Chaque soir en entrée de jeu Blaise Merlin rappelle : "Loin des standards sous vide, du trac boursier et des identités contrôlées, bienvenue en zone de « Libre-Étrange » : un territoire aux frontières indéfinies où la production d’infini l’emporte sur le produit fini !" Si la plupart des artistes s'étaient déjà produits à l'Atelier du Plateau le Festival La voix est libre offre un autre espace de rencontres inattendues entre la musique et d'autres formes d'expression artistique.
Grand moment du festival, le duo du clown Ludor Citrik et du musicien Médéric Collignon tient de ce nouveau cirque où l'impossible devient le réel. Le clown destroy aura beau tondre l'improvisateur virtuose, lui briser son clavier, il se retrouve malgré lui la marionnette de ce clown blanc qui le prend dans ses filets vocaux. On peut seulement regretter que la scène soit frontale à la place de la piste, le cercle faisant saillir le danger de tous côtés.


La seconde soirée au Cirque Électrique étant organisée sous le signe de l'Humanimal, de véritables animaux jouèrent les faire-valoir des facéties des "autres bêtes de scène". Des bestioles en plastique de Cyril Casmèze au cheval peinturluré de Netty Radvanyi en passant par le chat amorphe de Sébastien Barrier et le perroquet docile de la trapéziste Hélène de Vallombreuse, aucun ne pouvait dissiper le malaise que génère le dressage, alors que leurs maîtres sont tous des artistes sauvages (en opposition aux artistes d'élevage). Ils ouvrent néanmoins les portes du rêve que certains assimilent à la poésie dès lors que la réalité glisse sur des peaux de banane qui lui font perdre au moins un de ses paramètres.


Le quatuor Hoye + Wormholes échappa au simple collage en réussissant à faire dialoguer les peintres Vincent Fortemps et Mazen Kerbaj dont les improvisations étaient projetées sur deux écrans mitoyens et les guitaristes Jean-François Pauvros et Sharif Sehnaoui dont l'électricité rimait avec les lumières et les ombres. Les matières fusionnaient, les structures se cabraient, avec comme seul bémol la longueur de la prestation, point noir de presque toutes les contributions du festival, relayant les derniers à jouer devant une salle privée des angoissés du dernier métro. Cet égoïsme égotiste dessine une ombre au tableau du partage, revendication légitime d'un festival dont les sous-entendus politiques sont explicites.


La musique jouant des évocations plutôt que de montrer les êtres et les choses, les musiciens sont à leur avantage dans la confrontation avec les circassiens. Ainsi la chanteuse Violaine Lochu restructure avec quantité de fantaisie le numéro de trapèze, le violoniste Théo Ceccaldi transforme le cheval en centaure, le violoncelliste Gaspar Claus redonne sa hauteur à la scène en balançant son violoncelle vers les cintres...


Les hauts parleurs Fantazio, Charles Pennequin, Pierre Meunier et Élise Caron, accompagnés par le percussionniste Benjamin Colin dont le solo d'élastique électrique quasi hendrixien enthousiasma la foule, offrirent une performance cocasse, improvisation débridée autour d'une table transformée en petite cène. L'heure tardive et la fatigue aidant, la prestation de chacun et chacune révélait son caractère intime, de la timidité vaincue à la provocation bienveillante.