70 octobre 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 octobre 2017

Mon site a déjà 20 ans


Tandis que je dévore Boulevard du stream de Sophian Fanen publié par Le Castor Astral, je me rends compte que mon site, drame.org, a déjà 20 ans.
Fin 1995, comme nous venions de terminer le CD-Rom Au cirque avec Seurat pour la R.M.N., Pierre Lavoie, patron de Hyptique, me propose d'ajouter une partie interactive à l'album de chansons que j'avais fini d'enregistrer avec Bernard Vitet. Il ne se doutait pas qu'avec mes deux acolytes, Étienne Mineur et Antoine Schmitt, alors respectivement directeur artistique et directeur technique, nous allions nous prendre au jeu et dépasser le budget qu'il comptait lui allouer. En proposant au photographe Michel Séméniako d'illustrer la douzaine de petits théâtres interactifs, nous avons transformé le CD Carton en CD-Extra, un format rassemblant un secteur audio, nos 14 chansons, et un CD-Rom d'auteur hyper créatif comme personne n'en avait encore jamais réalisé en France. En plus d'entretiens mis en scène dans une sorte de photomaton inventé par Séméniako où chacun pouvait composer sa lumière, d'une discographie sonorisée, "chaque pièce devint un théâtre interactif, les images agissant comme un filtre magique." L'équipe se composait également d'Olivier Koechlin, conseiller technique, d'Arnaud Dangeul pour le graphisme et de Valéry Faidherbe pour la vidéo, quasiment la même que pour Seurat, sauf que nous jouissions d'une liberté totale vouée à la création et à l'inventivité. Si les facéties de mes camarades Étienne et Antoine étoffèrent le scénario, je signai l'objet et j'avais évidemment en charge le design sonore. Dans les années qui allaient suivre les budgets pour réaliser un site Web ou un CD-Rom étaient 4 à 10 fois plus importants que ce qui se pratique à l'heure actuelle, et 80% d'Internet étaient de la création. Nous pouvions ainsi faire de la recherche et du développement pour les commandes ou les faire profiter de nos recherches personnelles. Aujourd'hui la Toile affiche presque exclusivement du commerce, des services et des échanges sur les réseaux sociaux. Il faut toujours investir les nouveaux médias avant que le Capital s'en empare ! On peut ensuite le détourner, mais ça c'est une autre histoire...
Ainsi, pour lancer Carton, qui sera abondamment salué par la presse, Pierre Lavoie suggère que nous l'accompagnons d'un site Web. Comme Un Drame Musical Instantané est alors ma principale activité, je dépose le nom drame.org, à une époque où les margoulins n'avaient pas accaparé tous les mots du dictionnaire ! Les mp3 n'existant pas encore sur le Net, je sonorise toutes les pages du site historique d'Un D.M.I. et des Disques GRRR avec des fichiers midi. Encore une fois, Étienne Mineur assisté d'Arnaud Dangeul assure le graphisme. Le plasticien Nicolas Clauss lui donnera un petit coup de frais en 2002 à partir de parchemins qu'il me fait écrire sur de très vieux buvards, en 2010 le vidéaste Jacques Perconte le transformera de fond en comble en indexant une gigantesque base de données pour une version V2 du site et Patrick Joubert en révisa le back office il y a deux ans.
J'avais monté un des premiers home-studios en acquérant mon synthétiseur ARP 2600 en 1973, créé les Disques GRRR en 1975, cofondé l'orchestre du Drame l'année suivante, j'étais passé du vinyle au CD en 1987, j'avais travaillé au design sonore interactif pour les CD-Rom dès 1995, et il y a donc 20 ans mis en ligne mon site Web. J'ai continué à investir les nouveaux médias, sur Internet d'abord, puis en installations, pour des objets connectés comme Nabaztag, et plus récemment avec les tablettes. Depuis 2010 j'ai choisi de partager gratuitement une grande partie de mes créations musicales, soit 140 heures de musique inédite, en marge de ma production discographique. Parallèlement à tout cela, je continue à participer à des expériences immersives et interactives dans les espaces muséographiques. Enfin je blogue quotidiennement depuis maintenant 12 ans, en miroir sur Mediapart pour les sept dernières années. Youpi !

