On peut faire dire ce que l'on veut à une photographie. Son sens glisse entre les doigts comme une sirène que l'on saisirait par la queue. Se laisser porter par la rêverie et l'on invente des dizaines d'histoires. La quantité des interprétations possibles d'une œuvre lui confère sa valeur. Ainsi la Joconde en offre autant qu'il existe de visiteurs attentifs.
Sur la plage, l'homme semble regarder la fille aux seins nus à la dérobée sous une drôle de coiffe confectionnée à partir d'un sac en plastique. La grosse montre qu'il a gardée au poignet indique son souci de la précision. Rien n'a pu être laissé au hasard, ni l'anonymat de la fille dont on ne voit pas la figure, ni la ligne sur laquelle évoluent tous les personnages présents à l'écran, tournant le dos à la mer comme trop occupés par ce qui se passe du côté des dunes. Mais de cela, on ne saura jamais rien. Le geste qui pourrait être celui de la pudeur enserre le corps féminin dénudé dans l'étau triangulaire formé par le biceps, le poing et le regard en coin du Tartuffe. La masse de chair du colosse contraste avec la silhouette frêle de la jeune femme. En appuyant sur le bouton de son appareil, le photographe saisit le geste d'un autre voyeur.


Pure invention de ma part. C'est se faire du cinéma. Si l'horizon dramatise la situation en rendant toute fuite vers le large impossible, la réalité est tout autre, invisible à qui n'en fut pas le témoin. Elle n'en est pas moins cocasse. Nulle tentative de suicide par asphyxie, la scène, sur le second cliché, reste d'autant plus énigmatique que le corps près des vagues est bizarrement penché, comme tombant en arrière. Déséquilibre inexplicable sans la présence du vent. Les bourrasques laissent deviner la résistance offerte par un cerf-volant acrobatique sur la plage désertée. Comme je m'étais moi-même recouvert la tête de mon T-shirt pour éviter les réflexions du soleil en imitant les appareils à plaque d'antan avec le Lumix sans viseur, Serge s'était fabriqué une astucieuse cabine téléphonique de fortune pour entendre son interlocutrice malgré le bruit assourdissant qui soufflait tout autour de nous. Le reste est un mélange d'affabulation et d'observation, une interprétation parmi d'autres.