70 octobre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 31 octobre 2016

Éric Vernhes, spectres et prédictions


Faites-moi confiance. Allez-y ! C'est épatant. À deux pas de la rue de Bretagne, entre Arts et Métiers et République, Éric Vernhes a installé ses nouvelles pièces dont Intérieur est le morceau de résistance. Résistance est justement le titre de celle qui nous accueille à l'entrée de la Galerie Charlot. Une horloge rythme le temps du manque. Des sentences viennent se briser contre le cadre avec un bruit de verre brisé. Mais c'est un autre balancier qui attire mon œil. Il fait partie d'Intérieur, une installation sonore et visuelle composée d'un piano mécanique, d'un petit écran, d'une projection vidéo et de ce fichu balancier. Le temps s'écoule, le piano joue tout seul, des images extraites de films anciens défilent, une partition graphique se projette au-dessus du Yamaha midi. Comme dans toutes ses œuvres, l'aléatoire ravive sans cesse l'intérêt du spectateur. Car chez lui on n'est jamais visiteur. On reste, captivé, captif de ces machines infernales dont la complexité nous échappe, cachée sous l'élégance des formes. Le rond du poids rouge permute soudain avec les inscriptions hiéroglyphiques. Mais le piano joue toujours ses partitions contemporaines uniques qu'aurait adoré Conlon Nancarrow. Éric Vernhes a tout programmé lui-même sur le logiciel Max, mais il a aussi soudé le métal, poncé le bois, découpé le verre, converti les films super 8 trouvés aux Puces. Parce qu'en plus de fonctionner impeccablement, c'est beau et ça raconte des histoires, des tas d'histoires, une ouverture sur le rêve et un révélateur de l'inconscient. Qu'attendre de plus de l'art ?


Il y a trois ans Éric Vernhes exposait ses machines anthropoïdes. Deux ans plus tôt, la Galerie Charlot avait inauguré la première exposition de ce sculpteur audiovisuel dont les œuvres figurent toujours mes préférées parmi ceux qui utilisent les nouvelles technologies pour mettre en scène leur art. Sur le mur d'en face sont posées Figures 1, 2 et 3, Saison 1, des ikebanas (l'art japonais de faire des bouquets de fleurs séchées), un assemblage d'aluminium, maillechort, papier enduit et de l'électronique pour faire marcher tout cela, pour qu'en sortent des images et des sons, miniatures délicates de nus qui s'animent devant nos yeux ébahis. Une dialectique entre la mort et le vivant est partout suggérée. La pluie, le vent, des voix chuchotées accompagnent les scènes bibliques ou mythologiques qui tournent, tournent longtemps après leur mort. Mais nous sommes bien vivants, et nous descendons au sous-sol admirer La Vague, encore un balancier ! Les mouvements de la petite fille sont synchronisés avec le va-et-vient de l'horloge. Lunaire, elle joue à attirer et repousser les vagues. On entend tout. Le sac et le ressac. Comment mieux illustrer l'astuce de Jean Cocteau : "Quand ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs." ? Les enfants ont ce terrible pouvoir de nous faire percevoir le temps qui file.


Face à elle, Gerridae permet au spectateur d'interagir en posant la main à plat sur son cadre. Les «insectes» électroniques de cette mare virtuelle se transforment en phrases selon la structure du Yi King déjà utilisée par John Cage, 64 hexagrammes, autant d'ouvertures vers l'interprétation de chacun, chacune. Le générateur de texte mis au point par Jean-Pierre Balpe et Samuel Szoniecky produit des propositions poétiques aléatoires dignes de quelque Pythie moderne.


Et vous manqueriez cela ? Ce n'est pas sérieux ! Ne laissez pas traîner ces œuvres pour que vos enfants s'en emparent sans que vous n'y voyez rien... Au premier abord elles sont si ludiques. Mais très vite, en vous y penchant, vous verrez apparaître le spectre de vos ancêtres ou les prédictions de l'avenir ! L'inconscient a tout enregistré. Libre à nous de le libérer ou pas de son cabinet noir !

→ Éric Vernhes, Intérieur, exposition à la Galerie Charlot, 47 rue Charlot 75003 Paris, jusqu'au 3 décembre 2016

vendredi 28 octobre 2016

Richard Fleischer, réhabilitation d'un auteur de cinéma


En lisant l'annonce de trois chefs-d’œuvre signés Richard Fleischer publiés par Carlotta, je me suis demandé si ce n'était pas un peu exagéré... Comme je n'évoque que ce qui m'a plu et m'inspire librement, j'avance parfois à reculons, d'autant que de nouveaux disques, films et bouquins s'accumulent sur les étagères. Je m'emploie pourtant rigoureusement à tout regarder, lire et écouter, sans porter ombrage à mon travail, à savoir terminer la composition de nouvelles pièces musicales et les enregistrer dans la foulée avant mon départ pour Rome.
Et pourtant, si, le coffret contient bien trois films formidables de Richard Fleischer qui me sont donnés à découvrir ! J'avais déjà été emballé par L'étrangleur de Boston (lire l'article qui évoquait également l'excellent polar Les inconnus dans la ville / Violent Saturday), mais je pensais que le reste de sa filmographie consistait en honnêtes succès grand public tels 20 000 lieues sous les mers, Les Vikings, Le voyage fantastique ou L'extravagant docteur Dolittle. Il y avait tout de même l'extraordinaire Soleil Vert (Soylent Green), film de science-fiction sombre et prophétique. Mais découvrir coup sur coup Terreur aveugle (See No Evil), L’étrangleur de Rillington Place (10 Rillington Place) et Les flics ne dorment pas la nuit (The New Centurions) permet d'envisager l'Histoire du cinéma sous un autre angle, à savoir que certains auteurs sont passés à l'as pour ne pas avoir été défendus par la critique cinéphile en leur temps. Dans un des bonus, et les trois films en sont largement pourvus, Nicolas Boukhrief analyse parfaitement les mérites de Fleischer et les raisons de leur méconnaissance. Dans un autre, Christophe Gans vante la rigueur de l'auteur, capable de changer de style pour trouver le meilleur angle à chaque histoire. Fleischer a une vision très noire de la société. Pour avoir pensé devenir psychiatre, il en a étudié les recoins les plus sombres. Il ne juge pas, il constate, éventuellement laisse planer une explication sans jamais la formuler, laissant à l'inconscient toute sa complexité. Mais il détaille les mécanismes avec une précision redoutable, échafaudant des scénarios captivants, souvent inspirés de faits-divers authentiques.


Si Fleischer tourne ses films en les situant toujours à une époque donnée, ceux-ci restent d'une actualité confondante, car l'humanité est d'une effroyable constance dans ses us et coutumes, dans sa misère et son absurdité mortifère. Les flics de Los Angeles, quand ils ne dorment pas la nuit, ont les mêmes réflexes que ceux de chez nous aujourd'hui, gardiens de l'ordre humanistes (certains ont évidemment commencé ainsi leur carrière !), crapules corrompues ou dépressifs suicidaires (les mauvais plis sont vite pris !)... Son film, tourné en 1972 (musique de Quincy Jones), mettant en scène un vieux briscard et une jeune recrue, en a inspiré bien d'autres sans posséder sa vision réaliste de l'ambiguïté du rôle de la police. Chez Fleischer la fiction a des allures documentaires.


Ainsi il choisit le cas de L'étrangleur de Rillington Place, toujours 1972, qui avait abouti quelques années auparavant à la suppression de la peine de mort en Angleterre. L'atmosphère est glauque à souhait. Richard Attenborough, qui joue le rôle de l'assassin, et le jeune John Hurt, faux-coupable illettré tout désigné, y sont époustouflants. La caméra à l'épaule se faufile dans cet univers étriqué, sans recul. Le drame psychologique, filmé sur les lieux-mêmes ou reconstitué fidèlement en studio, tient au corps. Le crime est parfaitement huilé. Ça gaze à tous les étages !