lundi 30 octobre 2017

Le n°36 des Allumés du Jazz dépote


Ce n'est pas tous les jours dimanche et le dimanche le facteur est en vacances, c'est dire si chaque nouveau numéro du Journal des Allumés du Jazz est une chose rare que l'on n'attend plus même si l'on sait qu'un jour mon prince viendra. Et déjà la couve dessinée par Stéphane Levallois annonçant le départ de Jean Aussanaire me contredit et contrarie. Christian Rollet et Jean Rochard évoquent ce musicien adorable récemment disparu, François Corneloup l'illustrant d'une tendre photographie, et un jeu des mots croisés lui rend hommage. Zou, Jop, Matthias Lehmann, Gabriel Rebufello croquent les mots d'Albert Lory comme le Grand Cric me le joue à son tour : Bisounours, To Do List, Gérer, C'est dans son ADN sont décortiqués avec un humour et un mordant propres au Journal salué en son temps par Francis Marmande dans Le Monde Diplomatique («Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique»).
L'économie du secteur est le sujet d'un texte analytique sur la production indépendante actuelle tandis que Bruno Tocanne s'insurge en publiant une pétition contre le formatage du marché qui tend à faire passer la culture du service public à l'industrie. Maryline Bihao rappelle les productions jazz du Parti Socialiste. Pic et J.R. offrent une bande dessinée caustique sur la fainéantise, poursuivie plus loin par une analyse d'Aristide Glandasson (ça sent le pseudo à plein nez et la résistance par tous les pores de la peau) sur le sujet, augmenté du cynisme et de l'extrémisme honteusement fustigés par le produit de marketing que les banques nous servent en président de la chose publique. Hasse Poulsen, Noël Akchoté, Jean Méreu, Sarah Murcia, Christian Tarting, Étienne Brunet, Marcel Kanche, Jean-François Pauvros, Jacques Rebotier, Claude Barthélémy, Pablo Cueco, le Riverdog, en profitent pour dénoncer leurs disques le plus fainéant, le plus cynique et le plus extrême.
Toujours autant de petits mickeys rageurs accompagnent les articles puisque c'est la marque du Journal de faire appel à des illustrateurs, comme Julien Mariolle, Rocco, Johann de Moor, Andy Singer, Efix, Jop, Thierry Alba, Nathalie Ferlut, Jeanne Puchol, Cattaneo, Sylvie Fontaine... Jean-Paul Ricard revient sur les rééditions CD et vinyle du Workshop de Lyon, du Cohelmec Ensemble et bientôt du Dharma Quintet, orchestres de jazz libre qui ont marqué les années 70 et dont les protagonistes se souviennent à l'occasion d'un come back célébré en fanfare au Théâtre Berthelot de Montreuil. Pablo Cueco développe des brèves de comptoir toujours aussi spirituelles autour d'un dessin de son papa Henri, disparu cette année comme Alain Tercinet salué cette fois par J-P.Ricard. Elisa Arciniegas Pinilla et Guillaume Roy dialoguent autour de leur instrument, le violon alto. Raphaëlle Tchamitchian interviewe le rappeur Mike Ladd sur son actualité, pas seulement la sienne, mais aussi celle des USA. Il évoque les mouvements Occupy Wall Street, Black Lives Matter, Black Arts Movement et le Mouvement des droits civiques, l'élection de Trump, et une éventuelle révolution prolétarienne... Roland Dronssevault (!) s'entretient avec le compositeur Benjamin de la Fuente, membre également du quartet Caravaggio. Jean-Louis Wiart rivalise d'imagination pour réinventer le passé. Pablo Cueco, qui a demandé à une quarantaine de musiciens (dont ma pomme), producteurs et journalistes de livrer un vers qui les aurait particulièrement marqués ou touchés, encense les poètes mis en musique. Ajoutez quelques photos de B. Zon et de Guy Le Querrec dont celle en quatrième de couverture commentée par Mauro Basilio et vous obtiendrez 28 pages dont j'espère avoir rendu la densité.
Vous pouvez vous abonner gratuitement aux prochains numéros en leur envoyant votre adresse, et même télécharger tous les anciens au format PDF. Vous pouvez aussi commander des disques sur le nouveau site des Allumés en cours de reconstruction. Je déplore seulement la disparition du blog et de la radio aléatoire qui donnaient un peu plus de vie à cette association qui rassemble aujourd'hui pas moins de 98 labels et dont la nouvelle formule Internet n'est pas plus pratique que la précédente, mais l'on sait que Rome ne s'est pas faite en un jour. Quant à la nécessité de continuer la lutte, on sait aussi que la chute et le déclin de l'empire romain sont d'autant plus prévisibles que l'arrogance de nos dirigeants au service exclusif des riches finira par faire tomber leurs têtes. Faut que ça swingue !

