, ingénieux ou magnifiques, là où l'on apprend à vivre autrement. Hélas, notre ignorance de la langue et la difficulté des Thaïs et des Laotiens à parler anglais ne nous permettront pas d'avoir d'échanges profonds avec les populations locales.


Les guides sur ces pays, tant le Routard que Lonely Planet, sont mal fichus. Ce sont des mines d'informations, mais ils sont souvent imprécis, erronés, et frisent parfois dangereusement la xénophobie coloniale. Le préambule historique du Lonely Planet est intéressant, mais catastrophique dans le détail. Le Routard a l'avantage de ne toucher que les francophones et permet d'éviter l'encombrement. On sent hélas qu'il a été rédigé il y a déjà quelques années. Faute d'avoir réservé le train de nuit pour Changmai, nous nous envolons pour le nord. Nous quitterons progressivement la capitale pour la province, la campagne, nous enfonçant toujours plus profondément dans la nature jusqu'à la forêt vierge.