mardi 23 avril 2013
Catherine Ribeiro, la transe retrouvée
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 23 avril 2013 à 00:14 :: Musique
Saut d'obstacles, toboggan, danse de Saint-Guy, la gymnastique qui consiste à vivre n'évite pas la marche arrière. Après l'apprentissage s'invite la rébellion. Mais plus on avance plus on recule. On passe sa vie à fuir le passé et y revenir. Le futur, lui, n'existe pas. Il ne se conjugue pas au présent quand le passé ne cesse de se rappeler à notre bon souvenir. Loin de toute nostalgie, la curiosité ou la nécessité poussent à déterrer les racines de l'être complexe que nous sommes devenu. Notre mémoire est saturée. Il faudrait une autre vie pour se souvenir de la sienne. On réécrit sans cesse l'histoire. On la réduit. On la fige. La vérité est une savante construction d'oublis et de dénis, de fausses pistes et de croisements, de retours en arrière et de projections, de rêves et de désillusions, de notes exhumées et de corbeille à papier. S'il leur arrive d'être révélés, les vestiges du passé découvrent parfois un bout du chemin que nous avions emprunté. Ce qui avait paru inné ou choisi s'avère dicté par la rencontre. Les plus déterminantes peuvent nous entraîner loin des avenues surpeuplées où le monde marche au pas, ou bien nous enrôler dans les armées conventionnées où le doute n'aura plus jamais voix au chapitre. On quitte le monde de l'enfance quand, vers six ans, la réponse anticipe toute question. L'école broie les poupées gigognes que l'on appelle pourquoi. La suite semble irréversible, sauf aux poètes, amateurs fidèles d'un monde auquel ils ne peuvent croire. Certains le paient de leur vie, prématurément ; d'autres s'en nourrissent, avidement. Subtil équilibre. Rien n'est immuable. Rien n'est éternel. Un jour, la marée rapporte ce que l'on croyait oublié. Cocteau témoigne : en bas, la mer ce matin recopie cent fois le verbe aimer.
Catherine Ribeiro était un vague souvenir, un nom écrit sur le sable. Une photo où l'ami Claude Thiébaut servait le vin à la tablée. Comment s'était-il retrouvé au percuphone, l'un des instruments incroyables construits par Patrice Moullet, le frère de Luc ? Catherine Ribeiro était ma troisième voix, avec Brigitte Fontaine et Colette Magny. Sérieuse rockeuse en transe quand la fragile Brigitte et la solide Colette incarnaient le jazz, le free et un certain contempo qui ne trouverait jamais son nom. Tout cela n'était qu'illusion. Ces trois prêtresses marchaient toutes sur la corde raide, vocale, politique, lyrique, révolutionnaire, parfois tombaient, se relevaient toujours. Ces muses me donnèrent le courage de gueuler dans notre désert encombré. D'avoir joué avec les deux autres, j'oubliai celle qui hurlait le plus fort, de sa voix chaude de pasionaria meurtrie, la plus psychédélique aussi. Il était logique qu'en abandonnant nos expériences lysergiques nous la délaissions pour de nouvelles aventures. La douleur s'apprivoise. N'est-ce pas, les filles ?
Un coffret rassemble les quatre premiers albums de Catherine Ribeiro et du groupe Alpes : n°2, Âme debout, Paix, Le rat débile et l'homme des champs (1970-74, Mercury). Avec 2bis qui les précède, ils me renvoient à mon adolescence, toujours présente. Comme Répression ou Comme à la radio. Colette est morte en 1997 ; il serait temps que la jeunesse la découvre. Catherine s'est fait discrète, ne retrouvant jamais la fougue de la sienne, avec ses rythmes envoûtants et les envolées électriques du cosmophone furieusement côte ouest. Seule Brigitte a survécu, renaissant de ses cendres il y a vingt ans. La persévérance garantit la persistance. Mais après ? Après, on ne sait rien. Voilà pourquoi on avance toujours en jetant un œil dans le rétro.