vendredi 27 octobre 2017

Gakusei Jikken Shitsu, labo explosif japonais


Pas l'ombre d'une ambiguïté quant à la nationalité du trio Gakusei Jikken Shitsu. Il faut être japonais pour diffuser une telle énergie. Sont-ce des réminiscences de l'ineffaçable catastrophe de Hiroshima ou la réaction épidermique à une société oppressante restée médiévale ? Lorsqu'ils s'en affranchissent, les îliens de l'Empire du Soleil Levant l'expriment souvent avec la plus grande violence. Il semble n'y avoir d'avenir que pour les cosmopolites. De plus, un plafond de verre relègue les Japonaises tout en bas de l'échelle sociale. Ces considérations peuvent paraître outrées, mais Gakusei Jikken Shitsu, le Laboratoire des Étudiants Expérimentaux, ne déroge pas à la règle. La saxophoniste Ryoko Ono qui signe aussi le mixage, la batteuse Yuko Oshima, membre du duo Donkey Monkey avec qui j'eus la chance de jouer, le bidouilleur d'électronique Hiroki Ono qui éructe dans le micro, ont les doigts dans la prise. Le mélange des timbres et des attaques occupe tout l'espace. Que l'on n'aille pas dire que les filles manquent de pêche ! Heizikan est une montagne, que mon traducteur automatique affuble du suffixe Q&A. Questions et réponses de trois laborantins facétieux qui ont donné à leur album le nom d'un poème chinois de la dynastie Tang, 山中問答 (Shānzhōng Wèndá) du poète 李白 (Lǐ Bái). C'est très chic d'en recopier les caractères, exotique en diable comme la pochette due à Ryoko Ono elle-même...


Est-ce du free jazz nippon, de la noise salvatrice ou un seppuku musical ? Allez savoir ! Enregistré à Nagoya au Japon, Heizikan peut aussi bien représenter une explosion nucléaire, la colère que ses traces produisent sur les nouvelles générations ou un disque kamikaze que seuls quelques fous furieux encenseront. On ne le saura jamais. Les repères nous manquent. C'est de notre côté ce qui le rend séduisant. Plus de questions que de réponses. Le sens des mots hurlés nous échappent, mais les titres livrent des pistes en forme de points d'interrogation. Cette époustouflante crise de nerfs dont on ne ressort pas indemne ressemble à un legs de jeunes adultes à leur progéniture grandissante. Comme si à chaque passage de la vie correspondait une phase critique, une tempête avant le calme. Ici vraisemblablement Force 11.

