Avec l'exposition Les recherches d'un chien, la Maison Rouge me donne enfin un os à ronger. Pas seule, puisqu'elle est alimentée par FACE, la Foundation of Arts for a Contemporary Europe qui réunit cinq fondations privées avec DESTE (Athènes), Ellipse (Cascais au Portugal), Sandretto Re Rebaudengo (Turin) et Magasin 3 (Stockholm), permettant de proposer un menu des plus roboratifs, d'autant que le thème ne me laissera pour une fois pas sur ma faim. S'inspirant d'une nouvelle de Franz Kafka, l'exposition présente des artistes qui interrogent la société et leur place responsable dans ce monde. La crise d'identité du chiot le marginalise alors qu'il voudrait seulement comprendre ses congénères. Si la poésie transpose le réel, sa gamelle est forcément politique et sa révolte de hors-la loi légitime. Certains mordent, d'autres se frottent, mais tous ne répondent qu'à leur nom, même si le maître reste indubitablement le galeriste. Jusqu'au 16 janvier 2011, on découvrira donc des œuvres d'artistes qui ne s'amusent ni ne se rebellent sans arrières-pensées.


Peu d'entre eux partent de nulle part. Les matériaux qu'ils emploient sont souvent de récupération, détournés par l'alchimie du verbe et du collage. Les artistes des pays pauvres transposent d'ailleurs avec plus d'évidence les images qui les ont impressionnés. La rencontre de l'art naïf avec les expressions savantes accouche de petites merveilles au sens qu'elle entraîne ma rêverie vers des contrées insoupçonnées.
Une exposition collective est une autre forme de montage. Les pièces se répondent et se complètent. La part de l'accrocheur devient celle du lion face aux chiens qui s'ébrouent devant les murs immaculés. En regardant les photographies de l'exposition dans d'autres lieux, nous constatons que les juxtapositions sont différentes de celles de La Maison Rouge. La proximité des œuvres entre elles ne produit pas le même sens selon les associations choisies. L'itinérance suggère l'adaptation aux pays qui les accueillent. Le texte de présentation d'Irene Calderoni désosse parfaitement le processus de la création et son rôle social. Il y en a pour tous les goûts et l'on peut y revenir.


J'ai photographié Les Nécrophores - L'enterrement (Hommage à Henri Fabre) de Mark Dion (1997, photo 1) en pensant d'abord à Kafka perché sur son tabouret, hilare, s'étouffant de rire à la lecture de son texte. Les insectes se nourrissent du pendu aveugle. Exploitation ou suicide ? Caché au fond, Strike V.II au néon éteint de Claire Fontaine (2005-2007) résonne aux accents de nos grèves face au pouvoir sourd, imbu d'arrogance et de vénalité. La salle où sont rassemblés Fly Me to Another World (dedicated) de Navin Rawanchaikul (1999), Rio Fundo de Marepe (1975), Bottari Truck de Kimsooja (2005), ces trois derniers en photo 2, le film Barbed Ula de Sigalit Landau (2000), African-American flag de David Hammons (1990), l'installation vidéo History of the Main Complaint de William Kentridge (1996), les ombres découpées de Kara Walker (2002-2005), me touche plus que les autres, probablement parce que ces artistes expriment une urgence dont des Jeff Koons (Wrecking Ball de 2002) ou Martin Parr (Common Sense, 1999) sont incapables, trop préoccupés par leur propre image. Il y a toujours une corrélation entre l'homme (ou la femme) et son œuvre. Sans titre (le terril) de Stéphane Thidet (2008) composé de millions de confettis noirs répond brutalement au Body Mask en or de Sherrie Levine (2007), photo 3.
Chacun, chacune, trouvera donc matière à réflexion en se promenant au milieu des pièces de Thomas Hirschhorn (Spin Off, 1998), Bruce Nauman (Untitled (Suspended Chair, Vertical III), 1987), Maurizio Cattelan (Untitled (Natale 95) Stella con BR, 1995), Virginie Barré (Les hommes venus d'ailleurs, 2005), Fischli & Weiss (Animal, 1986), Paul McCarthy (Pig, 2003), etc. Le catalogue à paraître devrait intégrer des nouvelles commandées à cinq auteurs de nationalités différentes d'après la nouvelle de Kafka... Plus que jamais, dans notre monde contemporain qui part à vau-l'eau, la responsabilité de l'artiste, dont la liberté d'expression est un des rares remparts contre les démences de l'espèce humaine, est déterminante. Qu'il la doive ici à un chien est plutôt encourageant !