Quant au thriller de 1971, Terreur aveugle, il oppose la douceur et la fragilité de l'ingénue jouée par Mia Farrow à l'horreur qu'elle ne peut voir suite à son accident équestre. Fleischer, qui joue ici sans cesse de ressorts hitchcockiens, commence le suspense à partir d'un petit rien lorsqu'elle marche en chaussettes au milieu du verre brisé, retardant sans cesse la découverte sanglante. La suite n'en sera que plus terrible, Fleischer utilisant le hors-champ comme une zone invisible à l'aveugle et un cadre serré nous interdisant d'identifier le meurtrier, si ce n'est par ses bottes. Il se sert de chaque détail en sa possession pour construire un scénario à la fois épuré et virtuose, dont la cécité est l'astucieux moteur. Comme chez tous les grands réalisateurs, chaque plan est pensé en fonction de l'intrigue.

coffret Richard Fleischer, 3 films remasterisés haute définition en Blu-Ray et DVD, bonus a gogo avec les préfaces de Nicolas Saada, les commentaires de Fabrice du Welz, Christophe Gans, Nicolas Boukhrief, et les témoignages de Judy Geeson, Joseph Wambaugh, Stacy Keach, Richard Kalk, Ronald Vidor, Ed. Carlotta, 60€, sortie le 9 novembre 2016

jeudi 27 octobre 2016

Macha Gharibian entre Paris, New York et Erevan


J'avais quantité de raisons d'écouter le nouvel album de Macha Gharibian. D'abord pour avoir été impressionnée il y a quelques années lorsqu'elle chantait avec les Glotte-Trotters de Martina A. Catella en même temps que ma fille Elsa. Les "fils de" et les "filles de" sont parfois énervants, comme si il y avait une évidence aux familles de musiciens. Mais si l'on dit que les chiens ne font pas des chats, le piston ne fait pas grand chose quand il s'agit de la voix, parce qu'il faut avoir de l'oreille et que c'est beaucoup de travail, d'exigence et d'écoute envers celles et ceux qui les entourent. Dan, le papa de Macha est donc l'un des fondateurs du groupe Bratsch comme BabX est le fils de Martina, professeur géniale chez qui tant sont passés avec succès... À la contrebasse Théo Girard est le fils de Bruno Girard, un autre fondateur de Bratsch qui fut le violoniste du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané pendant quelques années... Aux saxophones soprano et ténor on retrouve Alexandra Grimal, la sœur de David, violoniste et fondateur des Dissonances, ça se complique si je commence à citer le reste de la famille... J'ai eu le plaisir d'enregistrer deux albums en duo avec Alexandra, Transformation et Récréation. Il n'y a pas non plus de loi ni d'évidence. Personne de ma famille n'avait de don pour la musique, sauf peut-être ma grand-mère maternelle, soprano dramatique amateur qui avait chanté sous la direction de Paul Paray, mais nous fuyions bêtement ses vocalises lorsque nous étions enfants...


Les arbres généalogiques sont bien anecdotiques face au talent de chacune et chacun. Pourtant, pour une arrière-petite-fille du génocide arménien (la grand-mère de ma compagne y a survécu miraculeusement), cela fait sens. Il est ici question de transmission, des voix que l'on n'a pas connues et que l'on ne doit pas oublier. Mais lorsqu'on a la vie devant soi, le passé importe moins que l'avenir ; et la terre dont on a hérité, il faut savoir l'entretenir. L'espoir nous fait avancer, parce qu'aucune bataille n'est jamais perdue, tant qu'il reste des combattants. La musique est une arme merveilleuse, surtout là, où elle est havre de paix et chant d'amour. Macha Gharibian, en plus d'avoir une belle voix grave, joue magnifiquement du piano. J'ai véritablement accroché à partir du troisième morceau, Let The World Re-Begin, peut-être parce qu'il me rappelle Linda Sharrock que j'avais enregistrée avec Wolfgang Puschnig pour Sarajevo Suite, juste avant de m'occuper de Musiques du Front pour le label Silex, l'album sur le Haut-Karabagh. Je me rends compte que depuis que je tape ces lignes je cherche des points de concordance, des ramifications, avec cet album chamarré, entre jazz et musiques du monde, entre orient et occident. Rien d'étonnant. Paris est à mi-chemin entre New York et Erevan. Les villes, qu'elle vous ait vue grandir, que vous l'ayez adoptée ou qu'elle vous inspire, dessinent des histoires où le quotidien rejoint le mythe. Et ces voyages initiatiques forment la jeunesse, sur la trace des anciens.
Macha est ce qu'on appelle une artiste complète. Elle écrit ses paroles, compose et chante en anglais et en arménien. D'ici à ce que j'apprenne qu'elle danse aussi bien, il n'y a pas loin ! J'adore particulièrement les arrangements jazz où sont aussi présents le trombone Mathias Mahler (Trio Journal Intime), les batteurs Fabrice Moreau ou Dré Pallemaerts, le guitariste David Potaux-Razel et le soprano-clarinettiste-flûtiste Tosha Vukmirovic, mais un souffle romantique habite autant les morceaux plus traditionnels que le piano modernise par son traitement ciselé, à la fois mélodique et rythmique, une sorte de ligne claire qui détoure les thèmes en faisant ressortir les couleurs.

→ Macha Gharibian, Trans Extended, CD Jazz Village, dist. Pias, 19,65€

mercredi 26 octobre 2016

Séries ou très longs métrages ?


Petit survol rapide de quelques séries regardées depuis la rentrée de septembre. En collant les affiches les unes à côté des autres, je m'aperçois de la constance des couleurs, chair sinistre et métal bleuté. L'époque n'a pas l'air très folichon ! Que nous réserve l'avenir proche ?
Les vacances m'avaient laissé avaler les trois premières saisons de la série d'espionnage Les Américains (voir article) et l'on peut espérer de nouveaux rebondissements à la prochaine.


Après Game of Thrones, qui terminera son cycle l'été prochain, HBO espère que Westworld saura conquérir les spectateurs, mais rien n'est moins sûr. Inspiré d'un film de science-fiction écrit et réalisé par Michael Crichton en 1973 avec Yul Brynner, ses trois premiers épisodes sont laborieux et répétitifs. La distribution (Anthony Hopkins, Ed Harris, Sidse Babett Knudsen...) et les effets spéciaux ne suffisent pas à dynamiser cette histoire d'androïdes (dans un parc d'attractions à la thématique western, de riches visiteurs peuvent tuer et violer à leur guise, tant que les créatures ne se révoltent pas).


Par contre, les deux premiers épisodes de The Young Pope, 10 heures entièrement réalisées par Paolo Sorrentino, sont pleins de promesses. Canal+ la diffuse cette fois quelques mois avant HBO. Là aussi une belle distribution (Jude Law joue le rôle de Pie XIII, un pape tourmenté qui n'est pas le pantin que les cardinaux pensaient avoir élu, Diane Keaton est la bonne-sœur qui a élevé l'enfant abandonné par ses parents, Cécile de France est la responsable du marketing du Vatican... En fait tous les personnages, particulièrement felliniens, sont formidables), mais un humour ravageur et un ton impertinent qui rappellent Buñuel, avec un soin pour le son et l'image comme dans tous les précédents films du cinéaste.
Les mini-séries comme celle-ci sont moins chronophages, se rapprochant plutôt d'un très long métrage, une seule saison en plusieurs parties préservant les rebondissements du feuilleton. Les journaux du XIXe siècle avaient inauguré le roman-feuilleton, au XXe la télévision s'en était emparée, renouant avec le suspense qu'ils dispensent à la fin de chaque épisode.


C'est évidemment le cas avec The Night Manager, mini-série d'espionnage en 6 épisodes d'après John Le Carré réalisée par Susanne Bier et produite par la BBC. Les cinéastes commencent à comprendre l'intérêt de la télévision au moment où elle ne se regarde plus en tant que telle, mais sur les écrans des ordinateurs, voire projetés sur les grands écrans des home vidéos. Plus classique que certains films de la cinéaste danoise, on y retrouve tout de même son intérêt pour les ONG et des personnages féminins avec de l'étoffe.