→ Gakusei Jikken Shitsu, Heizikan - le lp inclut une version cd - Bam Balam Records, 16,95€

jeudi 26 octobre 2017

El Strøm sur Le Monde Diplo


Hier soir, juste avant de monter en scène, je découvre l'article que Marie-Noël Rio a écrit sur notre dernier CD dans Le Monde Diplomatique d'octobre, sans avoir le temps de prendre connaissance du cahier central de sept pages consacré à la Révolution d'Octobre 1917, sujet de la soirée au Cirque Électrique. Marie-Noël est présente dans la salle. Elle n'a pas changé depuis notre dernière rencontre il y a quarante ans, toujours le même enthousiasme, la même espièglerie, une éternelle jeunesse qui tient très probablement à la passion pour tout ce qu'elle fait. Il n'y a pas de secret ! À l'époque elle venait de terminer le livret de l'opéra Histoire de loups d'après Sigmund Freud pour Georges Aperghis et j'assistais Jean-André Fieschi pour la première époque des Nouveaux Mystères de New York. L'article me fait d'autant plus plaisir que je ne m'y attendais pas du tout...

Long Time No Sea
d’El Strøm
GRRR, distribution Orkhêstra,
79 minutes, 2017, 15,50 euros.
La chanteuse Birgitte Lyregaard, l’électronicien et percussionniste Sacha Gattino et l’amoureux du son des objets (entre autres) Jean-Jacques Birgé composent un trio de musiciens hors pair qui s'est baptisé « Le Courant » en danois. Neuf titres ici, dont six avec des textes en français, en anglais, en danois. Tout leur est matière sonore, les instruments (la gamme jouée à deux musiciens est saisissante), la voix, d’une ampleur étonnante, les mots, les machines musicales, les synthétiseurs et les objets... C’est une musique de couleurs, de timbres avant toute chose, qui procède par grands plans rêveurs, qui prend son temps et que des interruptions inattendues, des explosions chamboulent brusquement. Toujours joueuse, à l’instar de « Radio Sandwich », flirtant à l’occasion d’un morceau avec l’ésotérisme, elle se nourrit d’elle-même et meurt de sa propre consomption, créant un monde en soi, enfantin et savant, ou passent des échos de chansons, de musiques de film, de jazz, avec comme un air parfois de Lewis Carroll. Le dernier mot de la dernière chanson donne le mode d’emploi : « That will speak if only one listens » (« Ça parlera si seulement on veut bien écouter »).

mercredi 25 octobre 2017

Le Code Hayes


Au début du mois, l'Université Populaire de Bagnolet organisait des conférences chez l'habitant dans le cadre du Festival [Dedans] - J'invite un[e] chercheur[e]. Ainsi chez les uns et les autres se succédèrent, entre autres, Emmanuelle Delanoë-Brun pour "Politique/fiction: penser la société dans les séries américaines contemporaines", Alejandra Sanchez pour "Prévenir les conflits par la communication non violente", Vanessa Codaccioni pour "État d'exception/État d'urgence", Levent Yilmaz pour "Comprendre la situation politique en Turquie", Jeanne Burgart pour "L'écoféminisme : écologie et féminisme, même combat ?"... En invitant Serge Chauvin, critique de cinéma, traducteur, professeur à Paris Ouest Nanterre, et sachant qu'il était spécialiste du cinéma américain, Françoise lui avait suggéré de parler du maccarthysme. Notre conférencier avait donc intitulé sa prestation "Le Hollywood classique face aux pressions politiques : du code d’autocensure à la chasse aux sorcières". Après quelques agapes gastronomiques concoctées par ma compagne, nous avons écouté Serge Chauvin, si intarissable et passionnant sur le Code Hays que la seconde moitié de son sujet passa à l'as. La crise économique avait valorisé le sexe et la violence pour les pauvres qui voulaient s'enrichir. En niant le statut artistique au cinéma, les films ne tombent pas sous le premier amendement de la Constitution et sont susceptibles d'être interdits. Hollywood préfère s'autocensurer. La période du Pré-Code fut incroyablement provocatrice, mais à partir de 1934 les scénaristes doivent jouer de métaphores truculentes pour déjouer les règles qu'impose le Code. Chauvin choisit de nous montrer une séquence de Baby Face (Liliane) telle qu'elle fut tournée en 1933 et sa version ultérieurement censurée. La provocante Barbara Stanwyck y incarne une fille prête à tout pour sortir de sa condition sociale. Face à un cahier des charges contraignant, le Code permit aussi à des cinéastes de contourner la censure en devenant typiquement inventifs...
Évoquer Barbara Stanwyck me donne envie de revoir plus de films avec elle, comme The Purchase Price de William A. Wellman, L'Homme de la rue (Meet John Doe) de Frank Capra, Le démon s'éveille la nuit (Clash by Night) de Fritz Lang, Quarante tueurs (Forty Guns) de Samuel Fuller, et l'explosif Boule de feu (Ball of Fire) de Howard Hawks. Mais il y en a des dizaines que j'ignore totalement...

