Le fantôme de John
Par Jean-Jacques Birgé, vendredi 18 décembre 2015 à 00:17 :: Musique :: #3260 :: rss
Mathilde Morières a mis en ligne une première mouture du film sur son père, le musicien Jean Morières, compositeur, improvisateur et inventeur de la flûte zavrila, disparu brusquement en janvier 2014. Elle a découpé ce très bel hommage en trois parties : Épreuve #1-Rien n'est vraiment perdu, Épreuve #2-Depuis que je voyage en musique..., Épreuve #3-La mort tout le monde s'en fout, le vide qu'elle laisse, ça... Il commence avec le concert auquel neuf d'entre de ses amis participèrent un an plus tard avec le pianiste Florestan Boutin. Dans les parties suivantes Mathilde s'inspirera de la musique jouée ce jour-là pour s'enfoncer dans les archives qu'elle a filmées les années précédentes lorsque Jean était là. Le fantôme de John joue des strates du temps qui communiquent par des portes que l'on peut croire imaginaires, quatrième dimension où la musique prend la clef des chants. Cette première partie respire le silence : un solo de Jean à la flûte zavrila, l'enregistrement à Radio France d'Un bon snob nu avec sa compagne chanteuse Pascale Labbé qui rejoint ensuite le clarinettiste Sylvain Kassap avant que ne résonne la harpe de porte que j'ai accrochée sur celle des toilettes...
Agnès Binet et Jean à la zavrila entament la seconde partie, mais il est ensuite remplacé par le saxophoniste François Cotinaud à la clarinette, le guitariste Jérôme Lefèbvre et la même accordéoniste tandis que nous partons en ballade, tant dans le montage qui s'accélère que dans les paysages géographiques et musicaux qui se succèdent. La fantaisie de Jean se révèle alors autant que ses préoccupations philosophiques et poétiques. Mathilde nous interroge tous les deux à Bagnolet sur l'époque de notre adolescence, avec Scotch entre nous deux qui se laisse caresser voluptueusement. Antoine et Fani, frère et sœur de Mathilde, se joignent à la délicate sarabande...
Jean accorde ma harpe de porte avant que nous répondions à Mathilde sur la créativité et la liberté. Jean aimait inventer des aphorismes et déconner sérieusement. À mon tour j'adapte l'une de nos interminables discussions pour clavier sampleur. La mort rôde sans que nous y prenions garde. Les bestioles le sentent. Eddy Bitoire, le double moqueur de Jean, ne fait que de brèves apparitions, pas assez à mon goût, tant ses provocations caricaturales étaient spirituelles et drôles. En clôture du concert au Conservatoire de Clichy-la-Garenne nous soutenons tous ensemble Pascale qui craque de la cruelle absence de Jean. Mais Mathilde le fait revivre par ses images et par la musique, une lande éternelle où nous allons de temps en temps voir là-bas si nous y sommes ou comment nous y serions, accostant alternativement aux rives du deuil et des naissances.
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