L'écriture de mon père
Par Jean-Jacques Birgé, samedi 14 mars 2009 à 00:05 :: Perso :: #1277 :: rss
Mon père est mort il y a plus de vingt ans. J'ai très peu de souvenirs matériels venant de lui. Il avait tout perdu lui-même lorsque les Allemands ont raflé leurs biens pendant la guerre. Il me reste une boîte de soldats de plomb, c'est un comble, son Monopoly avec une balle de fusil en guise de pion, une bobine de fil magnétique, l'ancêtre de la bande magnétique, avec sa voix dessus peut-être... Même si tout n'est pas effacé je ne connais personne qui possède l'appareil pour vérifier. J'ai pris quelques photos, mais je n'ai acheté ma première caméra vidéo qu'un an avant qu'il ne disparaisse. Sur la cassette d'un vieux répondeur, j'ai conservé sa voix. Je crois que c'est tout.
Le reste est chez ma mère, pas grand chose, du moins je le crois et c'est ce qu'elle affirme. Juste avant que nous nous fâchions, elle m'a remis deux livres de compte du temps où il était agent littéraire. Elle allait les mettre à la poubelle. Ma mère n'aime pas les souvenirs. Elle est dans le déni du passé, ce qui n'arrange évidemment pas nos rapports. Je ne pense pas que ce soit Alzheimer, mais elle nie même avoir tenu les propos de la semaine dernière. Comme elle pense que le passé n'a aucun intérêt elle reproduit éternellement les mêmes schémas. Avec le temps, j'ai fini par comprendre ce qui lui appartenait et ce que je devais à mon père.
Dans le premier livre de compte sont glissés quelques documents émanant du Tribunal de Commerce de la Seine et adressés à l'Agence Birgé, 153 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Les pages font apparaître les sommes qui correspondent à de surprenants libellés tels Pourboire et surtout la liste des auteurs auxquels le deuxième livre de compte est consacré avec les dépenses occasionnées par chacun en particulier. J'y découvre le contrat des Éditions Julliard pour Le salaire de la peur de Georges Arnaud, suivent son adaptation cinématographique et les contrats avec les États-Unis, la Norvège, l'Allemagne, de nombreuses avances, toujours en espèces, et puis 2000 francs pour réparer une lettre de la machine à écrire... Le contrat est dénoncé le 1er septembre 1951.
Les pages concernant Michel Audiard se réfèrent essentiellement à des livres aux Éditions du Fleuve Noir et à des dialogues, Le passe-muraille, L'homme de ma vie, Elle et lui, La baie des anges, Les dents longues, Massacre en dentelles, Priez et méfiez-vous, Le Monde en images et C'est arrivé à Paris... Je tourne les pages en admirant son écriture, plus grand monde écrit ainsi. Pascal Bastia, Francis Carco pour Jésus la Caille... Quel âge avais-je, deux ans peut-être, lorsque j'ai accompagné mon père chez le poète qui habitait quai de Béthune et possédait un perroquet ? Je me souviens de son appartement le long de la Seine... D'autres auteurs du Fleuve Noir : Jacques Chivot, M & G Dabat et puis mon père lance Frédéric Dard qui ne s'appelait pas encore San Antonio et dont le premier livre est dédié "à Jean Birgé". Le premier contrat date du 15 mai 1950, les écritures courent jusqu'en 1956. Je suis étonné chaque fois par les versements en espèces, de toutes petites sommes et la somme des avances ! Il semble que mon père ait même tapé certains romans, les photocopieuses n'existaient pas, il suffisait que l'on ait oublié le carbone ou que tout simplement on ait besoin de déposer un exemplaire d'un manuscrit, il fallait tout retaper ! Des corrections également... Broute-nuages, Du plomb pour ces demoiselles, Laissez tomber la fille, Tartempion, encore Jésus la Caille, Mes hommages à la donzelle, Les gaulois, Sérénade pour une souris, La farce et l'ange, Bel Ami, J'ai bien l'honneur, Le cave, Un dimanche à tuer... Je continue à tourner les pages : André Gossiaux, Jacques Lombard, Michel Marly, Evelyne Mas... J'espère qu'un de ces jours ma mère tombera sur le reste de ses archives. Des lettres ? Je sais qu'il y a une reconnaissance de dettes de Jules Berry quelque part dans une armoire, ce qui ne doit pas être très original ! De Sidney Bechet, j'ai pu rassembler quelques photos, c'est tout pour l'instant.
Né en 1917, comme beaucoup d'enfants de son âge mon père avait appris à écrire avec des pleins et des déliés. Ces études d'allemand lui avaient également enseigné le gothique. J'aurais bien été incapable d'imiter sa signature. Celle de ma mère était plus simple. Je n'ai jamais essayé, laissant cette spécialité de faussaire à ma petite sœur.
Commentaires
1. Le jeudi 29 juillet 2010 à 14:33, par pfinge
2. Le lundi 25 juin 2012 à 09:40, par moreau
3. Le lundi 25 juin 2012 à 12:27, par Jean-Jacques Birgé
4. Le mercredi 11 juillet 2012 à 21:47, par dreboussin
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