Dilution du réseau
Par Jean-Jacques Birgé, lundi 9 décembre 2013 à 00:04 :: Perso :: #2715 :: rss
Nombreuses questions sur l'usage et la fonction des réseaux informatiques me tarabustent. La nuit, après avoir mis en ligne mon article quotidien sur le blog drame.org et son miroir sur Mediapart, je noue un lien depuis Twitter, FaceBook et Google+. Ensuite, avant d'aller me coucher, je longe le Mur de FaceBook qui livre quantité d'informations en tous genres, détails intimes, scoops informatifs, bons plans, images, films, musiques à découvrir, spectacles à ne pas manquer, fais passer à ton voisin... Je m'interdis de répercuter ces brèves dans mes articles sans en proposer une interprétation personnelle... Les redirections ne peuvent constituer un blog et la brièveté de Twitter rend ses messages télégraphiques trop superficiels pour m'intéresser. Il existe tant de perfusions-minutes que la lecture du Monde Diplo fait figure de vacances au milieu de cet embouteillage. Certains jours, par exemple lors des décès de célébrités, la fréquentation des réseaux devient suffocante. Chacun y va de sa larme ou de sa sentence avant de retourner dans son isolement passif que le réseau rend illusoirement collectif et militant. Le virtuel ne donne que l'illusion de l'engagement. On se débarrasse de sa mauvaise conscience en signant de temps en temps une pétition. Bienvenue dans le désert du réel ! Une conversation est un chant choral où les voix s'entremêlent sans qu'on ait besoin de remonter à la ligne précédente pour comprendre à quelle phrase on vient de répondre. Sous la frappe du clavier chaque intervention exprime la solitude. Même la générosité du partage devient suspecte.
À chroniquer films méconnus, musiques rares, livres magiques, j'en viens à copier les professionnels et mon style se délite. D'autant que je fais attention de ne jamais déflorer l'intrigue. Je hais les spoilers qui ne me donnent plus envie d'aller y voir par moi-même. Donner des pistes, c'est ce que prétend faire le réseau. Pour gagner mon pain, je vais chaque matin au marché. On y vend des mensonges. Plein d'espérance, je prends place parmi les marchands. La conspiration du bruit est assourdissante. Le silence ne peut représenter qu'un passage, un recentrage indispensable pour ne pas se perdre dans la forêt des fausses certitudes. J'ai parfois honte d'en rajouter. Comment ne pas être qu'une voix de plus, une voie de garage où les locomotives viennent mourir, asphyxiées par les vapeurs du charbon ? Je ne peux pourtant pas garder pour moi seul les présents qui m'ont été offerts généreusement. La circulation est tellement plus importante que la propriété. Mais on a bitumé les routes et les baraques ont toutes la même couleur. Les gosses qui écrivent dessus ne savent que taguer leur nom. Comme les chiens que traînent leurs maîtres. Le moindre coup de pinceau créatif est une lueur d'espoir. Mon billet déborde de contradictions. J'oscille entre la mémoire et l'oubli. Il faut que je m'en aille.
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