mardi 8 septembre 2009
18. Couper court
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 8 septembre 2009 à 00:24 :: Roman-feuilleton
Tous les chemins mènent à Rome. D'autres en auraient tiré partie. Lui se fiche du Pape comme de sa première chemise. Il l'avait conçue pour ne plus avoir ni chaud ni froid en étudiant l'articulation des cristaux en milieu thermique instable. La bourse à l'innovation lui avait mis le pied à l'étrier, mais la compétition a ses limites. Tout était allé trop vite. Les records se terminent souvent par une sortie de route. Max était d'un naturel trop inquiet pour que ses chacras ne tournent pas en eau de boudin. Le zen aurait mieux collé à son tempérament. Le monde de l'entreprise l'avait dévasté au point de le faire sombrer dans une dépression qu'il n'avait su identifier qu'à ses larmes de crocodile le jour où le trop plein avait atteint son seuil critique. Déserter le GR pour les rails lui redonnait envie de mimer l'araignée de tout à l'heure ou de jouer à cloche-pied sur les traverses. Une deux, une deux. Cette nouvelle binarité le change des 0 et des 1 et n'a rien de militaire. Il avait échappé au service sans mettre en danger sa carrière. Une histoire d'œil gobée par un psy si crédule que c’était à se demander où il avait fait ses classes et si la passe n’avait pas fait coup franc. La grande muette ne plaisante pas avec les réformés.
L'appartement était petit. Le temps de monter son train électrique sa mère lui demandait déjà de tout ranger. L'herbe pousse mal sur les cailloux du ballast. Sans aller jusqu'à retourner à la position fœtale il sent l'irrésistible besoin de retomber en enfance pour sortir du marasme. L'autonomie de son système pileux n'a plus de raison d'être s'il veut retrouver sa joie de vivre. C'est la première fois qu'il y pense sans se justifier par sa paternité. Il pose son oreille sur le rail. Rien d'autre que le murmure d'une autoroute lui rappelant celui de la mer. Comme deux gouttes d'eau. Le son lui coule dans l'autre oreille telle une liqueur antalgique. Plus loin une bande d'Indiens ou de Pakistanais égarés sur le chemin de Calais a élu campement le long de la voie. Max s'approche pour partager un thé blanchâtre sur un Butagaz. Sa barbe les intrigue. On se parle avec les mains, les gestes dessinent des signes de piste. Les uns remontent d'Ancône, l'autre vise Marseille, personne ne va à Rome. On empruntera d'autres routes que les chemins balisés. C'est trop couru. Les rondes effraient les files indiennes. Mieux vaut couper à travers champs. En regardant ces déracinés lâchés par leur escroc de passeur et qui n'ont rien qu'une vague adresse sur une île, Max se dit qu'il a choisi. Il devra vivre pour que ça se sache, pour que la jungle ne se referme pas derrière lui. La fuite cède à la colère. Un orage sec tonne dans le lointain. Il prend congé de ses compagnons d'errance en forçant un sourire international qui lui fend le visage comme une grimace de pin's.