vendredi 11 septembre 2009
19. Mortel
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 11 septembre 2009 à 00:37 :: Roman-feuilleton
Dehors les champignons ont envahi le silence habité par les fantômes. Comment savoir si leur parfum enivre ou s'il porte l'angoisse des mutations inopinées ? Suave aux narines, la moisissure irrite les muqueuses allergiques. La poussière retourne à la poussière. Il n'y aura pas de cendres. La fête est programmée par une confrérie de vers de terre. Il ne fait plus aucun temps. Les nuages sont passés, le soleil est passé, la pluie est passée, tout est passé et dépassé. On est ailleurs. En attendant le déluge, on peut parler à voix basse. D'étroites allées écartent les danseurs. On voudrait murmurer des mots soufflés, mais la foule exige un porte-voix. Chacun y va de son couplet. L'incompréhension se lit dans les regards humides. Les temps d'arrêt ponctuent les questions maladroites que personne n'ose poser. On en apprend de belles. Les visages burinés par le vent et l'alcool font écho aux signes gravés sur les pierres. Nul n'est autorisé à s'assoir et les places allongées sont réservées. Un enfant en salopette blanche qui sème des petits cailloux demande si une vitrine se cache sous le camouflage. Que voulez-vous qu'on lui réponde ? Ce n'est pas un endroit pour la chasse. Il ne pouvait en aucun cas s'agir d'un accident. La fuite aurait suffi, mais Louise avait clairement vu deux types cagoulés dans la cabine du camion. Hélas, sa plaque était celle d'un coupé immatriculé dans le Var. Rien ne tient debout. On vacille sur ses jambes. Là aussi on est en colère. Le papier que Louise a trouvé sous la selle laisse penser que c’est grave. Elle avait composé le numéro…
Dedans l'air empeste l'alcool à brûler et le formol. La boîte est ouverte pour que chacun puisse y trouver ce qu'il a à y mettre. Des vers de poète y font déjà leurs trous quand Stella entre à petits pas serrés, comme sur des pointes. Tandis qu'elle attend son tour, un des cinq hommes en costume strict lui chuchote que ce moment est très loin, qu'elle n'a pas lieu de s'inquiéter, qu'il a l'habitude de voir ses clients se prendre les pieds dans le tapis en croyant se vieillir, mais qu'elle est déjà une autre. Elle s'approche. Les paupières de Philippe ne laissent percer aucun indice. Ce n'est plus lui. Il lui ressemble, mais ce n'est plus lui. Si l'on s'en tient aux généralités, elle en sait plus long que quiconque sur ce qui les a fait se rencontrer là, dans cette chambre à l'air vicié. La culpabilité la tenterait si elle ne connaissait pas l'attachement du journaliste pour son père. Elle chasse ses idées qui ne mènent nulle part, cherchant plutôt un signe, une image, quelque chose qui l'oriente parmi les objets exposés tout autour. Ce n'est simplement pas le moment. Elle sait devoir revenir très vite. Il y a péril en la demeure. En reculant vers la porte elle saisit des clefs suspendues à un petit aimant pendant que les professionnels referment le couvercle sur des illusions perdues. C'est mal connaître Stella décidée à retrouver son père. Le son du vilebrequin qui cliquète se mêle au chant d'un rossignol perché à la bonne adresse. Derrière le monde qui attend il y a des hommes qui font des rondes en espérant être les premiers. Stella a repéré leur manège et grimpe à l'étage au lieu de suivre le cortège.