Pour le réalisme social on préférera The Night Of, mini-série de 8 épisodes avec John Turturro et Riz Ahmed, encore produite par HBO. Cette étude minutieuse, plus proche de The Wire que d'un thriller, sur le système de justice américain met en scène un croisement habile entre l'innocence et la culpabilité, la prison préventive enfonçant l'innocent dans la criminalité.

mardi 25 octobre 2016

Suivez le guide


Avant de nous envoler pour Rome je cherche évidemment des billets d'avion pas chers et un logement abordable, en fonction des dates d'Elsa qui y reprend la nouvelle version de Carmen au Teatro Olimpico avec l'Orchestra di Piazza Vittorio. Créé au Festival Les Nuits de Fourvière en 2013 avec les chœurs et cordes de l'Opéra de St Étienne, cette interprétation cosmopolite du chef-d'œuvre de Bizet avait ouvert la saison de l'Opéra de Rome dans les Thermes de Caracalla l'année suivante, pour être remanié dans une version encore plus pop l'an passé. Dans cette adaptation mariant la salsa au flamenco, la techno au chant lyrique, le blues au tango, le reggae aux sonorités arabes, indiennes et africaines, Elsa, qui tient le rôle de Micaëla, est la seule Française de cette compagnie où chaque personnage chante dans la langue de son pays. Mama Marjas qui tient le rôle titre est à l'origine une chanteuse italienne de raggamuffin, le Brésilien Evandro Dos Reis est Don José, le Tunisien Houcine Ataa est Escamillo, etc. D'autres dates sont annoncées ailleurs, mais nous profitons de cette opportunité pour retourner à Rome où ni Françoise ni moi sommes allés depuis une trentaine d'années.
Nous trouvons donc un vol Air France très bon marché grâce au site Opodo et un appartement spacieux au centre de Rome sur Airbnb pour un prix nettement inférieur à la moindre chambre d'hôtel. Certains parlent d'ubérisation, ce qui a le don de m'énerver, car le système D et les parades aux abus des grands monopoles ne sont pas pires que l'ultralibéralisme ambiant auquel ils participent à moindre niveau. Nombreuses multinationales échappent certes aux impôts locaux, mais les profits de la plupart d'entre elles s'évadent dans des paradis fiscaux avec l'appui des banques. La protection sociale des travailleurs se réduit chaque année à la peau de chagrin sans que l'on ait besoin de chercher un bouc émissaire chez Uber, analyse simpliste évitant d'évoquer le service déplorable des taxis dont 80% de la flotte parisienne appartient à G7 (le concurrent Taxis Bleus fait partie du même conglomérat !) et les conditions de travail des chauffeurs, bien pires que celles imposées par Uber. Pour aller à l'aéroport, nous emprunterons donc le système de cette compagnie dont l'application sur smartphone est remarquable, fiable et astucieuse, pour un prix défiant toute concurrence.
Il suffira ensuite de chercher les meilleurs restaurants romains sur TripAdvisor en fonction des quartiers que nous arpenterons et conformément à notre budget ! Il y a peu j'ai eu la surprise de constater des réductions de 20 à 50% lorsque l'on réserve à Paris avec l'application Lafourchette. Internet permet aux commerçants de remplir leurs hôtels et restaurants en bradant les prix au dernier moment, comme nous le pratiquions en Asie avec Agoda...

Illustration : ravioles de navet cru farcies de caille, émulsion d'escabèche et légumes au restaurant Er Occitan, Bossost, Espagne, découvert grâce à TripAdvisor.

lundi 24 octobre 2016

Koki Nakano et Vincent Segal, entre romantisme décomposé et minimalisme exubérant


Le jeune pianiste japonais de 28 ans Koki Nakano avait déjà écrit des pièces pour violoncelle et piano avant de composer pour Vincent Segal. À ses pièces il donne parfois le nom des lieux où il séjourne, manière de tenir son journal de voyage à travers une Europe dont il connaît bien la musique. On reconnaît ici ou là la musique classique française ou allemande, de même que son appétence pour le jazz et la pop lui permettent d'assimiler toutes ses influences dans son monde musical personnel. Certaines pièces sonnent plutôt classiques, d'autres répétitives. Sa diversité fait pourtant unité, entre romantisme décomposé et minimalisme exubérant. La virtuosité n'y cache jamais le lyrisme.


Vendredi soir Nakano et Segal jouaient dans le Grand Foyer du Théâtre du Châtelet dans le cadre du Festival Nø Førmat devant 200 spectateurs vernis. Les concerts acoustiques sans amplification permettent de jouir de la musique dans ses moindres nuances. Je ne comprends pas que des musiciens poussent les décibels comme on joue des muscles. Les systèmes de sonorisation rendent rarement grâce à la musique. Privilégier le volume, c'est sacrifier le timbre.
L'équilibre était parfait. Le pianiste retenait astucieusement le Fazioli et le violoncelliste, tournant les pages de sa partition sur iPad grâce à une pédale, voletait autour et zébrait l'espace avec une précision d'horloger.


Deux heures plus tard, le même soir, Vincent Segal et Ballaké Sissoko interprétaient leur Musique de nuit dans la grande salle bondée du Châtelet. Très légèrement amplifiés, la kora et le violoncelle résonnaient dans une intimité de proximité pour chacun et chacune quelle que soit sa place. Les deux musiciens se connaissent depuis si longtemps qu'ils peuvent improviser autour de leurs compositions, sans avoir besoin de partition, contrairement au concert de 18h où la mise en place rigoureuse des rythmes l'exigeait. Chaque fois le violoncelliste montrait que la musique est avant tout une histoire d'écoute et d'amitié, bien au delà du discours sur le franchissement des frontières musicales et culturelles.

→ Koki Nakano, Lift, CD Nø Førmat, 15€, dist. A+lso / Sony pour la France, IDOL pour le reste du monde
Sinon, le Pass annuel Nø Førmat de 50€ (ou 60€ en format vinyle) permet de recevoir tous les albums produits dans l'année, plus des invitations à des concerts privés, à des répétitions, à des rencontres avec les artistes...

vendredi 21 octobre 2016

Frank Zappa par lui-même et dans ses œuvres


Tandis que Eat That Question - Frank Zappa in His Own Words fait le tour des festivals, le film sort en Blu-Ray et DVD aux États Unis. Thorsten Schütte a travaillé pendant huit ans sur cette biographie cinématographique, probablement la meilleure réalisée sur Frank Zappa. Composé exclusivement d'entretiens avec l'artiste et d'extraits live, il évite l'écueil des témoignages hagiographiques qui plombent les documentaires du genre. Schütte a fait le tour des télévisions du monde entier pour dégoter des documents rares et il a finalement reçu l'appui de la famille, soit Gail, la veuve du compositeur disparue récemment, et leur fils Ahmet. Leurs filles Moon et Diva sont plus ou moins associées, mais Dweezil n'est toujours pas en odeur de sainteté malgré ou à cause de ses concerts-hommages à leur père, Zappa Plays Zappa, en tournée depuis dix ans. La partie familiale du reportage ne semble pas avoir été la plus agréable ni la plus aisée pour le réalisateur allemand !
J'ai beaucoup écrit sur celui qui déclencha ma vocation musicale en 1968 et dont je m'occuperai ensuite épisodiquement lors de ses premiers passages en France. Ayant laissé retomber cette passion pendant les années 80 pour m'emballer à nouveau sur les œuvres orchestrales de la fin de sa vie, je découvre avec plaisir et intérêt le parcours kaléidoscopique de mon héros de jeunesse. Peu de temps avant sa mort en 1993 d'un cancer de la prostate à 52 ans, Zappa avait accepté de dialoguer pendant trois jours par satellite et vidéo compressée avec le chanteur Robert Charlebois, filmé par mes soins, mais France 3 refusa le projet qu'elle ne trouvait pas assez commercial. On retrouvait le "no commercial potential" imprimé ironiquement sur nombre de ses pochettes ! Quelques mois plus tard, en tournage à Sarajevo pendant le siège pour la BBC, je m'écroulerai à l'annonce de son décès. Je n'ai jamais essayé de l'imiter musicalement, mais la variété de ses créations représente toujours pour moi un modèle de rigueur et d'inventivité.


Dans ce film, Frank Zappa affirme son rôle de compositeur dans toutes ses activités. S'il a toujours écrit de la "musique sérieuse" (indéfectible amour d'Edgard Varèse et son Ionisation), il n'était connu que pour ses chansons provocatrices. Il n'a commencé à écrire des paroles qu'à l'âge de 22 ans, se battant continuellement contre la censure qui lui reproche ses mots crus dont il revendique la justesse. Il est fier d'être américain (avec des réserves sur l'importance culturelle de son pays et la dénonciation de la dérive reaganienne vers une théocratie fasciste, mais sans comprendre la nature de la Fête de l'Huma et du communisme européen). Il n'a pratiquement jamais pris de drogues, mais l'abus de cigarettes, de café et de beurre de cacahuètes avec une hygiène alimentaire déplorable n'a pas été plus salutaire. Ses chansons satiriques sur les groupies soulignent la vie dissolue des tournées. Il hait les major compagnies du disque qui l'ont censuré, etc. Le puzzle, lié au montage d'archives, n'empêche pas sa musique et ses intentions d'être explicites, probablement grâce au respect de la chronologie. Détail insignifiant, mais important pour l'image, c'est la première fois que je comprends l'origine de la moustache qui camoufle un rictus près de la narine droite ! Pour la barbe je ne sais pas, je vais réécouter les disques...
Le film, coproduit par la France (Estelle Fialon des Films du Poisson) et l'Allemagne (Jochen Laube de UFA Fiction), a des chances de se retrouver sur Arte qui leur a emboîté le pas, mais il est aussi possible qu'il sorte bientôt dans les salles...

