mercredi 2 septembre 2009
La mémoire ne fonctionne pas à sens unique
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 2 septembre 2009 à 00:11 :: Humeurs & opinions
Les souvenirs s'accumulent sur les étagères. Le tri éjecte les bibelots inutiles, mais préserve les amours. Les signes dramatiques côtoient les clins d'œil amusés, les livres que l'on ne relira plus étouffent ceux que l'on s'est juré de déguster un jour. Plus la mort s'approche, moins les anciens sont accessibles. Nous avons tous la fâcheuse tendance à remplir le vide. Chaque année nous ajoutons un nouveau chapitre, accumulant sans cesse jusqu'à saturation. Il faudra bien que ça pète !
La mémoire nous joue plus d'un tour. En discutant avec l'un de mes amis de ses goûts musicaux, je m'aperçois qu'il existe une différence majeure entre mes rejets et les siens. Ne s'est pas écoulée une minute que la musique française du XXème siècle le hérisse, idem avec n'importe quelle chanson ou tout air d'opéra quelle qu'en soit l'origine. Comme je justifie ma programmation par ce qui a donné naissance à ce qu'il affectionne, mon camarade me rétorque que l'on n'a pas besoin d'apprécier les origines pour aimer ce qui nous fait vibrer là maintenant. Certes, mais si aujourd'hui je me passe de Mozart ou Bellini, ce n'est pas faute de ne pas les avoir écoutés. Sans faillir ni défaillir j'ai suivi les livrets de centaines d'opéra, fait hurler les guitares électriques de toutes les intégrales, dansé à tous les jazz et rêvé sous toutes les latitudes pour être certain de mon chemin. Il n'est aucune sorte de musique dont je ne me sois pas repu aussi loin que je m'en souvienne et si une tribu était découverte sur quelque île du Pacifique j'y traînerais mes oreilles de gré ou de force. De quelle nécessité est née telle œuvre ? De quelle Histoire procède-t-elle ? Qu'en reste-t-il ? Ne pas connaître les joies du voyage dans le temps rend dangereux le périple. Il sera d'autant plus difficile de faire ses propres choix en connaissance de cause. Petit Poucet sans cailloux, la mémoire du monde s'éteindrait si l'on n'y prenait garde. Plus la vitesse et le produit Kleenex nous sont inoculés par l'industrie de la culture, plus nous perdons nos repères. Penser par soi-même exige que nous apprenions à nous servir de la boussole et du dictionnaire.
J'ai toujours pensé que le dégoût pour tel ou tel genre musical ne pouvait qu'être le fruit empoisonné de l'héritage familial. Il suffit que maman ou papa adore le musette pour vous en écœurer et tutti quanti... Tutti fruti met mieux l'eau à la bouche. Les goûts seraient alors affaire sociale tant qu'on n'y a pas goûté. Ainsi commande-t-on à l'enfant qui chigne qu'il n'aime pas ça sans ne jamais l'avoir porté à ses lèvres... Les œuvres exigent par contre souvent que l'on aille au bout, jusqu'à leur résolution. Sans cet effort la mémoire fait défaut et les dés sont pipés. Le plaisir se réduira avec le temps à une peau de chagrin. Nous ressasserons alors éternellement les ritournelles de notre adolescence sans entendre qu'autour le monde ne sonne plus pareil.