Pour illustrer l'installation de Nabaz'mob au Lentos, le magnifique Musée d'Art Moderne de Linz, j'avais réalisé quelques jolies photographies avec mon vieux Nikon qui convient beaucoup mieux à l'exercice que le Lumix. Hélas ayant maladroitement tout effacé en les important je dois changer mon fusil d'épaule, ce qui arrange plutôt les petits lapins qui en ont profité pour éteindre la lumière.
Pendant que nous attendons qu'elle revienne (sur la photo on voit justement les techniciens apporter la tour dont nous avons besoin, au fond on appréciera la colline du Pöstlingberg) nous avons le temps de visiter l'exposition temporaire See This Sound (Promises in Sound and Vision). Déjà hier soir la présentation des Prix Ars Electronica permettait de constater que le son est ici au centre des préoccupations, ce dont nous n'avons pas du tout l'habitude dans notre pays de sourds. See This Sound a le mérite de montrer que la plupart de ce que l'on nous présente comme la modernité avait déjà été découvert dans les années 50, si ce n'est trente ans plus tôt. Saluons la scénographie, simple mais dont le mérite est d'isoler tous les espaces sonores sans aucune pollution de voisinage. Les installations côtoient un nombre étonnant de salles de cinéma où sont projetés chaque fois des jalons incontournables de la rencontre audio-visuelle expérimentale. Walter Ruttmann, Hans Richter, John Cage, Fluxus, Nam June Païk, Laurie Anderson, Michael Snow, Gordon Douglas, Christian Marclay, Bryon Gysin avec sa Dreamachine, La Monte Young et Marian Zazeela dans leur Dream House, il y en a 80 comme eux à nous en mettre plein la vue et les ouïes.


L'architecture du Lentos réfléchit astucieusement la ville de Linz sur toutes ses façades ou le fleuve dans le plafond extérieur où je réalise ce petit autoportrait. Si la salle dans laquelle nous jouons longe le Danube, nous devons néanmoins fermer les rideaux de l'immense baie vitrée pour retrouver l'obscurité nécessaire au spectacle. Les projecteurs sont là pour souligner les oreilles des lapins qui se perdraient sinon dans le noir et pour dramatiser certains passages que j'improvise au pupitre tandis qu'Antoine envoie les mouvements qui composent notre opéra lagomorphe. À la fin de la répétition, nous traversons la rue pour le vernissage de Lagoglyphs : The Bunny Variations à la Black Box Gallery où France Cadet y expose ses bestioles en même temps qu'Eduardo Kac y montre des fleurs génétiquement modifiées par son propre ADN. Les trophées de France rugissent, miaulent ou se balancent là où les nôtres, se découvrant des cousins, se gargarisent d'un toupet ventriloque.


Hier soir la foule s'était agglutinée sur les berges pour un concert étonnant qui a lieu chaque année pour le Klangwolke. L'Ars Electronica Center évoqué dans mon précédent billet jouait de son rayonnement électroluminescent, le public trimbalait d'étranges squelettes d'animaux blancs en les habitant de l'intérieur, l'orchestre classique répétait une inattendue musique zappienne avec chœurs stravinskiens et les marchands de saucisses avaient déployé leurs échoppes. Notre chambre donnant directement sur le Danube, nous étions aux premières loges ! L'orchestre a déjà éclaté en cuivres, bois, percussion et cloches tubulaires quand des fusées d'artifice déployées sur toute la longueur de la ville nous font sursauter. La capitale européenne de la culture 2009 a choisi l'Arche de Noë comme thème de la soirée. Des écrans géants se gonflent et se dégonflent, des barques voilées à la Christo croisent un interminable cortège d'animaux blancs qui remontent le courant comme des fantômes, des maisons de tissu à moitié immergées glissent sur l'eau, deux récitants ponctuent la cantate enflammée. À 22 heures Ars Electronica reprend le flambeau.


Après avoir dîné dans une taverne construite en 1652, escalope, goulache und Kartofeln, nous nous retrouvons tous les trois sur une grande roue perchée au quatorzième étage de l'OK Center pour la remise des Prix d'Ars Electronica. Des passerelles de bois ont été construites au faîte des immeubles pour surplomber la ville. La pleine lune éclaire le labyrinthe des voies sans issue qui s'avancent au-dessus du vide. C'est samedi soir. Partout des jeunes font la fête. La bière coule à flots.