Croiser Jean-Pierre Mocky au bar du Théatre du Rond-Point juste avant de pénétrer dans la grande salle m'a rappelé le ton et la voix de Roland Dubillard tout au long de la pièce dont il est l'auteur et que Anne-Laure Liégeois a encore cette fois remarquablement mise en scène. La mémoire fait justement partie des thèmes de La maison d'os en représentation jusqu'au 11 mai à Paris. Comment oublierais-je le Flamand des compagnons de la marguerite ou le prof de gym de La grande lessive qui ont marqué mon enfance ? Mais il s'agit avant tout d'une pièce sur les rapports de classe d'un vieil homme à la porte de la mort et de ses serviteurs aussi dévoués que critiques. L'humour grinçant fait passer leur relation sordide composée d'un savant cocktail de déférence et d'insolence que seule la promiscuité autorise. Sharif Andoura, Sébastien Bravard, Olivier Dutilloy, Agnès Pontier jouent avec brio les serviteurs de cette maison qui s'écroule comme son maître interprété par Pierre Richard qui échappe enfin au rôle du distrait pour jouer à cache-cache avec la mémoire et la mort.


La langue, extrêmement travaillée, oscille entre le cru et le cuit, châtiée ou vulgaire sans fondu ni préliminaires. Anne-Laure Liégeois construit sur le grand plateau un palais qui s'effrite, les marches de l'escalier profitant de la lumière de Dominique Borrini pour créer un effet cinétique brouillant délicatement la vue tandis que les sons de François Leymarie venus des cintres suggèrent sans équivoque la chute de la maison d'os. Le public du Théâtre du Rond-Point saura-t-il se reconnaître dans cette mascarade bourgeoise où la fin d'un monde et de chacun s'annonce inéluctable ?

Illustration de Stéphane Trapier
Photo d'Olivier Dutilloy et Pierre Richard par Christophe Raynaud De Lage