→ Thorsten Schütte, Eat That Question - Frank Zappa in His Own Words, Blu-Ray & DVD, Sony Pictures Home Entertainment, sous-titres anglais et français / sortie DVD française chez Blaq Out, coll. Out Loud, avec bonus originaux, le 2 mai 2017

jeudi 20 octobre 2016

Fuite de fuel


Les évènements s'enchaînent, les catastrophes se déchaînent. Bon d'accord, c'est à un petit niveau, très perso, mais j'aurais tout de même préféré faire de la musique plutôt que soulever des poids lourds et remuer ciel et terre pour trouver la panne. Lorsque l'on me demandait comment ça va, j'avais tendance à répondre que les emmerdements se suivent, mais ne se ressemblent pas. Je serais plus positif en affirmant qu'il est extraordinaire de constater comme il est difficile d'avancer dans la vie, à devoir sauter un obstacle pour affronter le suivant. Ma maman me rappelle que plaie d'argent n'est pas mortel, mais elle s'accompagne très souvent d'un marathon physiquement et psychologiquement pénible pour en venir à bout...
Ainsi, j'ai laissé s'épuiser le fuel et la chaudière s'est arrêtée, ce qui a probablement assassiné la pompe électrique, et paf, le porte-monnaie. Notre consommation de fuel fut étrangement forte pour les cinq mois passés et j'avais pourtant eu l'impression d'avoir vérifié la jauge récemment sans que cela soit alarmant. Le livreur nous a donc dépanné en urgence de 1000 litres en attendant le reste la semaine prochaine. Comme j'avais un doute sur la jauge, j'ai regardé à nouveau cinq jours plus tard. Il ne restait presque rien dans la cuve. Une odeur de mazout flottait vers la trappe qui pèse un âne mort. Je me suis fait aider pour la soulever. Le retour de fuel coulait comme un robinet, non pas dans la cuve, mais à côté, dans la terre. Est-ce le livreur qui, dans sa hâte, aurait fait tomber un bout du tuyau dans la cuve ou était-il déjà mal vissé ? En attendant de remplacer le cuivre nous l'avons donc rallongé avec un bout de plastique pour que le flux s'écoule au bon endroit. Mais nous avons perdu entre 500 et 700 litres de fuel partis dans la terre, ce qui n'est pas franchement écologique, même si c'est de là qu'il provient avant raffinage, du moins à quelques milliers de kilomètres et à quelques millions d'années.
Avec les impôts locaux exorbitants, le fuel est la dépense la plus importante de notre habitation. La maison est grande. Nous aimons avoir chaud. Ce sont donc plusieurs milliers d'euros qui partent en fumée chaque année. Si nous vivions dans le sud, nous soulagerions considérablement la note, à tous points de vue. J'y pense parfois, d'abord parce que la mer me manque à Paris, et que son niveau ne montera pas jusqu'ici de mon vivant. Je suis d'une nature impatiente.

mercredi 19 octobre 2016

Obsolete de Dashiell Hedayat, retour d'acide


En sortant du Souffle Continu où je venais d'acheter la réédition d'Obsolete, le disque rose de Dashiell Hedayat, je me suis demandé si l'écouter 45 ans plus tard me produirait des retours d'acide. La pilule ronde a bien goût de madeleine, sucrée comme le buvard minuscule que nous avalions telle une hostie psychédélique. La spirale m'aspirait vers le haut, transe rock de la tornade qui nous hypnotisait le samedi soir dans des coussins profonds. Nous avons écouté Chrysler rose encore et encore, même si je laissais toujours au moins trois mois entre deux trips. Attention, les produits d'antan n'ont rien à voir avec ceux mis sur le marché aujourd'hui, souvent frelatés ou trafiqués. L'herbe venait des Amériques, le kif du Maroc, la variété des haschs se savourait selon les différentes provenances, libanais rouge ou jaune, pakistanais, afghan, népalais noir veiné de blanc, cachemire, etc. J'ai arrêté de fumer essentiellement parce qu'avec le temps cela me fatigue, je ne suis plus bon à rien et le lendemain matin le soleil est pâlot.
La première fois que j'ai rencontré Melmoth, c'était son anniversaire. Il venait d'avoir 23 ans. Melmoth est un des nombreux pseudos de Daniel Théron, dit Jack-Alain Léger, dit Dashiell Hedayat, dit Ève Saint-Roch, dit Paul Smaïl. Les groupes Red Noise et les Crouille Marteaux accompagnaient le jeune écrivain sur la scène pendant que nous projetions notre premier light-show. Patrick Vian et Jean-Pierre Kalfon jouaient de la guitare électrique, Pierre Clémenti de la scie musicale. Nous étions au balcon avec nos projecteurs à diapos et d'autres qui faisaient éclater des bulles de couleurs sur les musiciens.
Sur Obsolete, Dashiell Hedayat chante accompagné par Daevid Allen (guitare), Didier Malherbe (sax et flûte), Christian Tritsch (basse, guitare), Pip Pyle (batterie), il joue de la chambre d'écho tandis qu'on entend ici ou là les voix de Gilli Smyth, William Burroughs, Sam Ellidge (le fils de Robert Wyatt a alors cinq ans !). C'est en fait le groupe Gong qui enregistrait alors comme lui au Château d'Hérouville en 1971. Chantal Darcy (du mythique label Shandar) et Bernard Lenoir avaient produit le disque en laissant à Dashiell Hedayat une totale liberté. Il tirait ce pseudo-là d'un mix entre l'auteur de polars américain Dashiell Hammett (Le faucon maltais) et celui du sublime La chouette aveugle, Sadegh Hedayat. En remontant par le Père Lachaise, nous sommes passés près de la tombe de l'Iranien dont une petite chouette stylisée orne la tombe dans l'enclos musulman. Ce con de Daniel Théron avait viré islamophobe à la fin de sa vie, mais il n'allait pas très bien. D'ailleurs dans Chrysler il chante que "les enfants ont écrit que Dashiell est un con". Dépressif, il a fini par se défenestrer de chez lui au 8ème étage, en 2013 à 66 ans.
Il n'empêche qu'Obsolete est un des grands disques de rock tout court, pas seulement de rock français. Plus proche des improvisations californiennes que des élucubrations anglaises ou australiennes. C'est un disque d'ivresse. Un truc d'ado qui découvre le monde. "Une Chrysler rose ! Le 7e ciel à travers la capote déchirée. J'ai une Chrysler rose tout au fond de la cour, elle ne peut plus rouler mais, c'est là que je fais l'amour..."

→ Dashiell Hedayat, Obsolete, Replica/Musea Records, 14€ au Souffle Continu

mardi 18 octobre 2016

À l'assaut de l'empire du disque


L'enquête de Stephen Witt, À l’assaut de l’empire du disque, est sous-titrée Quand toute une génération commet le même crime, mais l'histoire est plus complexe qu'elle n'y paraît, plus complexe même que le récit palpitant qu'en fait l'auteur. Au travers de trois portraits parallèles, le journaliste raconte par le menu comment une équipe allemande a inventé le mp3, comment des employés d'une usine de pressage de Caroline du Nord ont sorti 2000 CD en les piratant avant leur sortie officielle, comment le patron d'une des multinationales du disque (PDG d'Atlantic, Warner puis Universal, et actuellement Sony !) jouait de manière ambiguë avec les intérêts des producteurs... Le récit hyper détaillé ressemble à un polar, avec tous les détails indispensables pour qu'on s'y croit. Il faut néanmoins le considérer plus emblématique qu'exclusif, car il y eut certainement d'autres protagonistes que Karlheinz Brandenburg, Dell Glover et Doug Morris.
Brandenburg vit un parcours d'obstacles pour développer le format mp3 auquel personne ne croit, Glover cherche la manière de faire fuiter les CD malgré les mesures de sécurité, et Morris rappelle Richie Finestra, le héros inconséquent de Vinyl, le feuilleton de Martin Scorsese et Mick Jagger. La conjugaison de leurs efforts ouvrira la voie au piratage planétaire. Witt remonte la piste comme un détective privé et dévoile les conséquences de ce jeu de dominos qui s'écroule en même temps qu'il se construit. Les pseudonymes affublant les fichiers illicites trouvent leur explication, urgence des tagueurs qui mènent une course orgueilleuse pour être les premiers. L'enquête se focalise sur les best-sellers de la musique populaire américaine sans approcher les conséquences que tout cela va avoir sur l'ensemble de l'industrie du disque et sur les pratiques artistiques variées qui y sont rattachées. Lorsque le livre se referme on a beaucoup appris des vingt dernières années. Les verdicts sont tombés, mais comme pour les banquiers et les faux-monnayeurs, les escrocs et les bandits sont déjà ailleurs.

