Je suis passé au Monte-en-l'air déposer des exemplaires du Journal des Allumés illustré par d'excellents dessinateurs et trices dont les inédits enflammés raviront les fans de bandes dessinées... J'en profite chaque fois pour y faire mes courses avant d'enfourcher ma monture pour entamer la dernière grimpette vers la Porte des Lilas via Gambette.
Je n'ai pas fait attention que le Tome 4 du Combat ordinaire de Larcenet était paru. Il faudra que j'y retourne. Je venais chercher le nouvel Art Spiegelman, en fait la réédition de ses Breakdowns initialement parus en 1978 aux USA. Grand format, papiers spéciaux comme pour son précédent À l'ombre des tours mortes, le somptueux album offre une variété de travaux antérieurs à Maus. Le côté juif new-yorkais à la Woody Allen, drôle et déprimé, se précise. En plus, c'est dense, il y a de quoi lire. J'adore Spiegelman, des Crados au chef d'œuvre qui lui valut le Prix Pulitzer...
Mais la révélation vient de l'épais volume que le libraire dévore seul dans son coin à l'ombre de sa guérite. Cette phrase sonne comme un contrepet bien compliqué. Fruit de la collaboration d'Alan Moore et Melinda Gebbie, Filles perdues est un ouvrage qui fera date dans l'histoire de la BD, par sa qualité graphique, l'érotisme qu'il dégage et l'intelligence de son propos. C'est à la fois torride et élégant, inspirant et soufflant. Melinda Gebbie puise ses sources chez les peintres des débuts du XXe siècle. De quoi se secouer l'art nouille, jouer les fauves et tremper ses pinceaux pour en voir de toutes les couleurs à l'ombre de trois jeunes filles en fleurs à qui personne ne pourra plus ensuite conter fleurette. Remarquablement écrit, sa traduction n'a pas dû être zézée. Rappelons qu'Alan Moore est l'auteur de V pour Vendetta, des Watchmen, de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, et que les premiers comics de sa femme (serait-ce donc en tout bien tout honneur ? Debbie et Alan se sont mariés l'année dernière...), Fresca Zizis, furent interdits, il y a vingt ans déjà, dans leur pays, ô perfide Albion ! Si les superbes dessins revendiquent leurs lettres de noblesse, les récits font référence tant aux chefs d'œuvre de la littérature érotique qu'aux contes de fées et gestes dont les héros racontent une enfance tourmentée, moins à cheval sur ses principes que l'on n'imaginait. Pour adultes. Pour adultes aimant les belles choses.