jeudi 19 janvier 2012
8. American Way of Life
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 19 janvier 2012 à 00:02 :: Roman-feuilleton
Nous nous sommes réveillés seuls à la maison. J'ai enfilé mon short pour aller ramasser le courrier, mais il n'y avait rien dans la boîte. J'espérais une lettre de Maman. Pam et Mona étaient parties au horse show. En plus d'être championne de natation, Pam donne des leçons d'équitation, mais ces jours-ci elle est préoccupée par Billy qui est malade. Une carotte avalée de travers ? Je me moque bêtement parce qu'à la maison on ne parle que de lui depuis deux jours. Nous les rejoignons à ce qui s'avère être en effet un concours hippique où Pam gagne le Grand Prix sur Rusty ! Nous allons fêter sa victoire au restaurant mexicain qui jouxte un bazar où Agnès dégotte un grand collier doré avec au bout un chapelet de minuscules clochettes qui tintent au moindre mouvement. Je craque pour un panneau rouge et noir avec une tête de mort entouré d'éclairs où est inscrit "Danger - High Voltage - Keep Away". Pour une fois que je l'accompagne faire du shopping, il pleut. Jeff me passe des disques de Jefferson Airplane, des Doors et It’s a Beautiful Day tandis que Pam entraîne ma sœur chez Nancy regarder la télé, pour changer.
Avec le retour du soleil nous décidons de passer la journée à Coney Island, une gigantesque fête foraine. Nous y restons sept heures à essayer toutes les attractions, les Rocket Ships, le Land of Oz, la Ferris Wheel, les Flying Scooters, le Bat Cave Dark Ride, le Skydiver... Le truc le plus éprouvant est une sorte de Scenic Railway dont les tournants sont à angle droit : les petites voitures où nous montons à quatre les uns derrière les autres sortent à chaque virage et sont rattrapées in extremis par l'arrière du véhicule en produisant un choc monstrueux qui le fait pivoter d'un coup sec et le recentre sur le monorail. Ma colonne vertébrale se démonte et se recompose sans cesse. J’ai l’impression de jouer aux osselets de tout mon corps, ô ironique danse macabre. Oh oui, comme c'est très haut nous avons chaque fois l'impression que le manège est cassé et que nous allons être éjectés avec le bolide. Ma sœur hurle qu'elle va s'envoler, mais on ne l'entend pas. La nuit est tombée lorsque Jeff me propose de refaire un dernier tour. Je n'ai pas voulu me dégonfler. Faut-il être débile ! On a cru en crever. En rentrant Agnès et moi regardons Helene of Troy jusqu'à 2h30 du matin, et le lendemain, les dessins animés du samedi matin.
Ce soir Jeff a emprunté une décapotable plus grande pour aller voir How To Save a Marriage and Ruin Your Life et Casino Royale au Drive-in Theater. C’est un cinéma en plein air pour les voitures. (Bande-son de Casino Royale in situ) Il y a des haut-parleurs individuels plantés de chaque côté de la Buick. Si les fauteuils sont évidemment extrêmement confortables, on est trop loin de l'écran pour profiter correctement du spectacle, d'autant qu'on entend le train et des sirènes de police qui ne sont visiblement pas dans le film ! Beaucoup de jeunes s'en fichent, plus préoccupés à flirter qu'à assister à la projection. Il est néanmoins super agréable d'aller se chercher des milk-shakes et du pop-corn à la guérite qui reste tout le temps ouverte. Je me damnerais pour des milk-shakes au chocolat, mieux, pour des thick-shakes dans lesquels la paille tient toute seule tellement ils sont épais. Le premier film est une comédie avec Dean Martin, le second une parodie délirante de James Bond avec David Niven, Peter Sellers, Ursula Andress, Orson Welles et même Jean-Paul Belmondo dans le petit rôle d'un légionnaire.
Bonne nouvelle. Mr Bornstein a téléphoné pour nous annoncer qu'il a une adresse pour nous à Fort Worth, sur la route vers El Paso où nous sommes invités. Nous avons sympathisé avec sa femme et lui lors de vacances en Sicile l'année dernière. Ce sont des Juifs allemands qui ont fui le nazisme en 1933. Nous appelons donc les Greyhound pour connaître les horaires envisageables. Nous aurons passé tout le mois de juillet à Cincinnati, la Queen City, assez pour nous faire une idée de la vie américaine et nous armer pour la suite de nos aventures de globe-trotters. Après avoir fait nos valises, Agnès n'a perdu qu'un peigne et un stylo, nous regardons la télévision tout l'après-midi, passons chez Booke vers six heures et rentrons un peu après neuf heures, car nous nous levons très tôt pour attraper le bus. Nous avons un peu d'appréhension à reprendre la route après trois semaines à nous la couler douce.