→ Stephen Witt, À l’assaut de l’empire du disque, 304 pages, Le Castor Astral, 24€, à paraître en novembre 2016

lundi 17 octobre 2016

Le White Desert Orchestra d'Ève Risser sonne en couleurs


Si Les deux versants se regardent est un des albums les plus enthousiasmants de l'automne, c'est d'abord parce qu'il ne répond à aucune attente, si ce n'est d'avoir assisté béat à la première du White Desert Orchestra en mars 2015. En choisissant le piano préparé, la soliste Ève Risser avait opté d'emblée pour un concept orchestral, sorte de grand gamelan occidental dont la richesse de timbres vient augmenter un instrument déjà réputé complet. En s'adjoignant huit des meilleurs instrumentistes de l'Hexagone (plus le trompettiste norvégien Elvind Lønning), la compositrice crée un orchestre solidaire où ses neuf compagnons, jeunes affranchis, peuvent s'exprimer librement, chose devenue rare dans les projets très écrits. L'ensemble sonne comme l'agrandissement photographique de ses précédentes expériences, projection 3D du piano sous la forme d'un orchestre "préparé", où les timbres incroyables de chaque musicien et musicienne semblent également avoir inspiré la pianiste pour les reproduire à l'orchestre : souffles crachés des clarinettes d'Antonin-Tri Hoang et des saxophones de Benjamin Dousteyssier, volutes des flûtes de Sylvaine Hélary, éructations du basson de Sophie Bernado, crépitements de la basse électroacoustique de Fanny Lasfargues, découpages tranchants de la guitare de Julien Desprez, grondements du trombone de Fidel Fourneyron, percussions graves ou scandées de Sylvain Darrifourcq, etc. Ici l'etcétéra fait sens, lorsque, transporté, l'on se moque de savoir qui fait quoi.


En soufflant le chaud et le froid des grands espaces qui l'ont fascinée, Ève Risser exalte la nature. La Terre ouvre ses entrailles pour laisser s'envoler quelques oiseaux de nuit. Le ciel laisse retomber les touches noires et blanches comme s'il pleuvait des grêlons accordés. Se perpétue inlassablement l'idée d'une projection du petit vers le grand, comme les ombres de la caverne platonicienne, avec ce que cela comporte d'interprétation. L'auditeur se fait son cinéma.


Sur le disque sont absents les 80 choristes, enfants et personnes âgées, de la première au Festival Banlieues Bleues à La Courneuve, question de budget évidemment, et d'implication pédagogique suivant les lieux de concert. À Annecy, le 22 novembre prochain, ils et elles seront 150 choristes ! En écoutant cet opéra instrumental, je n'ai pu m'empêcher de penser à Carla Bley, lorsqu'en 1971 je posai pour la première fois Escalator Over The Hill sur la platine. Ève Risser est de cette trempe, femme moderne qui joue de tous les accessoires à sa portée pour jouir du temps qui passe et s'approprier l'espace au-delà du territoire concédé.

→ Ève Risser White Desert Orchestra, Les deux versants se regardent, Clean Field, dist. Orkhêstra, sortie le 11 novembre 2016

samedi 15 octobre 2016

Le choix politique du Nobel de Dylan


Je n'ai pas véritablement de compétence pour juger de la qualité littéraire des textes anglais de Robert Allen Zimmerman. Les chansons sont un art comme un autre, même si Serge Gainsbourg le qualifiait de mineur. Il est certain que les chansons de Bob Dylan sont de l'ordre de la poésie et qu'elles ont marqué plusieurs générations de gens très hip. Ses qualités de compositeur ont influé d'autre part grandement sur la prosodie et il est intéressant de souligner qu'il serait réducteur de cantonner la littérature à sa lecture quand elle peut aussi être dite, clamée et chantée. C'est justement leur proximité avec la musique qui fait tout l'intérêt des textes de Dylan, à savoir qu'ils sont d'abord évocateurs, et que chacun, chacune, peut se les approprier selon son humeur et sa personnalité. Si un chef d'œuvre est caractérisé par le nombre des interprétations, l'influence du folk singer fut considérable. Il dresse un pont entre les racines fondamentales américaines (folk, country, blues, gospel, rock 'n' roll, rockabilly, etc.) et une modernité qui puise ses sources plutôt chez les surréalistes. C'est aussi un fils encore vivant de la Beat Generation, les disparus tels William Burroughs ne pouvant recevoir de Prix Nobel à titre posthume !
Ce n'est néanmoins pas la clef de ce choix. Pour avoir participé à de nombreux jurys, je pense que les prix couronnent ceux qui les donnent avant ceux qui les reçoivent. Ils sont l'image de marque de ceux qui les décernent. C'est un peu comme les articles de presse qui dressent souvent plutôt le portrait du journaliste que ce dont il parle. Dans le cas de Bob Dylan, il s'agit évidemment pour les Nobel de donner d'eux-mêmes une image progressiste, "jeune" et ouverte, et de faire oublier les origines criminelles de leur fortune ! Quand on voit à qui le Prix Nobel de la Paix fut accordé dans l'Histoire, on comprend que celui de littérature dont Dylan hérite est un choix "politique" comme les autres. L'argent des armes dans l'escarcelle du créateur de Blowin' in the Wind et The Times They Are a-Changin', ça vaut son pesant de cacahuètes !
On me rétorquera aussi qu'à 75 ans on peut trouver plus jeune, mais en art comme dans la vie la jeunesse dont je parle n'a rien à voir avec le nombre des années. Dylan est simplement jeune depuis plus longtemps que nombreux de celles et ceux qui sont nés après lui !

Photo de Bob Dylan recevant la Médaille de la Liberté, plus haute récompense civile américaine, des mains du président Barack Obama en 2012, que l'on peut aussi voir sous l'angle du soft power...

vendredi 14 octobre 2016

Oulala a un nouveau copain


Xavier et Corinne sont venus dîner accompagnés du nouveau pote d'Oulala qu'ils ont laissé en partant. Pendant les premières semaines de sa vie nos amis l'ont appelé Jean-Jacques pour le différencier de ses trois frères et sœur ! Pour l'instant nous l'avons baptisé Django... Il est tout gris et tout doux avec deux yeux noirs et jaune, et l'air un peu ahuri. Mais ce peut être trompeur, car découvrir sa nouvelle maison est une épreuve à passer, surtout lorsque l'on est reçu par une jeune harpie qui dévoile un visage qu'on ne lui connaissait pas. Jusqu'ici, Oulala n'avait eu à faire qu'à des chats plus âgés qu'elle. Confronté à un petit minet elle l'a coursé sous les divans et dans le jardin en lui crachant quelques invectives qui ne semblaient pas être de bienvenue. Même impressionné, le petit ne s'est pas démonté, grondant et grimpant. Conclusion : comme tout le monde a plutôt une bonne nature, cela va se tasser probablement rapidement, mais tous les quatre nous avons eu une nuit très courte.


