J'avais vu les deux films séparément, mais regarder le film de fiction Hannah Arendt après la projection du documentaire Un spécialiste lui donne tout son sens.
Eyal Sivan et Rony Brauman ont réalisé en 1999 un montage intelligent des archives tournées par Leo Hurwitz en 1961 lors du procès du criminel nazi Adolf Eichmann. Ils se sont inspirés du livre controversé de Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, insistant sur l'obéissance aux ordres d'un fonctionnaire minable plutôt qu'en en faisant un monstre comme d'autres l'auraient souhaité. Eichmann, responsable de la déportation de millions de juifs, mais également de tziganes et d'opposants au régime nazi, était sous les ordres du Général Müller comme de Himmler et Heidrich, vouant à Hitler une admiration sans bornes. Le procès, retransmis alors à la télévision, fut filmé à plusieurs caméras, avec des cadres soignés, l'accusation se réfléchissant par exemple dans la cage de verre où est enfermé l'ancien nazi. La responsabilité des conseils juifs est moins appuyée que dans le film de Margarethe von Trotta qui reprend l'analyse de Hanna Arendt. L'excellence du son, entre les mains de Nicolas Becker, Jean-Michel Levy, Krishna Levy, Yves Robert et Béatrice Thiriet souligne les ellipses et fictionnalise le documentaire pour en faire un opéra tragique dont l'humanité est le principal protagoniste.


Pour son film réalisé en 2013, Margarethe von Trotta ne choisit pas forcément les mêmes extraits d'archives du procès. J'ai l'impression qu'ils sont encore plus impressionnants. Barbara Sukowa est formidable dans le rôle de cette femme qui pense par elle-même, quitte à se mettre à dos les mauvaises consciences de la communauté juive. En cette période du glissement droitier où les immigrés sont parqués dans des camps, refoulés dans leurs pays d'origine où ils risquent la mort, où des murs construisent de nouveaux apartheids, où les flics obéissent aveuglément aux ordres d'une hiérarchie démente, le film est d'autant plus salutaire. De même que Eichmann est basiquement stupide, les citoyens qui ne se révoltent pas ne sont-ils tout simplement pas incapables de penser ? La lâcheté semble un facteur commun aux uns comme aux autres. Il faut du courage pour prendre à contrepied les ordres donnés et anticiper l'horreur qui ne peut qu'aboutir à de nouvelles culpabilités générant à leur tour des dérives catastrophiques. En reprochant leur attitude passive à leurs aînés les enfants d'Israël ont reproduit des schémas criminels qu'aucune honte ne saura effacer. Quelle nouvelle catastrophe en sortira ? Les victimes continueront-elles à se substituer à leurs bourreaux ? Jusqu'où sommes-nous complices des atrocités qu'engendre l'exploitation de l'homme par l'homme ? Hannah Arendt décrit parfaitement la banalité du mal.

Autour de Hannah Arendt, coffret Collector 2 DVD + le livre de Arendt, Blaq out, 25€