jeudi 9 septembre 2010
Touché !
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 9 septembre 2010 à 02:10 :: Humeurs & opinions
Une amie s'interrogeait récemment sur son intérêt pour la décapitation, bien qu'elle ne soit nullement tentée par sa pratique, rassurons-nous. Notez tout de même qu'à l'appel d'embauche du dernier bourreau, avant la suppression de la peine de mort en 1981, trois cents personnes se proposèrent pour faire fonctionner la guillotine. Il eut été passionnant de faire une enquête pour savoir ce qu'étaient devenus les candidats malheureux !
Comme nous marchions dans l'obscurité, je remarquai que la coupure partageait nos cinq sens au niveau du cou de manière inégale. La vue, l'ouïe, l'odorat et le goût roulaient dans la sciure tandis que le toucher restait à genoux. Approchons-nous du crâne et du cerveau qu'il abrite pour constater que notre sensibilité s'exerce essentiellement par la vue et l'ouïe, laissant loin derrière l'odorat perdu au fil des siècles et le goût dont la marge de man?uvre se réduirait à quatre paramètres, sucré-salé-acide-amer si les Japonais n'ajoutaient l'umami qui permet d'identifier le glutamate et le kombu. Dans nos sociétés policées on touche peu, sauf les travailleurs manuels à qui leur profession évite d'être accusés de pelotage ! L'outil n'est pas non plus le doigté. Les masseurs, médecins, coiffeurs, etc. ont ce privilège. Une Italienne me confirmait hier soir que lorsqu'elle touche ses interlocuteurs, pratique courante dans son pays, les Français regardent sa main, ce qui devient pour elle embarrassant. On caresse son chat ou son chien, mais aujourd'hui on prend de dangereux risques avec les enfants, même si ce sont les siens ! Les mères indiennes massent les leurs, mais s'appuyer sur le bras de votre voisin ou de votre voisine produit souvent un malaise et sème la confusion... On tombe vite sur un tabou que la sexualité saura braver dans l'intimité. Les ébats sont d'autant plus frénétiques ou sensibles que "le toucher nous est ravi", comme je l'écrivais dans la chanson Camille du CD Carton. Contrairement aux autres sens, le toucher n'est pas raisonnable. Il ne s'expose vraiment que dans la sublimation du corps, peau à peau.
Mon amie touche donc du doigt un sujet épineux. Sans le savoir elle identifie la ligne pointillée qui sépare le corps du cerveau. Il ne s'agit nullement de la question de la mort qui pourrait s'exprimer de mille autres manières, mais de la relation qu'entretiennent le senti et le réfléchi. Ainsi le corps s'abandonne au chaos tandis que le cerveau prend le contrôle.
Illustration : Exécution sans jugement chez les rois maures de Henri Régnault (1870) par Pierre Oscar Lévy pour l'exposition Révélations au Petit Palais à Paris (2010).