Comme nous n'avons plus l'âge de nous rouler par terre toute la journée, Oulala s'ennuyait. De temps en temps elle rendait visite à Pipo qui habite en face et qui lui retournait la politesse. Nous avons donc pensé que deux chats ne nous causeraient pas beaucoup plus de travail qu'un seul. Mais je ne pouvais m'empêcher de penser au film de Tex Avery de 1946 où Lonesome Lenny n'arrête pas de se lamenter en marmonnant "Gee, I wish I had a friend...", sous-titré "J'aimerais bien avoir un copain...".

jeudi 13 octobre 2016

Reprenez le contrôle de la ville en 50 hacks


Le graphiste et designer Geoffrey Dorne publie en édition bilingue Hacker Citizen, le guide de survie citoyen en milieu urbain, cinquante idées amusantes à réaliser soi-même pour résister à la société de contrôle qui, de plus, nous submerge de publicités et bétonne à tours de bras nos villes. Certaines sont vraiment potaches, mais d'autres sont quasiment d'utilité publique. J'avais déjà croisé des bibliothèques de rue, cabines téléphoniques désaffectées où l'on peut déposer et prendre gratuitement des bouquins, mais j'ignorais qu'il existait des prises USB dans le mobilier urbain ou de discrètes prises électriques au coin des rues. On peut confectionner des nids pour les oiseaux ou des bombes à graines pour ensemencer quantité d'espaces laissés vacants, détourner les caméras de surveillance et les affiches de publicité honteuses. Geoffrey Dorne a conçu un joli livre en illustrant chaque page où l'imagination des activistes est astucieusement sollicitée pour égayer la ville et détourner ce qu'elle a d'odieusement intrusive. Il devrait enchanter les graffeurs et les noctambules, et profiter ainsi à toute la population !



→ Geoffrey Dorne, Hacker Citizen, Tind Editions, 24,90€

mercredi 12 octobre 2016

Direct le platane


Souvent je prends des photos sans savoir à quoi elles serviront, mais j'ai toujours les illustrations du blog à l'esprit. Dans le passé, cela fait tout de même douze ans que je publie un article par jour, lorsque j'étais sec je regardais les images que j'avais mises de côté pour voir si l'une d'elles m'inspirait. Ces dernières années j'ai écrit de plus en plus de chroniques, disques, DVD, bouquins, comptes-rendus d'expositions... Lorsque je voyage il y a une évidence, mais, sédentaire, je risque de tourner en rond, du moins sur l'écran de mon ordinateur.
Il y a trente ans j'aurais écrit "sur le papier", mais les temps ont changé. J'ai rempli des cahiers entiers, de pensées intimes, d'ébauches de projets, de croquis, de choses à faire, près de quatre-vingt. C'est comme ma base de données. J'ai commencé par recopier les notes de pochette des disques que j'empruntais à des copains et que j'enregistrais sur bande magnétique, puis sur cassette. Pareil pour les émissions de radio que je cochais sur Télérama. J'ai fait des fiches par artiste, renvoyant aux numéros de bande. Et puis un jour il a fallu tout recopier sur FileMaker Pro, comme le carnet d'adresses. Aujourd'hui j'ai abandonné cette nomenclature, me fiant dangereusement au champ de recherche de Spotlight. Le problème, c'est que c'est réparti sur plusieurs disques durs externes de 3 To. Les anciens fichiers sauvegardés sur CDR, puis DVDR, sont indexés sur Tri-Back-Up, mais les plus récents ?
De toute manière j'ai emmagasiné beaucoup trop de choses. Il faut que je me débarrasse de quantité de livres que je ne relirai jamais et de disques que je n'écouterai plus, jeter les centaines de VHS qui encombrent mes étagères, donner mes collections de revues (Actuel, L'Art Vivant, Photo, Zoom, 40 ans de Cahiers du Cinéma...) si je n'arrive pas à les vendre. Je garde les livres d'images, la poésie, les auteurs qui m'ont façonné. Les vinyles ont déjà été expurgés, mais je conserve le classique et le contemporain, le rock et le jazz qui me bottent encore, la chanson française et la voix des auteurs, les disques de mon enfance et les trucs les plus bizarres. Cela constitue encore un sacré métrage et son poids lourd. Je vendrais bien ma collection de timbres, mais je ne sais pas à qui m'adresser sans me faire arnaquer. Il faut aussi grimper au grenier et faire de la place. Il y a là de vieux vêtements, des cartons vides, mais aussi toutes les archives d'Un Drame Musical Instantané, des kilos de partitions et de coupures de presse. Cela demande beaucoup de courage.
Je regarde le vieux platane de La Ciotat dont les feuilles d'automne envahissent la terrasse et le gravier. C'est peut-être avec cela que l'on faisait du papier ? Je regarde le vieux platane et je me dis que les arbres sont une des rares choses qu'il faudrait préserver. Le reste n'est que vanité.

mardi 11 octobre 2016

Des films qui sortent de l'ordinaire


Quelques films relativement récents ont retenu mon attention ces dernières semaines.
La presse a beaucoup parlé de Ma loute, comédie française de Bruno Dumont, à qui la veine comique sied superbement, encore plus réussie que Le Ptit Quinquin.
Autre comédie sociale, Que Horas Ela Volta? (Une seconde mère), de la brésilienne Anna Muylaert, remarquablement réalisée et interprétée par Regina Casé. Le titre français laisse présager un nanar pesant alors que c'est frais, pimpant, drôle et particulièrement bien analysé dans les rapports de classes. Je n'ai pas encore vu Mãe Só Há Uma (D'une famille à l'autre) sorti depuis.


Beaucoup plus noire et cinglante, la comédie danoise Men and Chicken d'Anders-Thomas Jensen ne vous laissera pas indemne. C'est aussi délirant que son précédent, Adams Æbler (Les pommes d'Adam), réalisé il y a plus de dix ans et qui était déjà brillant. Sous couvert de fantastique destroy, Jensen soulève la question des manipulations génétiques avec un humour ravageur.


Pour en terminer avec les comédies, Er ist wieder da (Il est de retour) de l'Allemand David Wnendt est tout à fait passionnant. Adolf Hitler se réveille dans un square berlinois de nos jours. Les réactions mitigées de la population interrogent bigrement. Avec un humour que nous pourrions juger parfois un peu lourd de ce côté du Rhin, Wnendt réussit à nous troubler en mêlant fiction et documentaire sans que l'on en saisisse la frontière. Il crée même une structure en abîme, acrobatie cinématographique intelligente où l'imaginaire vient percuter le réel avec une force incroyable. La fin laisse un goût amer...


Le drame hongrois Saul fia (Le fils de Saul) de László Nemes est d'une toute autre nature. Des critiques ont stupidement condamné l'esthétisme de ce récit sur un camp de concentration, mais les évocations suffisent largement sans qu'on ait besoin d'en voir plus, bien au contraire. Je me suis forcé à le regarder pour mieux comprendre ce qui était arrivé à mon grand-père, passé par Drancy et Auschwitz, gazé à Buchenwald. Le film est très fort et mérite de côtoyer Nuit et brouillard, La mémoire meurtrie, voire Shoah sur lequel j'ai déjà émis pas mal de critiques.


Les crimes du colonialisme sont plus insidieux en ce qu'ils ne sont pas toujours conscients, certains pensant parfois apporter la civilisation aux indigènes. Le superbe noir et blanc du film dramatique El Abrazo del Serpiente (L'étreinte du serpent), réalisé en coproduction colombienne, argentine et vénézuélienne par le Colombien Ciro Guerra donne à cette aventure, racontée du point de vue des autochtones, un aspect historique et onirique exceptionnel.


Pour terminer ce rapide passage en revues, j'ai choisi quatre thrillers. Je craignais une redite avec celui du Mexicain Gabriel Ripstein, fils d'Arturo Ripstein, or 600 Miles, film à petit budget avec Tim Roth, offre une approche originale du passage de la frontière avec les États-Unis où les motivations de chacun sont surprenantes, même dans leurs évidences.


Idem avec Room, thriller canado-irlandais de l'Irlandais Lenny Abrahamson, où le thème d'une femme kidnappée et enfermée par un malade me faisait craindre le pire. Là encore, le scénario est beaucoup plus original, nous sortant littéralement de la séquestration pour envisager un autre film. Les rapports de la mère et de son fils y sont particulièrement touchants.


Maryland, film franco-belge d'Alice Winocour, préserve suffisamment l'énigme pour que nous soyons accrochés par le duo de Matthias Schoenaerts et Diane Kruger. Contrairement à beaucoup de films français qui se veulent d'abord explicatifs, contrairement aux films américains (tiens, il n'y en a aucun cette fois dans ma sélection !) qui savent entretenir le suspense, Maryland (c'est le nom de la villa) joue sur la fragilité des personnages qui ne répondent pas aux stéréotypes du genre.


