dimanche 5 avril 2009
Cadavres exquis collés au mur
Par Jean-Jacques Birgé,
dimanche 5 avril 2009 à 00:25 :: Multimedia
Le tag est une manière d'affirmer son existence dans une société où rien n'est fait pour que les jeunes (et les moins jeunes) y trouvent leur place. Leurs signatures obéissent le plus souvent hélas à un style aussi formaté que ce contre quoi ils marquent leur territoire. Un mur. La sophistication des traces tire vers un psychédélisme gothique ou une heroïic fantasy druilletisante. Art brut, art naïf, art mural, art de la rue, art mais. Le jeu consiste parfois à dégoter un lieu inaccessible où son œuvre ne sera pas recouverte. Les codes m'échappent, mais je comprends qu'une signature par dessus l'autre dessine des luttes de pouvoir, une histoire du temps à braver l'ennui, la mort, la police ou les rivaux. Plutôt qu'une suite de tableaux, les éléments disparates s'accumulent par strates. Les peintres ne pouvant se payer une toile vierge repeignent par dessus l'huile du passé qu'ils jugent rance ou se maculent eux-mêmes. On se souvient aussi de Picasso dans son ''Mystère'', filmé par Clouzot, improvisant au chronomètre et produisant sur la même toile des dizaines de tableaux qui s'effacent au fur et à mesure que les nouvelles couches recouvrent les anciennes. Dans la rue, les pochoirs et les bombes dessinent une passionnante histoire collective que l'on souhaiterait plus éloquente, revendicative ou viscérale. Le style des graphes égale parfois les prouesses techniques des crayonneurs de trottoirs reproduisant les tableaux encadrés du Louvre, mais on est rarement saisi par une pensée ou bouleversé par une rencontre. Sortis des placards, les cadavres exquis recouvrent la ville vidée de son sens. Ce matin-là, Konny pochait des bustes blancs sur un ciel orageux où volait un dragon grimaçant. Il faisait beau. Les passants prenaient le temps de s'arrêter.
Je rêve d'un printemps plus brûlant, de cris du peuple plus saignants, d'histoires à dormir debout, de fresques drôles ou méchantes, mais qu'on me réveille, que diable ! Je regrette l'impertinence de Miss Tic, les à propos dramatiques d'Ernest Pignon Ernest, les trompe-l'œil qui nous confondent, les slogans et les images d'Épinal du réalisme socialiste, et, plus encore, des utopies recouvrant cette grisaille urbaine par une gigantesque bande dessinée où s'écriraient des mondes futurs, des images à voir de loin, des propositions politiques, des impertinences plus nécessaires que jamais...