Les internautes qui passent des heures à zapper d'une info à une autre se rendent-ils compte qu'ils reproduisent une pratique que souvent ils critiquèrent dans le passé avant que la télévision ne soit détrônée par le Web ? Le butinage est une activité chronophage où se noie tant de monde dans l'immensité encyclopédique immédiatement accessible.
Lorsque j'étais petit nous n'avions que la radio et les livres, puis la télévision fit son apparition. Il n'y eut qu'une seule chaîne jusqu'en 1964 et la couleur n'arriva qu'en 1967. C'est à cette époque que mes parents ont loué un poste chez Locatel. L'acquisition dispendieuse est venue plus tard. On commençait par voir si cela valait le coup. L'offre restreinte nous faisait découvrir toutes sortes de programmes. On voyait tout. Il faudra attendre d'avoir six chaînes pour que le zapping devienne une pratique courante. Avec six boutons de la télécommande on pouvait réaliser un excitant montage sauvage. L'arrivée du satellite rendit cette pratique plus complexe jusqu'à ne plus avoir d'intérêt lorsque des centaines de chaînes devinrent accessibles. Et leur spécialisation tua l'universalité.
Pendant ce temps la Toile étendait ses filets grâce aux liens facilement cliquables. Ces appâts anadiplosiques hypnotisent les nouveaux zappeurs qui ne peuvent plus se détacher de leur écran, prisonniers de ces "chansons" en laisse. Contrairement aux livres qui peuvent laisser une trace mnémotechnique (par leur emplacement et leur présentation physiques) les informations glanées ici et là s'effacent aussitôt de la mémoire à l'instar de l'écran. Je fais évidemment référence au zapping de divertissement et non à la recherche ciblée où Internet est d'une assistance inégalable. Comme le zapping d'antan le butinage tous azimuts fait partie de la junk culture où la consommation rapide est un des fondements du décervelage, confortant les préjugés, écrasant la critique, au profit d'une jouissance individuelle de l'instant. Des communautés s'identifient pourtant dans les milliards de documents partagés, mais chacun chez soi. La participation interactive fait illusion en masquant la passivité effective des intoxiqués.
Si vous aviez un doute sur ma comparaison remarquez qu'ils répondent par exactement les mêmes arguments qu'ils employaient du temps du zapping.