Les Anonymes – Un' pienghjite micca est le dernier film de Pierre Schoeller après L'exercice de l'État. Il met méticuleusement en scène les quatre-vingt-seize heures de garde à vue qui suivent l'assassinat du Préfet Claude Érignac à Ajaccio le 6 février 1998 après un an d'enquête. Diffusé sur Canal + en mars 2013, le téléfilm est ensuite passé en octobre-novembre le dimanche matin au cinéma du Panthéon. Le DVD lui offre une nouvelle sortie.
Après ces deux heures de huis-clos j'ai l'impression d'avoir été passé moi-même à tabac par les policiers de la Division nationale anti-terroriste (DNAT). Schoeller filme leurs méthodes musclées, les récupérations politiques des uns et des autres en restant toujours factuel. Les références historiques sont relativement maigres à part un subtil mélange d'archives et de reconstitution fictionnelle ne faisant que resituer l'action dans la chronologie. Seul du groupe des Anonymes, Alain Ferrandi interprété par Didier Ferrari finira par exprimer ses motivations contre l'État français. L'opacité qui accompagne depuis des décennies les actions des mouvements nationalistes corses ne sera pas dissipée. Schoeller soigne essentiellement le climat, laissant ses acteurs improviser les scènes d'interrogatoire devant la caméra, mélangeant la langue corse au français pour s'approcher d'une vérité qui n'est que celle de chacun, jouant du montage pour dynamiser les dialogues et donner à la fiction des allures de documentaire. Avec sa pâle imitation d'accent corse Mathieu Amalric est-il à côté de la plaque ou est-ce un effet de style pour jouer justement d'une distanciation insistant sur l'interprétation du réalisateur ? Car tous les autres comédiens sont remarquables, véritables Corses ou acteurs du continent. Les Anonymes – Un' pienghjite micca me rappelle L.627, le meilleur film de Bertrand Tavernier, pour son rapport au quotidien, fut-il ici strictement opérationnel. Plutôt qu'un thriller à rebondissements, Schoeller livre un film de situation comme la dernière fantaisie de Guillaume Nicloux, L'enlèvement de Michel Houellebecq passée récemment sur Arte. Sauf qu'ici le crime est sérieux, l'affaire toujours pas résolue (Yvan Colonna a saisi la Cour européenne des droits de l'homme, estimant qu'il n'a pas eu le droit à un procès équitable) sans parler du statut de la Corse toujours en but à des vendettas dont on ne sait si elles sont maffieuses ou indépendantistes.