Un Américain pas tranquille
Par Jean-Jacques Birgé, mardi 2 février 2010 à 00:22 :: Cinéma & DVD :: #1609 :: rss
Jonathan Rosenbaum, ex-journaliste au Chicago Reader prétendument à la retraite, encensé par nombreux cinéastes comme Jean-Luc Godard, auteur entre autres du passionnant Mouvements : Une vie au cinéma (Moving Places: A Life in the Movies), dont le site est à la fois une mine d'archives de ses écrits et un blog dont l'actualité permet de découvrir sans cesse des perles anciennes ou contemporaines, en particulier en DVD, a récemment publié un livre broché sur la rétrospective de comédies américaines transgressives qu'il a présentée à la dernière Viennale, le Festival du Film International de Vienne en Autriche. Cet "Américain pas tranquille", qui lui a donné son titre éponyme, The Unquiet American, en référence au célèbre roman critique de Graham Greene, The Quiet American (Un Américain bien tranquille), ne mâche pas ses mots, ne fait jamais dans le "politiquement correct", creuse ses sujets dans des déserts inexplorés, remonte les chemins battus à rebrousse-poil et sait garder son indépendance de vue dans un paysage critique de plus en plus convenu.
Les 184 pages, agréablement illustrées, sont en anglais pour le programme des 55 films choisis dont il s'explique avec un humour caustique et une conscience politique sans ambiguïté, et bilingues (traduction allemande) pour les textes critiques repris, corrigés ou inédits. Si je suis ravi de partager une partie de ses goûts pour des œuvres mésestimées comme Hellzapoppin ou Les 5000 doigts du Dr T, je suis excité de découvrir des films dont j'ignore tout, soit parce que je suis passé à côté sans les voir, soit par leur absence de distribution en France. Rosenbaum se défend tout d'abord de participer lui aussi à la promotion de l'industrie du cinéma de la plus grande puissance mondiale, véritable ligne de front de l'impérialisme américain, alors qu'il existe tant des chefs d'œuvre inconnus partout ailleurs sur la planète. S'il finit par céder à la demande des organisateurs Hurch et Horwath, il pervertit le sujet en choisissant la transgression comme angle d'attaque.
Ainsi classe-t-il sa sélection en cinq catégories subjectives : les Américains à l'étranger (The Three Caballeros, un des Disney les plus expérimentaux avec la Danse des éléphants de Dumbo, The Fountain of Youth, rare comédie d'Orson Welles tournée pour la télévision, La huitième femme de Barbe-Bleue de Lubitsch, Avanti! de Billy Wilder, Les hommes préfèrent les blondes de Hawks, Ishtar d'Elaine May, réalisatrice de films dits commerciaux qu'il souhaite réhabiliter, Mr Freedom, bijou pop de William Klein, Matinee de Joe Dante), les rapports de classe et tensions ethniques (Christmas in July de Peston Sturges, la comédie musicale Hairspray de l'inénarrable John Waters, Laughter d'Harry d'Abadie d'Arrast, Joan Does Dynasty de Joan Braderman, Chameleon Street de Wendell B. Harris Jr, Rushmore de Wes Anderson, The Heartbreak Kid d'E.May, Lost in America d'Albert Brooks, Bulworth de Warren Beatty), les problèmes culturels (When The Clouds Roll By de Victor Fleming et Theodore Reed de 1919, Artistes et modèles de Tashlin, Down with Love de Peyton Reed, Kiss Me Stupid de Wilder, When Pigs Fly de Sara Driver, When It Rains de Charles Burnett, The King of Comedy de Scorcese, Idiocracy de Mike Judge, Flaming Creatures de Jack Smith...), l'anarchie déconstructive et romantique (1941 de Spielberg, Two Tars de James Parrott, Sherlock Jr. de Keaton et Arbuckle, Real Life d'Albert Brooks, Will Success Spoil Rock Hunter? de Tashlin, des dessins animés de Tex Avery et Chuck Jones, des courts métrages de Owen Land, Adaptation de Spike Jonze...), les dilemmes sexuels (Adam's Rib de Cukor, Hot Times de Jim McBride, The Ladies Man de Jerry Lewis, Turnabout de Hal Roach, Female Trouble de Waters, Lord Loves a Duck de George Axelrod, Monkey Business de Hawks, Seven Chances de Keaton...).
Si je me donne le mal de taper tous ces noms, c'est qu'ils représentent autant de pistes pour le cinéphile et l'amateur désespérément à la recherche de comédies de qualité, autant de biscuits pour l'hiver qui n'est pas près de finir. Suivant ses conseils à l'image près, je pars à la pêche aux inconnus, arpentant les arcanes du Web, fouillant dans les fonds de catalogue, demandant mon chemin à des figurants à la mine patibulaire qui portent bandeau sur l'œil, sabre au clair et fleur au fusil. C'est saignant comme un steak bleu, king size débordant de l'assiette étatsunienne, quand la fâcheuse coutume est de vous le servir trop cuit lorsqu'il atteint les écrans européens.
Commentaires
1. Le mardi 2 février 2010 à 11:48, par magic berber
2. Le mardi 2 février 2010 à 12:47, par vincent Segal
3. Le mardi 2 février 2010 à 12:51, par jjb
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