Carambolages au Grand Palais : 4. Le parcours sonore
Par Jean-Jacques Birgé, mardi 23 février 2016 à 00:21 :: Expositions :: #3304 :: rss
C'est seulement quand j'ai tout fini que je découvre véritablement ce que j'ai composé. À moins que je comprenne que j'ai terminé lorsque tout se met en place et se répond sans que j'ai l'impression d'avoir contrôlé toutes les occurrences ? La partition de l'exposition Carambolages au Grand Palais révèle d'autant mieux son étonnant équilibre qu'elle est constituée de 27 saynètes de durées à peu près identiques. Les miniatures de 1 minute 30 secondes ne seront néanmoins pas égales puisqu'elles sont diffusées en boucle et que donc chaque visiteur décide du temps qu'il passe devant chaque cimaise où sont accrochées plusieurs œuvres.
C'est d'ailleurs là qu'a résidé la difficulté : il eut été plus simple et plus juste d'imaginer une pièce sonore pour chaque œuvre ; composer une séquence qui colle à une demi-douzaine est compliqué pour éviter le pléonasme illustratif et trouver la complémentarité sonore recherchée face aux images. Jean-Hubert Martin a choisi 185 œuvres en tout pour son chapelet Marabout, bout de ficelle... Il a donc fallu extraire de chaque ensemble une sorte de résultante des forces, un paysage sonore qui les encadre comme un écrin de velours, tout doux ou très rêche, selon ce que le commissaire de l'exposition a voulu exprimer.
En réécoutant les séquences enchaînées les unes derrière les autres je découvre les charnières qui les assemblent. L'humain d'abord. L'ordre qui sort du chaos et y replonge (la boucle !). S'accorder. Le musée est une tautologie, on la boucle. La foule du carnaval glisse vers l'animalité. Les bestioles se répondent. On les parque. Le concerto pour une porte et un soupir est un chœur qui commence à battre. La comédie est-elle une répétition du drame qui la précède ? Le minéral est aussi sensuel que l'animal. Ce n'est qu'une question de distance, une question du temps passé, un goutte à goutte vers la concrétion. Ajouter du contraste. Faire jouer l'orchestre, tout l'orchestre avant que les éléments se déchaînent. Inévitable. Régression du mur des réinterprétations. Bascule. Nouveau niveau. Le jeu de construction devient un jeu d'enfants terribles. Le trou. Vertige cosmogonique. J'enfonce le clou pour prévenir l'horreur. Vivace pour l'oublier. Une autre régression. Les mouches autour. Il n'y a pas deux voix identiques. La nature est prise en étau entre la loi et ses conséquences désastreuses. Nous la rêvons et y mettons les doigts, tous les doigts. Si cela ne suffit pas, un pied dans la porte. Ouverture.
Cela ne m'appartient plus. Chaque visiteur, le casque sur les oreilles, y entendra autre chose. L'accompagnement musical crée des effets de sens différents selon l'œuvre que l'on regarde à tel moment, imprévisible. Sans compter ceux qui appuient sur un numéro qui ne correspond pas ou qui oublient de changer de musique parce qu'ils s'y sentent bien. Je ne parle pas de ceux que l'utilisation d'un smartphone irrite, ils peuvent arpenter les galeries dans le faux silence des musées, peuplé, plutôt qu'entrer en immersion, se fondre dans les œuvres, je n'ai encore rien dit des œuvres, étonnantes, bouleversantes, drôles, provocantes, apaisantes, menaçantes... À suivre !
Illustration : Nicola Van Houbraken, Autoportrait, vers 1720, huile sur toile ; 136 x 99 cm, Florence, galerie des Offices, © Gabinetto Fotografico della Ex Soprinten
Déjà parus : 1. Le regard / 2. Synchronisme et mp3 / 3. Suivez le guide
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