mercredi 23 novembre 2011
Le long couloir blanc
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 23 novembre 2011 à 00:04 :: Musique
Jamais le studio n'avait été aussi encombré. J'avais oublié qu'un marimba pouvait mesurer plus de trois mètres ! Si on ajoute le vibraphone, le portique de gongs et les tables de percussion de Linda Edsjö, la chanteuse Birgitte Lyregaard est obligée de se transformer en hiéroglyphe pour rejoindre sa place. J'enregistre toutes les répétitions, on ne sait jamais ce qui peut sortir d'un premier contact. Les essais sont tout de suite encourageants. Si l'accord avec Birgitte avait été évident dès la rencontre qui avait abouti à la création du trio El Strøm avec Sacha Gattino, j'ignorais presque tout des talents d'improvisatrice de Linda. Lorsque j'évoque l'improvisation, je fais toujours référence à cet instantané qui réduit au minimum le temps entre composition et interprétation. Elle exige une soif de l'inconnu, de la présence d'esprit, une écoute critique et simultanée de toutes les parties de l'orchestre, et une culture générale qui va bien au delà de l'histoire de la musique.
Dans la première pièce qui mêle l'invitation séduisante des bateleurs et la menace hors-champ de l'attraction à découvrir à l'intérieur de la tente, les rythmes du marimba me laissent libre de jouer de la trompette à anche, de mes nouvelles guimbardes à deux lames et surtout du Theremin que je n'avais pas pratiqué depuis belles lurettes. Comme j'utiliserai plus tard le H3000 sur une autre scène pour transformer les voix des deux filles, je l'ai branché sur un pédalier qui m'offre plus de possibilités que les sempiternelles sinusoïde et onde en triangle.
Nous jouerons donc la seconde étape à l'autre extrémité du Musée d'Art Moderne de Strasbourg, sur une estrade un peu plus grande. Linda me fait oublier le timbre monotone du vibraphone en variant ses techniques de jeu tandis que Birgitte jongle avec le danois, l'anglais, le français et le latin pour révéler la poésie planante du long couloir blanc où nous nous sommes enfoncés. Si j'avais commencé à la flûte hyperbasse, toute la seconde partie est dirigée par le tempo du Tenori-on, une sorte de séquenceur pas à pas qui oblige Linda à ruser pour faire swinguer ma machine avec ses mailloches. Des extraits de Visite de Jean Cocteau ouvrent la porte d'une chambre sans murs.
Nous irons ensuite nous promener parmi les machines étonnantes que les sciences occultes ont inspirées aux savants. Musique ambulante où Linda ressemble à une colporteuse d'onguents ou de colifichets, Birgitte à une porteuse de voix et où je me sers d'une réverbe à ressort acoustique pour déplacer la réalité vers un monde imaginaire où les spéculations font vaciller les esprits les plus cartésiens.
La dernière pièce nous ramène sur la grande scène pour un chaos de citations plus improbables les unes que les autres. Les ondes hertziennes, radiophonie du passé ou modulation de fréquence en direct, rappellent les rayonnements visibles et invisibles, X et gamma, lumière et obscurité, mais aussi les voix oubliées des fantômes qui nous ont engendrés. En transformant celles des deux Scandinaves par de surprenants effets sonores, j'espère représenter l'enfer et le paradis que La chambre de Swedenborg annonce avant le grand saut.