jeudi 22 avril 2010
Oui, mais dès l'aurore tous leurs chagrins s'évaporent
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 22 avril 2010 à 00:13 :: Musique
Tout guilleret d'avoir récupéré mon Revox PR99 qui me permettra de numériser la suite de mes archives pour mon projet de nouvel album, je vous offre l'enregistrement de la chanson de 1932 dont j'ai retranscrit le texte hier, Les fleurs du jardin chaque jour ont du chagrin. J'ai conservé le dialogue entre les deux couplets, toujours aussi remarquable chez Renoir, conscience de classe oblige !
J'apprécie beaucoup la musique in situ dans les films plutôt que lorsqu'elle vient du ciel ! Jean Renoir s'en est beaucoup servi, ici la chanson fredonnée par Anne-Marie juste avant que Boudu ne soit sauvé des eaux et reprise de lèvres en lèvres comme une obsession tout au long du film, l'orphéon municipal pendant la remise de décoration à Lestingois, le clavecin du théâtre d'ombres de La Marseillaise, la Danse Macabre martelée au piano suivie du limonaire de La règle du jeu, le phonographe du premier plan de La grande illusion sur lequel Jean Gabin écoute Frou Frou (photo ci-dessus) qu'il susurrera ensuite plusieurs fois, le cancan et l'hymne national interdit interprétés par les prisonniers déguisés en femmes, les chansons à boire du Crime de Monsieur Lange, l'orchestre de bal de La bête humaine, etc. Dans La chienne Michel Simon écoute la Sérénade de Toselli sur un autre phonographe. Les chansons populaires, comme dans Toni, hantent, toujours avec à propos, les films de Renoir, probablement influencé par la collaboration Brecht-Weill, jouant d'effets dialectiques afin de produire du sens là où l'image est acculée platement aux bords du cadre.
Ainsi Françoise Romand, qui remonte une dernière fois Thème je avant sa publication en DVD en septembre, vient d'ajouter des chansons que nous avions composées avec Bernard Vitet pour l'album Carton. Nous nous sommes débrouillés pour qu'elles jouent du contre-champ, que j'aurais pu aussi bien écrire contrechant, apportant une lumière nouvelle sur les scènes qu'elles éclairent. Au début du film, pendant le plan d'épilation dans la cuisine, la valse lente éponyme commence par un autre flash-back, celui de Lola Montès, "La comtesse se souvient-elle du passé ? S'en souvient-elle ? S'en souvient-elle ?..." avec fondu enchaîné sur "Il lui demanda son nom, Elle répondit Désir, Il en coupa le son, Ça s'appelait L'aurore..." pour terminer par la voix envoûtante de Delphine Seyrig dans Muriel, ou le temps d'un retour, "Ce serait bien que ça finisse comme ça !". Mais ce n'est qu'un début. Françoise évoque son arrière grand-père, le gamin qui pliait le tuyau dans L'arroseur arrosé des Frères Lumière, un des deux premiers acteurs de l'histoire du cinéma ! Plus loin, nous avons remplacé la chanson de Brigitte Fontaine qui posait des problèmes de droits avec Sony par "Radio Silence, Émission sans fréquence, Qui diffuse à toute heure, Tous les mots qui sont tus, Et tous les cris qui tuent...", que combat Françoise en larmes. Brigitte est tout de même présente dans une séquence ajoutée avec Amore 529 que nous avions enregistré avec elle sur Opération Blow Up. Enfin Moi z'à moi répond bien au miroir cruel dont Françoise joue sans cesse dans son auto-fiction filmée de 1999 à 2002, finie de monter en 2005, même si elle fait l'objet d'une ultime révision. Donc, pas de musique instrumentale, mais des chansons dont les paroles offrent un renversant point de vue complémentaire. Le film, devenu ainsi plus tendre et lyrique, en tire une profondeur moins abyssale et une fantaisie renforcée.