J'ajoute le provoquant et astucieux court-métrage Pornography d'Eric Ledune, passé sur Arte, qui pose bien la question de ce qu'est la pornographie et l'obscénité.


C'est drôle, coquin et surtout particulièrement malin en ce qui concerne la liberté d'expression et l'écart monstrueux qui sépare le sexe de la violence, ce qui est permis ou pas. La bande-annonce ne laisse hélas pas présager de l'évolution du film sur ses 22 minutes ! J'en ai probablement oubliés comme le dernier long métrage de la Danoise Susanne Bier, En chance til (Une seconde chance) ou Rester vertical d'Alain Guiraudie...

lundi 10 octobre 2016

Contreplongée


Comme je n'arrive pas à m'allonger complètement sur la banquette supérieure, je fléchis légèrement les jambes en reposant mes pieds sur les barres en cèdre rouge qui peuvent à d'autres moments rendre la position assise plus confortable. Deux dossiers amovibles sont ainsi livrés avec le sauna. La tête bien posée dans l'alignement de la colonne vertébrale, je vois à travers la fenêtre isotherme le haut des frondaisons du laurier et le mur de bambous qui montent à dix mètres.
J'avais fait pousser cette haie pour bronzer nu à l'abri des regards de la barre d'immeuble située à trois cents mètres, ce qui est absurde à plus d'un point. D'abord parce que ces vingt étages sont très loin de chez nous, ensuite parce que les lofts construits depuis les cachent, enfin parce que plein sud les bambous constituent un parasol parfait qui nous prive du soleil. Ce sont les aléas ridicules de la migration bucolique d'un citadin confronté à la nature. Depuis, j'ai beaucoup appris, mais il m'arrive encore de commettre des erreurs risibles dès que je me mets à bricoler. J'incarne ainsi souvent Bouvard et Pécuchet à moi tout seul !
La position allongée sur le dos, liée à la respiration, est celle que me fait travailler mon kiné Mézières. Je souffle en creusant le ventre et en faisant descendre les côtes vers le bas sans monter les épaules et en essayant même de rapprocher mon cou de la couchette. J'ai trouvé une autre astuce pour y arriver en fléchissant les jambes : je m'allonge dans l'angle de la banquette du bas en plaçant mes jambes à l'équerre sur celle du haut, ce qui me donne plus de place en largeur pour poser les mains.
J'ai tendance à suer le matin plutôt que le soir, mais après la séance de vingt minutes il est indispensable de boire de l'eau et se reposer. Sinon j'ai profité du beau temps de samedi pour nettoyer les grands miroirs placés un peu partout dans le jardin pour renvoyer la lumière.

vendredi 7 octobre 2016

"Accident grave" dans le métro parisien


La journée avait mal commencé. J'avais appris le décès de Fadia Dimerji le 9 août dernier. L'an passé, nous avions sympathisé lors du festival La Voix est Libre à Tunis où elle avait été mon guide et nous avions évoqué les débuts de Radio Nova avec en ligne de mire des projets futurs. J'ai du mal à imaginer qu'elle nous ait quittés alors qu'elle était encore pleine de vie la dernière fois que nous nous sommes vus...
Comme je rentrais à la maison en métro un haut-parleur annonce sur le quai qu'un incident empêche la circulation des trains pour l'heure qui suit. Le préposé au guichet me confirme que quelqu'un s'est jeté sur la voie. Il m'explique que les suicides sont courants à la fin des vacances ou au moment des fêtes, mais que la tendance n'est pas prête de faiblir dans le climat social actuel. Selon la SNCF, 450 tentatives de suicide ont lieu chaque année sur le réseau ferroviaire (trains de banlieue et grandes lignes confondus). À elle seule, l’Île-de-France en comptabilise la moitié. La RATP, elle, ne communique pas sur le sujet, de peur d’inciter les gens à passer à l’acte. En cas de freinage d’urgence, un métro de plusieurs tonnes arrivant à 40 km/h parcourt encore une quarantaine de mètres avant son arrêt total. Généralement, le corps est retrouvé en milieu, voire en fin de rame. Pour le RER, la vitesse double. Du coup, « les chances de survie sont quasiment inexistantes ». Après chaque accident grave, les conducteurs peuvent bénéficier d’un suivi psychologique : par téléphone, via un numéro vert, ou en face à face (Neon Mag). Le terme de suicide n'est jamais cité, mais remplacé par "accident grave". Les causes sont variables, mais le choix du métro est fortement lié à la société et ses insupportables pressions.
L'année dernière j'avais chroniqué Le grand incendie du photographe Samuel Bollendorff qui m'avait appris qu'entre 2011 et 2013 une personne s'immolait en moyenne tous les quinze jours en France. Chaque année il y a plus de 10 000 décès pour 250 000 tentatives, presque trois fois plus que les victimes de la route dont 30% sont des piétons. "Époque de merde", fais-je au guichetier qui reprend mes mots en donnant un coup de tampon sur mon ticket pour que je puisse prendre le bus avec, et il ajoute "accident grave" à la main.

jeudi 6 octobre 2016

Non je ne veux pas d'une civilisation comme celle-là

...
Avec Feu et Rythme qui l'a précédé de deux ans, mon disque de Colette Magny préféré est Répression, parce que ce fut par lui et la chanson éponyme que je découvris cette chanteuse extraordinaire qui allait accompagner nos luttes, parce que la suite des Black Panthers est composée par le pianiste François Tusques, qu'y figurent le trompettiste Bernard Vitet, les contrebassistes Beb Guérin et Barre Philips, le sax alto Juan Valoaz et le batteur Noël Mc Ghee, parce que Léon Francioli a composé la musique de Libérez les prisonniers politiques, que la pochette est signée Ernest Pignon-Ernest, et parce que Camarade Curé m'avait fortement surpris et impressionné.
45 ans plus tard, Pierre Prouvèze m'offre le disque du Chœur des prêtres basques GOGOR. À côté de Ez, Ez Dut Nai sur lequel Colette chante en re-recording, les autres morceaux sont aussi émouvants. Le 4 novembre 1968, devant l'absence de réponse du Pape à leur lettre de doléance sur l'attitude honteuse de l'Église au Pays Basque, soixante prêtres de la Biscaye décidèrent de s'enfermer au séminaire de Derio tant que Rome ne réagirait pas. Quelqu'un eut la bonne idée de les enregistrer pendant les 25 jours où ils étaient cernés par la police et accablés par la presse. Comme le texte intégral de leurs revendications reproduit sur le livret du CD est assez long, je cite seulement quelques vers de Colette qui résume leur position :
Camarade-curé, l'évêque t'a interdit d'exercer ton ministère
À la rigueur tu peux dire la messe,
mais surtout pas prêcher...
Et plus loin
"L'Église est coupable de l'oppression qui s'exerce sur les travailleurs,
Liée au pouvoir fasciste, militariste et capitaliste,
Elle jouit de privilèges dont le peuple est privé,
Nous la voulons pauvre du côté des pauvres et des opprimés,
Libre sur le plan du culte,
Dynamique, à l'avant-garde de la promotion humaine,
Qu'elle s'incarne dans l'Histoire, dans la marche et dans l'effort des travailleurs du pays basque..."


Je fus très proche de Colette Magny que j'allai voir dans sa campagne à Verfeye-sur-Seye dans le Tarn-et-Garonne. Nous avons enregistré ensemble Comedia dell'Amore en 1991 au sein d'Un Drame Musical Instantané, et tant Francis Gorgé que Bernard Vitet l'accompagnèrent dans ses récitals. Je me contentais d'improviser au piano avec elle ici et là. Avec Léo Ferré et quelques autres, douée d'une voix exceptionnelle, elle représenta pendant trente ans l'extrême-gauche par ses textes provocateurs et revendicatifs. Depuis sa disparition, il y a bientôt vingt ans, je pense souvent à elle.

→ Colette Magny, Répression / Pena Konga, CD Scalen'Disc
→ Go-Gor, Agorila, CD remasterisé en 2012

mercredi 5 octobre 2016

Cultiver son jardin


Lundi et mardi, après un puis deux articles sur des disques qui viennent de sortir, je n'avais pas envie que l'on me prenne par erreur pour un journaliste. D'autant que les semaines passées j'avais chroniqué ceux d'André Minvielle, Michèle Buirette, Daniel Erdmann, Ursus Minor, l'ONJ, plus l'exposition Hergé au Grand Palais et celle sur le rêve à Marseille, sans compter les DVD, etc. Mon actualité de compositeur étant plus calme depuis la rentrée de septembre, je ne m'activais pas moins en studio où je prépare plusieurs albums...
C'est donc au jardin que je me retrouvai face à moi-même, moment de détente que j'alterne avec la position allongée sur le dos, comme me le conseille mon kiné Mézières. Le matin et/ou le soir je profite du sauna que nous venons d'y installer et qui m'oblige à rester tranquille pendant une bonne vingtaine de minutes !


