Début août je composais la musique d'un rideau d'eau pour Peugeot au Salon de l'Auto de Francfort (IAA) à la demande de Dalbin-Event chargé de la mise en scène d'une création artistique pour le stand de la nouvelle RCZ, une deux places très mâle et élancée. Le fabricant automobile désirait une œuvre qui se déploie sur un espace de 3000m2. Phormazero développa un graphisme approprié au système hydraulique et je plongeai dans une partition dont le cahier des charges indiquait "cristallin et futuriste".
Le rideau d'eau développé par Crystal-Group n'utilise aucune projection, ni lumineuse, ni vidéo. Ce ne sont que des gouttes d'eau tombant des cintres jusqu'au bassin qui récupère l'eau et la renvoie dans le système en circuit fermé. On pourrait faire l'analogie avec le déroulement d'un rouleau graphique d'ombres chinoises où les dessins, fixes, sont constitués de gouttes et où leur absence fait office de blanc. Sur l'écran d'eau, comparable à l'écran d'épingles d'Alexeïeff, chaque goutte délivrée par une buse correspond à un pixel. il y en a 960 sur une largeur de 10 mètres, et les images de Phormazero de tomber, de tomber, de tomber, de 5 mètres de haut.
Autour du stand, des écrans géants projettent des clips sur les nouvelles automobiles dont l'émission de carbone est imprimée sur chaque portière. La définition est époustouflante. "Écrans LED Blackface Daktronics 6mm", me souffle Jo Alet qui les a fournis. Partout le nec plus ultra de la technologie... S'il n'y avait les voitures exposées et les mannequins pour les présenter on pourrait se croire au salon de la vidéo !
Une séquence son et eau de 9 minutes 55 secondes joue en boucle. Pour caler mes séquences de musique électronique et électro-acoustique, j'ai calculé une grille au tempo de 17,14 à la noire ou l'un de ses multiples, car chacune des 170 images dure 3,5 secondes. Attaché au geste instrumental, je joue tout au clavier (VFX , VS, PPG, XT...), ajoutant un peu de persil acoustique pour rendre l'œuvre plus organique. J'ai acquis pour l'occasion différents petits instruments dont un triangle à eau. Les chimes rappellent le son de l'opéra de lapins à l'origine de la rencontre avec Éric Dalbin. D'ailleurs j'en fais une longue citation en retravaillant le montage de l'une des séquences. La musique est pensée pour éviter la lassitude sur la durée du salon, douze jours ! Moins la structure générale est repérable, moins elle est oppressante. Jouant des différences de timbres et de tempi, mais aussi d'intensité et de densité, elle est plutôt planante avec des effets de nappes et de rythmes légers. La stéréophonie est exagérée pour donner son volume à l'espace. À chaque instant je réponds au son que fait l'eau en tombant, camouflant ceux de la machine et de l'eau, ou les soulignant. Tous les instruments sont joués en temps réel pour donner de la souplesse à l'ensemble, évitant de contrarier l'effet sensuel du rideau d'eau...
Comme chaque fois qu'un artiste travaille en confiance, le résultat est à la hauteur de nos espérances. Les gouttes d'eau éclairées par la lumière blanche scintillent comme des pépites, une pluie de diamants sur un écrin invisible.
Puisque nous filmons, je suggère d'enregistrer la cascade sans la musique pour la synchroniser ensuite avec la partition. Éric Dalbin et le photographe Yves Malenfer s'affairent à immortaliser l'œuvre car nous espérons bien la remonter dans un environnement plus propice à la méditation !
Le budget d'une telle manifestation s'étendant sur une surface inimaginable est colossal. En dehors de mon enthousiasme pour le travail bien fait, je me demande si, avec la crise de l'énergie, les jours de ce genre de salon ne sont pas comptés. Les voitures électriques et les hybrides se multiplient, mais le temps de l'automobile individuelle est-il encore envisageable dans un futur rapproché ?