mercredi 21 juillet 2010
L'anamorphose
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 21 juillet 2010 à 01:14 :: Révélations (coll.)
En travaillant avec Pierre Oscar Lévy qui, par le biais de son "image du jour", me fait cadeau de son cliché pour le billet de ma nuit, je me demande si toute œuvre n'est pas une anamorphose. Entendre que nos motivations et les moyens pour les atteindre relèvent d'un mystère plus grand que notre prétention à maîtriser notre art, même en prenant la clef des chants les plus désespérés. De là à tordre notre fiction pour faire apparaître le réel enfoui sous des couches de savoir ou de savoir faire il n'y a pas loin. J'imagine que l'inconscient guide notre main comme un mille-feuilles hypnotise le gourmand. Voyez-y pour preuve le synchronisme accidentel que nos rêves les plus fous n'auraient jamais osé invoquer.
L'astronome de Vermeer résistait à toute analyse. Aucun lâcher prise n'établissait le contact sensible. J'ai commencé par résoudre les problèmes techniques qui m'ennuyaient depuis des semaines en réinitialisant le Midi dans l'utilitaire Configuration audio et MIDI. Comme j'avais lancé les machines sur huit pistes parallèles je débordai des quatre minutes du film de Pierre Oscar jusqu'à seize. Persuadé qu'il me faudrait trois ou quatre jours pour arriver au bout de l'œuvre, je réécoutai agacé le brouillon. Il y avait de belles choses. M'effleure alors l'idée que ce mélange de cloches tubulaires (lutherie Vitet toujours), de marimba eroica, de gongs et de pizz conviendrait peut-être... Laissant le début tel quel, sobre et répétitif, j'attaquai par la fin, riche en expérimentations timbrales, cymbales frottées, arpégiateur sur arpégiateur, filtre du circuit d'échantillonnage et de maintien sur le panoramique, etc. Je montai la musique comme un film tant qu'on oublie le plan séquence de l'image. La pièce prenait forme, mais la synchro ne rimait à rien. Reprenant le début tel quel, je coupai après une minute ce qu'il y avait en trop pour arriver à quatre minutes exactement. Start. Tout est magiquement en place. L'accélération fait tendre l'oreille à l'astronome comme à ses admirateurs. Même lorsqu'il regarde ses genoux il entend les étoiles et nous croyons les voir. L'horloge sonne au mur. On devine le ciel derrière la fenêtre fermée. La retenue de la première partie cède la place à une profusion d'équations musicales à l'instant même où l'idée jaillit, symbole de la création.
Les purs sanglots ne sont pas nécessaires pour la croire immortelle. La faux est au bout du chemin. Les deux crapules s'effacent devant le Christ en relief que trop de reproductions recadrent honteusement tandis que le crâne d'Holbein retrouve son inéluctabilité biologique.
S'il s'emporte sur son blog de temps en temps, Pierre Oscar publie sa photographie du jour qu'il envoie par mail à ses amis. Je suis chaque fois sidéré par l'acuité et la promptitude de son regard, cette manière de saisir l'instant des gens de la rue devant un décor qui semble construit pour eux ! À lui le soin de publier cette somme quand cela lui chantera. Je lui demande un simple témoignage, l'anamorphose. C'est sous son signe que nous croisons nos parapluies et nos machines à coudre sans autre effet que les ressources du son et de l'image. On nous demande d'en rajouter, mais on ne peut dessiner les moustaches de la Joconde à la Victoire de Samothrace !