jeudi 2 septembre 2010
Shut Up and Dance
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 2 septembre 2010 à 01:13 :: Musique
Après avoir embrassé les amis, j'ai pédalé comme un dératé pour grimper la côte de Belleville aux Lilas. À l'avant de mon Brompton reposait le nouvel album de l'Orchestre National de Jazz, double galette composée par le batteur John Hollenbeck, que j'étais trop impatient de glisser dans la platine du salon. Françoise dormait déjà. J'ai ouvert les volets, décellophané l'objet et la bile noire s'est envolée comme un nuage remonte du fond de la vallée pour aller s'évanouir de l'autre côté des cîmes. Chaque pièce est écrite en hommage à l'un des dix musiciens de l'orchestre, dix petits concertos inventifs et variés plus un morceau où tous frappent le sol de tubes en plastique accordés. Shut Up and Dance est le deuxième album de l'ONJ après celui autour de Robert Wyatt. Shut Up, ça vous en bouche un coin, and Dance, parce que l'ambiance est joyeuse, une sacrée marmaille réunie par Daniel Yvinec qui rejoint doucement mais sûrement son projet initial après un an et demi d'activité.
N'ayant pas l'intention de chroniquer le disque si tôt, je pensais faire un billet court pour évoquer la soirée de lancement du catalogue Bee Jazz de la rentrée en me servant du duo d'Ève Risser et Antonin-Tri Hoang comme alibi. J'aurais raconté qu'ils avaient joué King Korn, un morceau écrit en 1962 par Carla Bley pour son mari Paul, avec une fougue juvénile à redonner des couleurs à la meute des journalistes dont il était évident que peu avaient pris de vacances. Antonin soufflait dans son alto en oscillant de gauche à droite et de droite à gauche comme lorsqu'il était bébé et faisait des incantations exotiques avec le même mouvement de balancier vaudou. Ève pense jouer mâle quand elle frappe les touches du piano alors que sa fantaisie féminine est aiguisée comme un couteau de cuisine. Leur duo sentait fort le grand singe courant au milieu des épis, mais ce n'était que le fantasme d'une autre jeune femme avec une frange blonde lui cachant les yeux et qui cette année en avait déjà 72.
Quelques heures plus tard, alors que j'aurais dû aller me coucher vu l'horaire de mon avion ce matin aux aurores, j'écoutais le second disque en comprenant qu'il me faudrait plus d'une écoute pour en faire le tour. Le tremblé Shaking Peace dédié à Ève ou le "videogameplayed" Praya Dance dédié à Joce Mienniel sont probablement mes préférés. Dès que le style est innommable, je retrouve mes petits. La fraîcheur des compositions fonctionne parfaitement avec l'entrain des jeunes musiciens. Composer pour des individus plutôt que pour des pupitres est gratifiant pour tout le monde. L'ensemble me fait penser à une boule à facettes fixé à un nuage un jour où la brise est légère. J'y repenserai en m'endormant.