vendredi 20 janvier 2012
9. On The Road Again
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 20 janvier 2012 à 00:00 :: Roman-feuilleton
Le réveil sonne à 3h30 a.m. Wes nous conduit à la gare une heure plus tard alors que nous ne nous démarrons que vers 6h. Nous sommes de drôles de touristes à ne connaître parfois des villes que leurs gares routières. À Louisville, depuis derrière les vitres nous apercevons ses maisons en briques rouges percées de vitraux rococos. Passant du Kentucky au Tennessee nous n'entendons ni country music à Nashville, ni soul à Memphis. Pas grave, ce n'est pas mon truc. Le rock 'n roll est d'une autre époque et le blues est trop conventionnel pour me plaire. Par contre, le Tennessee me rappelle une chanson de Davy Crocket que je chantais quand j'avais cinq ans. (chanson de Davy Crocket enregistrée lorsque j'avais cinq ans) C'était un des héros de mon enfance. Sinon, ce que nous appelons pop se dit rock, ici c'est la variété qui est pop, comme populaire ! Avant d'arriver à Memphis nous tombons en panne. Attente sur le bord de la route sous de grands arbres. Nos valises n'ayant pas suivi quand le nouveau car vient nous chercher, nous sommes obligés de les envoyer directement à El Paso. Quelle guigne ! Nous voilà quasiment à poil. Le soir tombe. Cela fait vingt quatre heures que nous roulons lorsque nous arrivons à Dallas. À la halte précédente, un connard avec un chapeau de cow-boy nous enquiquine parce que nous avons sorti un paquet de cigarettes. Lui aussi, il a trop regardé la télé, à croire que les Marlboro ne sont destinés qu'aux vrais cow-boys. Nous avons le droit au couplet sur la jeunesse qui n'est plus ce qu'elle était, et qu'est-ce que nous fichons là à notre âge, et que nous devrions reprendre le prochain car dans l'autre sens... Sa leçon de morale prend une plombe, d'autant que nous ne comprenons rien à son accent texan et que nous ne sommes jamais certains de ce qu'il vient de mâchouiller. On est remontés à bord sans avoir eu le temps de boire un jus d'orange. Nous nous rattrapons à Dallas avec un bon petit déjeuner avant de repartir pour Fort Worth. Nous n'étions pas très rassurés dans cette ville où Kennedy fut abattu il y a cinq ans. Le Texas a la réputation d'être peuplé de fachos obtus avec holsters à la ceinture, prêts à défendre leur pétrole et leurs grands espaces à coups de flingues si besoin est.
Heureusement Mrs Magnus nous accueille à la gare et nous emmène manger un cheeseburger avec des French fries (des frites !) avant de rejoindre son mari à sa boutique de gifts. C'est plein de posters et de trucs hippies. Agnès repère tout de suite les vêtements pour filles. Après le déjeuner dans une cafétéria nous visitons le musée d'Histoire qui tempère nos préjugés. L'ignorance est la mère des idées préconçues. Arrivés chez les Magnus, prendre une douche est salutaire, pour tout le monde ! Il fait une chaleur accablante et les trajets en bus sont épuisants. Le soir nous visitons la vieille ville. On se croirait dans un western. Je prends des photos, mais elles se révèleront toutes sous-exposées. Dans un magasin où sont placardées des affiches fluorescentes j'achète un collier avec le signe de la paix. J'avais découvert ce symbole pour la première fois sur la pochette d'un disque d'une conférence de Jean Rostand dans le cadre du Mouvement Contre l'Armement Atomique (M.C.A.A.), pour le Désarmement Général et la Paix par le Désengagement dont il était le Président d'honneur. Mes parents, qui étaient allés l'écouter à la Mutualité, m'en avaient rapporté un exemplaire dédicacé par le célèbre biologiste aux grosses moustaches. Fils de l'auteur de Cyrano de Bergerac dont la tirade des nez n'avait aucun secret pour moi, il avait écrit : "La science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d'être des hommes." Je suis ravi de ma trouvaille que j'enfile aussitôt autour de mon cou.
La suite du voyage voit se succéder désert après désert. Toute une journée. Invariablement. L'air conditionné fonctionne à bloc. Du sable et des puits de pétrole. Comme de grands métronomes auxquels on aurait fixé un marteau qui frapperait l'air chaud sans jamais le toucher. Le soleil passe d'une fenêtre à l'autre. Lentement. Inexorablement.