Car je ne tiens pas en place. Hyperactif, incapable de procrastination, je fais ce qui est à faire à l'instant où j'y pense ou si l'on me sollicite. Cela commence très tôt le matin alors que j'éteins bien tard le soir. L'automne m'occupe aussi à balayer les feuilles qui se ramassent à la pelle. Le charme perd ses fleurs, et persifleur, je dirais que le vent est tel qu'il en tombe autant derrière moi que j'en balaie devant. Elles ressemblent à de minuscules feuilles d'érable à trois folioles. Je lis que ce sont en réalité des fruits, akènes ligneux de 3 à 6 mm de long, attachés à une bractée en forme de feuille trilobée qui forme une aile favorisant leur dispersion... Je déverse tout cela dans le compost que Françoise a installé intelligemment et qu'alimentent gentiment deux ou trois voisins.


Je fuyais le journalisme et me voici botaniste (ou composteur de musique, comme le suggère ma cousine Susy), m'éreintant stupidement alors que Fiona m'a délivré une séance géniale de shiatsu le matin-même. En ce qui concerne mes articles, je tiens à préciser encore une fois qu'il s'agit pour moi d'un acte militant face à la faillite de la profession. J'adore découvrir de nouveaux talents, défendre des artistes méconnus victimes de l'injustice du système, donner un coup de pouce aux plus jeunes, en résumé transmettre avec la même énergie et la même foi ce que les aînés qui ne sont plus là ont eu la générosité de me léguer. Pensée récurrente à mon papa qui vit au dessus de mon épaule comme un Jiminy le criquet, à Frank Zappa qui m'a mis le pied à l'étrier, à Jean-André Fieschi qui m'a tant appris et donné le moyen de continuer à apprendre, à Bernard Vitet qui fut mon camarade et mon complice pendant plus de trente ans... Les autres se reconnaîtront dans la longue liste cachée sous les crédits de drame.org !


Je me réfugie donc dans la petite baraque au fond du jardin pour suer un bon coup avant douche glacée. La pseudo chromothérapie me suggère de choisir le rouge lorsque je souhaite doper mon métabolisme et le bleu pour me reposer. Voilà ainsi plusieurs nuits où je dors d'une traite pour avoir branché les infrarouges après le film, un peu avant d'aller me coucher... J'ignore si le sauna me fatigue ou me dynamise, ou peut-être les deux, mais je me sens incroyablement mieux depuis quelque temps, malgré les mauvaises nouvelles que l'actualité ne cesse d'apporter et qu'il est indispensable de combattre, même en pure perte.

mardi 4 octobre 2016

La musique, éternel espéranto - 2


Hier j'écrivais : Il y a du revival dans l'air, mais ce retour aux sources s'expose sous les couleurs de la mixité. Puisque, depuis le free jazz, le rap, le reggae ou l'électro, aucune révolution musicale n'est sorti des haut-parleurs, c'est en mélangeant des ingrédients jusqu'alors étrangers les uns aux autres que la cuisine se renouvelle. Au lieu de défendre leurs prés carrés, les musiciens ont appris à s'écouter en allant voir ailleurs s'ils y sont. Ils ont découvert d'autres styles, d'autres modes de jeu, d'autres règles, d'autres accents. Nombreux ont compris que la musique est la forme rêvée et aboutie de l'espéranto...
Ainsi TOC, initiales du trio de Jérémie Ternoy (Fender Rhodes), Peter Orins (batterie), Ivann Cruz (guitare) s'est une fois de plus adjoint une ribambelle de camarades pour traduire leurs impressions en musique. Pour ce nouvel album, le vague alibi du jazz de la Nouvelle Orléans les rapprocherait plutôt de la transe de l'Art Ensemble de Chicago quand ceux-ci singeaient le rock avec souvent plus d'à propos que les originaux. Ils se débrouillent pour que les uns assurent une continuité dans la pulsation pendant que les autres jouent des riffs répétitifs sans ne jamais perdre de vue une certaine idée du free, la liberté de jouer ensemble. Le trompettiste Christian Pruvost, les saxophonistes Sakina Abdou (alto et soprano) et Jean-Baptiste Rubin (baryton et ténor), le tubiste et trombone Maxime Morel sont les derviches tourneurs de The Compulsive Brass. Si les références aux ancêtres Jelly Roll Morton et Kid Ory sont explicites, j'ignore d'où sortent certains sons d'apparence électronique dans les introductions. Pour le reste, c'est à vous flanquer le vertige : musique répétitive d'obédience jazz, pop-rock d'influence free, danses de cinglés communicatives, hurlements de joie sur rythmique à même la peau... En plus, vous avez le choix du support, car le collectif sort l'album en vinyle 12", CD digifile, téléchargements mp3, Flac HD 88,2 kHz/24bits. Si la prochaine fois vous pouviez écrire vos notes de pochette autrement qu'en pattes de mouche anorexique blanches sur fond beige, j'aurais encore des yeux en plus de mes oreilles !


TOC & The Compulsive Brass, Air Bump, Circum-Disc, dist. Allumés du Jazz / Musea / CDBaby

lundi 3 octobre 2016

La musique, éternel espéranto - 1


Il y a du revival dans l'air, mais ce retour aux sources s'expose sous les couleurs de la mixité. Puisque, depuis le free jazz, le rap, le reggae ou l'électro, aucune révolution musicale n'est sorti des haut-parleurs, c'est en mélangeant des ingrédients jusqu'alors étrangers les uns aux autres que la cuisine se renouvelle. Au lieu de défendre leurs prés carrés, les musiciens ont appris à s'écouter en allant voir ailleurs s'ils y sont. Ils ont découvert d'autres styles, d'autres modes de jeu, d'autres règles, d'autres accents. Nombreux ont compris que la musique est la forme rêvée et aboutie de l'espéranto...
Ainsi, le 7 février dernier, le pianiste Alexandre Saada convia 29 musiciens au Studio Ferber à Paris sans qu'aucun ne connaisse le nom des autres invités. Chacun/e était libre de jouer ce qui lui faisait envie. Comme ils et elles improvisaient totalement, il a appelé ce rassemblement We Free (qui fut aussi le nom d'un groupe de rock expérimental français à la fin des années 60) et il a découpé les meilleurs passages de ces cinq heures pour les coucher sur un CD. L'autodiscipline a si bien fonctionné que nous pouvons écouter de joyeuses et exubérantes compositions collectives instantanées. Le temps où l'improvisation était tragiquement devenu un style est définitivement révolu. On peut même danser sur ces élucubrations instrumentales d'où émergent les voix chantées. Il a donc fallu se conformer aux références en espérant que toutes et tous partageraient le goût du rythme, des riffs et de la tonalité. Si le résultat rappelle parfois Pharoah Sanders ou les grands ensembles d'Archie Shepp, c'est bien que cette soirée avait à la fois un caractère de fête, mystique de l'union et compréhension raisonnée de la véritable anarchie. N'ayant pas encore trouvé de lien vers l'album ailleurs que sur des sites marchands, je leur en veux de m'obliger à recopier leurs noms avec mes deux doigts. Étaient donc présents Sophie Alour, Julien Alour, Illya Amar, Philippe Baden Powell, Marc Berthoumieux, Martial Bort, Florent Briqué, Gilles Coquard, Larry Crockett, Alex Freiman, Macha Gharibian, Julien Herné, Olivier Hestin, Chris Jennings, Dominique Lemerle, Sébastien Llado, Olivier Louvel, Malia, Meta, Jocelyn Mienniel, Ichiro Onoe, Antoine Paganotti, Tony Paeleman, Bertrand Perrin, Laurent Robin, Clotilde Rullaud, Alexandre Saada, Olivier Temine, Tosha Vukmirovic. Alors pour la peine, la prochaine fois que vous vivez de telles agapes, invitez-moi à les partager !

→ Alexandre Saada, We Free, musique improvisée par The All Band, label Promise Land, dist. Socadisc