En sortant de l'exposition
Le monde enchanté de Jacques Demy je me suis posé une flopée de questions. Inconditionnel des
Parapluies de Cherbourg, des
Demoiselles de Rochefort,
Peau d'âne,
Une chambre en ville et de quelques autres de ses films qui m'accompagnent depuis si longtemps, je me demande à qui s'adresse ce genre de présentation. À connaître son œuvre par cœur on ne peut qu'être touché par les documents exposés, mais ce fétichisme laisse toujours sur sa faim. Si l'on est étranger à son univers mieux vaut voir les films que suivre les explications des guides ou lire les cartels sur les cimaises. Les extraits projetés et les casques audio ne remplacent pas l'immersion hypnotique du spectacle cinématographique, d'autant qu'il manque fondamentalement à cet hommage la musique, beaucoup trop discrète pour recréer le rêve auquel nous pourrions aspirer. Le coffret de l'
intégrale DVD devient alors une acquisition indispensable. Idem avec le somptueux catalogue édité pour l'occasion par la Cinémathèque Française et Skira Flammarion, recelant, semble-t-il, plus de trésors qu'il n'en est donné à voir dans la scénographie, somme toute, modeste de ce monde en-chanté. Mais le catalogue vaut cinq fois l'entrée à l'expo (jusqu'au 4 août).
Avant de soulever les questions qui me tarabustent sur la nouvelle muséophilie, je souhaite dévoiler quelques pistes qui m'ont particulièrement ému :
Jacques Demy restera physiquement le même jusqu'à sa mort, éternel rêveur adolescent ; comme Jean Cocteau il ne cessera de s'intéresser à la jeunesse, toujours attentif aux nouvelles formes de vie et de création ; le vague à l'âme de ses photographies et de ses tableaux rappellent Hopper ou Hockney ;
Agnès Varda est évidemment très présente, mais les deux œuvres semblent indépendantes ; le rêve est plus sûr que la réalité...
Et puis j'ai rapproché cette visite de celle de
Dynamo la veille. Aujourd'hui les expositions attirent le grand public, mais l'art a disparu. C'est devenu un phénomène culturel. Jean-Luc Godard rappelait : "La culture est la règle, l'art est l'exception."
Dynamo est ludique, c'est chouette, pouvait-on attendre de sa thématique autre chose qu'un terrain de jeu ?
Le monde enchanté de Jacques Demy respire une nostalgie mélancolique, c'est sympa, mais l'art a disparu avec son mystère. N'est-ce plus affaire que de marketing ? Le nombre d'entrées est devenu plus important que les conditions de monstration ! L'arsenal pédagogique se déploie aussi sûrement que le commerce des objets dérivés. Pourquoi faut-il que le plus grand nombre rime avec l'éradication des ombres ? À vouloir faire du chiffre, la démocratisation de l'art signe sa mort là où on aurait pu imaginer jouer des perspectives de la magie de l'invisible. Cela se réalisera ailleurs, là où le concept de rentabilité fait sourire, dans de nouveaux espaces à inventer, griffonné dans les marges des cahiers de compte, sur les murs, sur les ondes... La proximité des œuvres permettra néanmoins à certains de traverser le miroir, mais les rencontres ne se commandent pas, elles se travaillent, naissant de l'amour ou de son manque... À vouloir tout expliquer on en perd la raison. La question du pourquoi doit rester infinie.