samedi 12 septembre 2009
20. Pas d'histoire
Par Jean-Jacques Birgé,
samedi 12 septembre 2009 à 00:21 :: Roman-feuilleton
Chaque fois qu'elle écrivait quelque chose on lui disait qu'il n'y avait pas d'histoire. Rien de plus énervant. Pourquoi se cantonner à une histoire lorsqu'il s'en croise des quantités astronomiques ? Un bombardement de neutrinos, se dit-elle, ils sont tous traversés, mais de là à s'en apercevoir, c'est une autre paire de manches qu'elle compte bien gagner. Stella s'imagine ces lecteurs à la noix comme des passoires sans poignées, collés au fond de l'évier. Elle pourrait faire coup double, retrouver son petit papa et se servir des notes trouvées dans le studio de Philippe pour son nouveau roman. En voilà une qui ne perd pas le nord ! La fouille n'avait pas été trop difficile. Stella se souvenait comment Philippe lui avait appris à retrouver les objets perdus. Ils sont toujours à l'endroit où ils devraient être, mais nous sommes incapables de les voir pour des raisons qui tiennent du lapsus et de l'acte manqué. Il disait aussi qu'il faut prendre de la hauteur, regarder la terre depuis la lune, changer d'angle. Stella, grimpée sur le bureau, s'est tordue dans tous les sens, mais rien. Le coup de fil reçu de Louise n’avait fait qu’emmêler l’écheveau des signes. Revenue à la charge avec un escabeau elle inspecte toutes les cachettes possibles contre le plafond. L'idée lui revient du panier à salade. Philippe et son père lui avaient construit une maison dans les arbres. Comment n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Elle détache la ficelle pendue à la fenêtre de la cuisine puis délicatement descend le sac contenant des dossiers protégés par un sac en plastique. Le ciel est noir. Il gronde menaçant. Stella range tout comme elle l'a trouvé pour ne laisser aucune trace de son passage. Au moment de rejoindre les autres elle entend plus bas craquer les marches de l'escalier. Le temps de s'accroupir derrière le buffet du palier, ils sont à côté d'elle. La porte se referme sur eux. Elle se fait chat pour ne pas se faire remarquer en dégringolant comme une matière molle. Dehors elle se fond aux retardataires et prend la tangente à la première intersection. Un grand vide s'ouvre sous ses pieds. Le ciel se déchire. Le paquet pressé sous son chandail, elle prend ses jambes à son cou et galope jusqu'à l'épuisement. Le sang bat contre ses tempes. La pluie ravine ses longs cheveux blonds. Elle court si vite que la ville semble figée autour d'elle. Le sauveur a la forme d'un bus. Ses passagers sont flous, inexistants, absents. Où aller maintenant ? Reprendre son souffle. Le terminus est une première étape. Il n'y a plus de conducteur.