samedi 7 mars 2009
... All the Marbles (Deux filles au tapis)
Par Jean-Jacques Birgé,
samedi 7 mars 2009 à 01:02 :: Cinéma & DVD
Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? En cherchant des informations sur le dernier film de Robert Aldrich que j'ai exhumé de ma vidéothèque VHS pour le montrer à Françoise qui a évidemment biché pendant toute la projection, j'en étais presque déprimé. En 1981, ... All the Marbles, sorti en France sous le titre Deux filles au tapis, était probablement trop en avance sur son temps pour être remarqué à sa juste valeur. Les critiques y ont vu un film misogyne alors que n'importe quelle féministe jubilerait d'admirer les California Dolls cogner sur l'arbitre pourri et qu'il n'y en a pas une trace ni dans le scénario ni dans la réalisation. Bien au contraire, Aldrich, en filmant ces filles hors du commun, montre le statut des femmes dans une société corrompue qui vacille dès que l'on n'en respecte pas les conventions. D'autres parlent d'une comédie invraisemblable quand il s'agit d'un des meilleurs films réalisés sur le catch, très loin des tics éculés de The Wrestler d'Aronofsky. D'abord il y a le décor, villes du Nord des États-Unis dont on ne voit que les banlieues grises, motels miteux, autoroutes uniformes, tandis que l'on entend en off les savoureux dialogues à l'intérieur de la vieille voiture du manager dévoué et roublard. Aussi extraordinaire que chez son ami Cassavetes, Peter Falk y tient là un de ses meilleurs rôles, avec ses California Dolls, deux filles un peu paumées qui aiment comme lui leur travail, le catch à quatre pour la beauté du sport, filmé magnifiquement par Aldrich. J'ai l'impression de regarder un match à la télé comme lorsque j'étais petit. Évidemment c'est drôle, mais chaque scène est poignante, sur le ring comme hors piste. ... All the Marbles montre la veulerie des hommes et le courage des femmes, la pudeur des uns et le sacrifice des autres, le besoin de réussir pour elles qui ne sont qu'objet de désir pour les mâles. Aldrich a payé cher son indépendance de vue, viré d'Holywood pendant des années. Il évite les clichés racistes sur les indiens de Bronco Apache, montre les héros crapuleux de Vera Cruz, fustige le maccarthysme dans Kis Me Deadly (En quatrième vitesse) avec son Mickey Spillane en détective facho brutal, taille un costard aux producteurs de cinéma dans The Big Knife (Le grand couteau), dénonce la violence des hommes dans la guerre avec Les douze salopards, leur déshumanisation, la barbarie...
Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? Je me repose la question en pensant à Anathan de Josef von Sternberg, à 7 Women (Frontière chinoise) de John Ford, à Gertrud de Dreyer, à L'innocente de Visconti (encore quatre derniers films, des films de vieux !), à Convoi de femmes de Wellman, à Leo the Last de Boorman, à La symphonie des brigands de Feher ou aux 5000 doigts du Dr T de Rowland... Les connaisseurs appellent ces œuvres méconnues ou malaimées des films-culte !
Des cinéastes sont souvent méprisés pour de mauvaises raisons : Agnès Varda a beau récolter les faveurs du public et les récompenses je suis toujours étonné du mépris d'une grande partie de la profession, c'est une femme ; Jean Cocteau continue à subir l'anathème des surréalistes probablement dûe à son homosexualité déclarée, je ne vois aucune autre explication ; Jacques Rozier a ramé toute sa vie ; pourquoi Jacques Becker ou Jean Grémillon n'ont-ils pas la renommée d'un Jean Renoir ? Jusqu'à peu Michael Powell était inconnu dans notre pays. Parfois des histoires de droits bloquent les films ; connaissez-vous La nuit du carrefour de Renoir ? Les films de Pierre Etaix sont scandaleusement coincés par un contrat assassin. Quand je pense que les chaînes de télévision publique repassent sempiternellement les mêmes longs métrages, cela me met en rogne...