La première chose qui surprend en arrivant au Festival International du film d'Aubagne Musique et Cinéma est la jeunesse de ses participants et des spectateurs. Les métiers artistiques attirent de plus en plus de candidats à une vie rêvée où l'imagination peut s'épanouir en marge des circuits formatés de l'insertion professionnelle. Le cinéma et la musique sont des secteurs qui inspirent la liberté alors que leur coût souvent élevé risque d'enfermer ses protagonistes coincés entre les fourches caudines d'une demande qui laisse peu de place à l'offre. Combien de ces jeunes réalisateurs et réalisatrices ont le fantasme d'un long métrage et se retrouveront acteurs d'un secteur audiovisuel en expansion, mais axé sur le service, la communication d'entreprise, la publicité, ou travailleront, au mieux, pour l'un des magazines télé qui inondent les chaînes thématiques ? À quels interlocuteurs seront-ils confrontés ? Les décideurs, issus d'écoles de commerce, ont remplacé depuis longtemps les producteurs, cinéphiles qui ne prétendaient pas penser à la place du public ! Pourquoi tant de compositeurs et compositrices aimeraient écrire pour le cinéma alors que quelques heureux élus trustent la plupart des films à budget conséquent ? Heureusement la musique appliquée subit moins de pressions budgétaires que le cinéma et beaucoup exerceront leur art dans le cadre de commandes plus modestes, mais qui leur permettra de ne pas forcément renier leurs aspirations premières. L'audiovisuel demande de la musique pour soutenir ses images, homogénéiser ses montages, donner un supplément d'âme à ses productions. Hélas trop souvent les partitions sonores ne font que souligner au marqueur fluo les intentions des réalisateurs. Peu utilisent les ressources réelles du son dans un esprit de complémentarité où le hors-champ prend tout son sens. Les compositeurs français ont pourtant longtemps lutté contre la tradition américaine, très illustrative, à l'instar d'un Maurice Jaubert, modèle incontournable du compositeur de musique de film dans notre pays. La relève existe évidemment et des cinéastes comme Jacques Tati ou Jean-Luc Godard ont su expérimenter dans le passé d'astucieuses combinaisons entre l'image et le son.
Plusieurs remarques s'imposent. Un, la musique de film ne saurait être un genre. À chaque projet correspond un traitement particulier et seule l'audace permet de sortir des sentiers battus. Deux, il est plus facile de composer que de réaliser, car on reste musicien en sifflant sous sa douche tandis qu'en tant que cinéaste le plan n'est pas le territoire, un scénario n'est pas un film. J'ai rencontré tant de metteurs en scène malheureux lorsqu'ils ne tournaient pas, et non des moindres, alors que les musiciens sont souvent des gens heureux, même en période de disette. Trois, tout reste à inventer dans l'équation audiovisuelle, les accompagnements musicaux de la plupart des films se contentant d'accélérer le rythme cardiaque des spectateurs ou d'envelopper d'un sirop lénifiant les scènes sentimentales.


Un festival comme celui d'Aubagne, dont c'est la 18e édition, est d'autant plus indispensable qu'il met en relation artistes et producteurs, réalisateurs et compositeurs. Ainsi, par exemple, un producteur de courts métrages choisit parmi vingt-cinq scénarios ceux qui l'intéressent, rencontre leurs auteurs pendant une heure, puis une conversation à trois le retrouve avec un réalisateur face à quatre à six compositeurs qui, de leur côté, bénéficient souvent de deux rendez-vous. La plupart des prétendants sont liés à un CNSM et ont entre 27 et 35 ans. La compétition rassemble 73 courts métrages choisis parmi 2000 reçus, et 10 longs métrages. Quantité d'autres films sont projetés dans les salles d'Aubagne hors compétition. Il y a aussi un programme pour les collégiens et lycéens. Dépendant de la faculté de sciences de l'Université d'Aix-Marseille, le SATIS implanté à Aubagne forme aux métiers de l'image et du son, avec 140 étudiants par an répartis sur trois années de formation (3e année de Licence et Master), et un doctorat. Avec le concours de la Sacem, le Festival organise chaque année une master class de composition de dix jours. Cette fois le compositeur Jérôme Lemonnier s'adresse à neuf jeunes compositeurs qui réécrivent des partitions originales de cinq courts métrages existants : Celui qui a deux âmes de Fabrice Luang-Vija (2015), Le voyage dans la lune de Georges Méliès (1902), Les allées sombres de Claire Doyon (2015), 5mn80 de Nicolas Deveaux (2013) et Tma, Svelto, Tma de Jan Svankmajer (1989). Trois ciné-concerts sont d'ailleurs organisés avec le SATIS, l'EEAMS (European Education Alliance for Music and Sound in Media) et les écoles d'Edimburgh, Babelsberg, Utrecht... Comme tout ce monde aime la fête, des concerts complètent le panorama, dont une soirée Chinese Man Records avec Phono Mondial, Alo Wala et DJ Craze, à laquelle je ne manquerai pas de me rendre !