35. Le pont des sourires
Par Jean-Jacques Birgé, mercredi 24 février 2010 à 00:19 :: Roman-feuilleton :: #1631 :: rss
Les deux autres formaient la seule preuve du réel. Aucun d'entre eux n'aurait pu imaginer qu'ils se retrouveraient libres, ensemble avec le ciel comme unique perspective. Plate et courbe à la fois. Les ondes sinusoïdales, les triangles et les dents de scie de la chorale monotone des gabians produit un chaud vertige qui les cloue sur le pont. Hébétés, ils se relèvent doucement dans l'effort conjugué de leurs membres ankylosés. Comme on relie ses abattis autrefois méticuleusement numérotés, sans n'oublier personne. Mon pied, ma jambe, mon ventre, mon bras, ma main, mes doigts, ma tête, mes lèvres, mes yeux... La terre est toute proche. Ils ne sont pas pressés. L'étendue amniotique les protège. Mare nostrum. Comment s'y faire ? Renaître. Ils apprendront que deux mois ont passé sans qu'aucun souvenir ne remonte jamais à la surface. Pour l'instant ils veulent respirer. À plein poumons. L'air du large. Le vent de la liberté. Un mirage, mais c'est bon. Le vacarme les saoûle. Il sont ivres de soleil, heureux qu’il existe encore. S'ils savaient ! Ils l'ont su. Ont oublié l'aimant qui les attire et les dévore. La présence de la mort. La fusion. Eux ne connaîtront jamais le terme. Ni même les enfants des enfants de leurs enfants. Il est inutile d'appuyer sur le champignon. Le mouvement inexorable qui nous rapproche de l'étoile se moque de nos folies d'espèce. Ils n'y pensent pas. Après avoir frotté leurs doigts avec leurs pouces comme pour reconnaître leurs empreintes, pour s'assurer qu'ils sont bien eux, ce sont les embrassades. Après les effusions on saute sur place, on danse avec les oiseaux toujours plus excités qui tournent autour du rafiot empestant le poisson. Faire une ronde à trois c'est un peu court, mais il faut bien en convenir, ils sont seuls à bord. Stella baissera les bras devant le contact qui ne se fait pas. Max découvrira que le réservoir est à sec. Ilona, déjà nue, sera la première à se jeter à l'eau. Les poches des autres sont vides. Chacun fait un paquet avec ses affaires et l'on emballe le tout dans un bout de bâche qu'on fera flotter sur une bouée du Lucifer. C'est le nom du bateau. Cela ne s'invente pas.
Rappel : le premier chapitre a été mis en ligne le 9 août 2009, inaugurant la rubrique Fiction.
Commentaires
1. Le mercredi 24 février 2010 à 11:09, par flau.
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