mardi 24 octobre 2017

Retour vers le futur : Octobre 1917


Hier, mon père aurait eu 100 ans, manière personnelle de célébrer le centenaire de la Révolution d'Octobre. Môme, j'avais été choqué que toute la famille impériale avait été assassinée, y compris les enfants. Il m'avait expliqué que c'était la seule manière d'être certains qu'ils ne reviendraient jamais. Je me demande aujourd'hui comment nous débarrasser de la mafia internationale bancaire qui, pour exploiter la planète, est responsable de dizaines, voire de centaines de millions de morts...
Lucas de Geyter m'a demandé de lire Bureau de tabac de Fernando Pessoa à l'occasion d'une soirée au Cirque Électrique qui commémorera, demain soir mercredi, cette Révolution d'Octobre 1917. Impossible pour moi de l'apprendre par cœur, mais je me suis mis le texte en bouche en le récitant chaque matin. J'ignore encore si c'était mieux à ma première lecture ou si le fait de répéter améliorera ma diction, mais l'exercice démosthènique tombe à pic face à un implant dentaire particulièrement épineux ! Après un an, un appareil amovible et une dent provisoire, la dentiste fixera la couronne définitive (rien de royal, n'est-ce pas !) quelques heures avant le spectacle... J'ai imaginé pouvoir lire le texte sans micro, mais en m'en servant pour les a parte entre parenthèses. Cela aussi je devrai le tester sur place. En attendant je recopie le texte que Lucas, qui chantera et jouera de la batterie avec son groupe Rise, People Rise!, a rédigé...
On les a appelés les barbares, ils étaient les Bolcheviks. Il va de soi que ceux qui ont eu recours à ce terme à l’égard de ceux qui ont renversé le Tsar et pris le pouvoir quelques mois plus tard, n’étaient pas tout à fait en amitié avec la Révolution russe d’Octobre 1917. Nous, si. Célébration, donc !
Car la nuit du 24 au 25 Octobre 2017 marquera le centenaire de cette Révolution russe, celle qui a fait trembler le monde « occidental » de par sa réussite fracassante, mettant ainsi au pouvoir les ouvriers et les paysans, les pauvres et les sans-grades, ceux qu’aujourd’hui on appellerait en toute quiétude les « sans-dents », les « fainéants » ou encore « ceux qui ne sont rien ».
Cependant, ici, il ne s’agira pas de parler de 17 de manière détaillée et exhaustive comme n’importe quel historien pourrait le faire, mais plutôt de célébrer ce centenaire avec des textes et de la musique ; d’être accompagnés des beautés de l’humanité pour retrouver l'envie, la joie et la conviction nécessaires aux luttes, comme armes pour pouvoir les gagner.
Deux parties rythmeront la soirée :
1) La partie textes qui sera ouverte par un petit résumé, tout de même, et enchaînera sur quatre textes (Maïakovski, Hocquenghem, Pessoa) lus par trois comédiens et un musicien : Jean-Jacques Birgé et Guillaume Fafiotte, Jean-Marc Hérouin et Jacques Pieiller, qui nous font l’immense honneur et l’incommensurable plaisir de venir soutenir la cause.
2) Partie musique - Rise People, Rise!.
Au Cirque Électrique, le 25 Octobre 2017 à 20h, nous essaierons, ensemble, Mesdames et Messieurs, cher public, de réveiller nos instincts joyeux et combatifs plutôt que de continuer à subir la morosité ambiante, celle qu’on nous impose en nous faisant croire que rien d’autre n’est possible. Et pourtant, on a la preuve…

