Il y a deux bonnes raisons d'acquérir le coffret d'Alain Robbe-Grillet. La première vaut pour la qualité des trois premiers films, la seconde pour l'inventivité sonore exemplaire de Michel Fano sur les six premiers. En bonus les savoureuses présentations de Catherine Robbe-Grillet, de son nom de plume Jean(ne) de Berg, célèbre maîtresse du BDSM, et les entretiens avec celui qui fut surnommé "le pape du Nouveau Roman".
Michel Fano, qui incita Robbe-Grillet à passer de la littérature au cinéma, ne trouvera jamais meilleure collaboration pour mettre en pratique son concept de partition sonore. L'organisation des sons (bruitages, musiques, voix) y est musique et fait sens, participant de manière active au scénario, ponctuant et soutenant l'action de manière complémentaire. Il sait jouer des références culturelles ou construire des évocations que chaque spectateur interprète à sa façon. Les sonorités se transforment en une alchimie syntaxique où les filtres et résonances malaxent la matière pour créer un véritable langage accordé avec les fantaisies du réalisateur.
Leurs trois premiers films sont des merveilles : L'immortelle (1963) tourné dans une Istambul aujourd'hui perdue, le chef d'œuvre Trans-Europ-Express (1966), sorte de polar gigogne où l'on sent déjà poindre l'humour et le style bande dessinée à l'époque où Robbe-Grillet écrit L'année dernière à Marienbad pour Alain Resnais, et L'homme qui ment (1968) avec Jean-Louis Trintignant comme le précédent. Malgré ses recherches inventives sur l'écriture cinématographique où règnent le mystère et le rêve, Robbe-Grillet se complaît ensuite dans un érotisme de bazar où le sadomasochisme ne peut que mettre en scène un théâtre régressif en réponse au jeu du pouvoir. Ses faux-semblants ont quelque chose de potache dans cette sublimation de la sexualité. Décors, accessoires et costumes apparaissent désormais pour ce qu'ils sont, des artifices. On pourrait s'en délecter si le rythme n'en devenait monotone à force de vouloir nous faire croire au sérieux de l'entreprise. L’Éden et après (et sa version télé N. a pris les dés..., 1971), Glissements progressifs du plaisir(1974), Le jeu avec le feu (1975), La belle captive (1983), C'est Gradiva qui vous appelle (2006) ne sont que des contes de mille et une nuits dont les acteurs perpétuent des jeux d'enfants terribles où la transgression est plus amusante que provocante. Il n'empêche que nous avons affaire à un véritable auteur qui offre une vision très personnelle de ce qu'il était coutume d'appeler le cinématographe. (Ed. Carlotta)