Contrairement aux médias omniprésents et prétendument universels, la psychanalyse s'adresse à une personne à la fois. Pas de généralité, mais du cas par cas. Contrairement à la médecine qui se cantonne aux symptômes, elle recherche les causes, quitte à nous révéler ce que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes et qui détermine nos actes ou nos difficultés à vivre.
Il y a trois ans j'écrivais, sous le titre Jacques Lacan, poète circonlocutoire, l'influence prépondérante que sa pensée eut sur moi qui n'ai jamais eu recours à la psychanalyse. À l'évoquer il me fait peser chaque mot que je tape, comme s'il possédait un sens double que sa phonétique ou la syntaxe de la phrase révèlent.

Le film de Gérard Miller, Rendez-vous chez Lacan, comble un vide. Il n'existait qu'un seul DVD sur Jacques Lacan (édité par Arte) où figurent la conférence de Louvain, un petit entretien avec la réalisatrice Françoise Wolf et un documentaire maladroit d'Elisabeth Roudinesco. Avec l'émission Radiophonie et quelques rares documents en ligne sur ubu.com, le film majeur Télévision réalisé en 1973 par Benoît Jacquot et Jacques-Alain Miller (que le psychanalyste réussit alors à imposer en deux parties le samedi à 20h30 sur la première chaîne !) n'est toujours pas publié en DVD, alors qu'il exista en VHS et est vendu (virtuellement) sur le site de l'INA. Gérard Miller a rencontré Lacan grâce à son frère Jacques-Alain, fidèle élève qui rédigea le Séminaire et qui épousa sa fille Judith. Il en tire un portrait fidèle pour qui sait lire entre les lignes ("Gardez-vous de comprendre !" est l'antidote à toute conclusion hâtive), une analyse simple et précise (son "Je dis toujours la vérité" rime avec "les poètes ne mentent pas, ils témoignent" de Jean Cocteau), mêlant humour et pertinence ("Soyez lacaniens si vous le voulez... Moi, je suis freudien"). Gérard Miller interroge des patients de Lacan, ses élèves, mais aussi ses proches, pour tenter de comprendre qui était l'homme derrière le mythe ("L'inconscient est construit comme un langage", "Ce que Freud rappelle, c’est que ce n’est pas le mal mais le bien qui engendre, qui nourrit la culpabilité", "L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas"). Il pénètre dans son cabinet et son appartement, reproduit les rares photographies qui existent, son commentaire s'adressant paradoxalement au plus grand nombre pour lever le voile sur le mystère Lacan. En bonus, les deux entretiens avec son frère Jacques-Alain et Judith, ainsi que son propre commentaire, sont aussi passionnants que le film de 51 minutes (ed. Montparnasse, sortie le 7 février).