lundi 27 avril 2015
Elektro Moskva, un portrait de la Russie
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 27 avril 2015 à 00:46 :: Musique
Elektro Moskva ravira tous les amateurs de musique électronique, les fans de circuit bending, les adeptes de l'improvisation libre, les curieux de la Russie d'hier et d'aujourd'hui, d'autant que le film plonge les résistants bidouilleurs dans une ambiance post-apocalyptique très à la mode dans les récits d'anticipation actuels. Les rêves sonores de ces musiciens russes puisent leurs sources dans la misère quotidienne d'un peuple qui en a vu de toutes les couleurs avant, pendant et après la révolution. Le montage des documents d'archives soviétiques, leurs commentaires aussi épiques que romantiques, les témoignages des acteurs passionnés, l'utilisation du 5.1 adéquate au sujet placent le film de Dominik Spritzendorfer et Elena Tikhonova parmi les meilleurs documentaires musicaux à côté de Step Across The Border ou Straight No Chaser. Ajoutez-y Leon Theremin filmé et interviewé en 1993 par Sergey Zezjulkov quelques mois avant la mort du génial inventeur, document exceptionnel d'un film qui ne verra jamais le jour et qui aura mis vingt ans à nous parvenir et vous aurez tout ce qu'il faut pour que Elektro Moskva devienne incontournable.
La citation de Lénine "Le Communisme, c'est le gouvernement des Soviets plus l’électrification de tout le pays" trouve son écho dans les fantasmes des musiciens électroniciens russes. L'histoire de leurs synthétiseurs devient une allégorie de la vie quotidienne au temps des Soviets. Ils trouveront d'abord dans les poubelles de l'Armée rouge les composants qu'ils assembleront empiriquement, puis ils voleront des pièces détachées au KGB, arpenteront les marchés aux puces pour finir chez les marchands de jouets chinois qu'ils détourneront !
Les musiciens russes abhorrent les instruments occidentaux formatés pour préférer la bidouille de l'objet unique. Ils privilégient la surprise de l'expérimentation à la sécurité et revendiquent l'improvisation qui place le processus au dessus du résultat. La répétition les ennuie, ils veulent se coltiner à la matière. Les musiciens Alexey Borisov, Stanislav Kreichi, Dmitriy Morozov a.k.a. Vtol, Richardas Norvila a.k.a. Benzo sont les acteurs passionnants de ce documentaire de création.
Mais le clou du film est évidemment le vieux Lev Sergueïevitch Termen dit Leon Theremin qui n'est pas seulement l'inventeur du premier instrument de musique électronique en 1920. Rappelons que l'on joue du Theremin sans le toucher, en bougeant les mains dans un champ électromagnétique émis par deux antennes. Mais Lénine est plus intéressé par sa déclinaison, le Signalling Apparatus, une alarme anti-voleurs. En 1926 Theremin construit secrètement un système de télévision pour l'armée pour surveiller les frontières. En 1931 il construit pour Henry Cowell le Rythmicon, première boîte à rythmes électronique. En 1932 c'est le Terpsitone qui convertit les mouvements des danseurs en notes de musique. Le KGB lui commande un système d'écoute indétectable qui permettra entre autres d'espionner l'ambassade des États Unis à Moscou. Dans le film Theremin parle de ses dernières inventions, un traitement permettant de rajeunir et un autre rendant la vie aux trépassés !
Dans Elektro Moskva les musiciens russes érigent un hymne au bruit, étudiant le chaos indéfiniment en se servant d'instruments faits de bric et de broc et enregistrant des field recordings complètement destroy. Leur morale reflète l'état du pays : "rien ne fonctionne, mais tirons-en le meilleur parti !" Loin d'être en arrière, leurs propos sont peut-être prémonitoires de ce qui nous attend, que ce soit due à la crise économique fabriquée par de cyniques financiers qui assèchent la planète ou parce que la décroissance est écologiquement inéluctable.
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