Retour vers le futur, Le Cirque Électrique, Place du Maquis du Vercors 75020 Paris, Métro Porte des Lilas - ENTRÉE LIBRE

lundi 23 octobre 2017

100 ans (?) de musique électronique à Paris


Vendredi dernier je participais à une conférence (anglophone) intitulée "100 Years of Electronic Music" organisée par le MaMA Festival. Les questions portaient sur la naissance de cette musique, la situation de Paris, le lien au jazz, le rapport aux images, la place des femmes, etc. Ben Osborne avait invité également Eva Peel, Samy El Zobo, Kat Quint, Ygal Ohayon, DJ Yellow qui chacun, chacune se référait essentiellement à sa propre expérience. Si notre médiateur londonien me semblait confondre sa préfiguration par Luigi Russolo, père de la musique bruitiste, avec les réels premiers balbutiements sur le territoire nord-américain, d'autres situaient sa naissance avec le krautrock allemand ou avec l'arrivée des ordinateurs. Le plus simple est de vous renvoyer à la lecture des Fous du son de Laurent de Wilde, préférant de mon côté retranscrire les remarques qui m'avaient titillé sur mon chemin en métro vers la salle du FGO Barbara. Hélas les machines de la RATP ne swinguent plus comme au temps du boogie !
Donc sans évoquer ici les inventeurs de cette lutherie moderne, trois vagues marquèrent l'histoire de la musique électronique. Dans les années 50 la première est le fruit de compositeurs qui partageaient de grands laboratoires. Le Traité des objets sonores de Pierre Schaeffer analyse remarquablement ce que l'on pouvait en attendre. Au début des années 70 la seconde survint avec l'avènement des synthétiseurs, instruments grand public offrant de devenir nomade ou de travailler chez soi. Les groupes allemands poussèrent leur utilisation vers une répétitivité plutôt planante. Divers musiciens s'en emparèrent dans le jazz ou la pop, mais c'est seulement au milieu des années 80 que la troisième vague déferla sur les plages avec l'informatique et la danse. Grâce à cette lutherie qui n'avait plus rien de spécifiquement musicale la techno permit à tous et toutes de faire de la musique sans passer par le cursus scolaire jusqu'ici pratiquement incontournable. Ce n'est pas tout à fait juste, puisqu'il exista toujours des autodidactes et des manières personnelles d'éviter les chemins balisés. J'en fais partie ! Ni Django Reinhardt, ni Jimi Hendrix, ni Paul McCartney ne lisent la musique, pas plus que nombreux chanteurs, entre autres d'opéra, qui mémorisent ce que leur pianiste répétiteur leur joue ou quantité de jazzmen improvisant à l'oreille.
DJ Yellow suggéra d'ailleurs que la liberté de sortir des formes convenues est commune au jazz et à l'électronique. Osborne cita Delia Derbyshire (que j'avais découverte seulement en 1969 avec White Noise), et Eva Peel lista nombreuses DJ qui purent s'affranchir du machisme du milieu musical en prenant leur indépendance. Quant aux images projetées et aux clips vidéo ils occupèrent d'autant plus de place que les concerts d'ordinateurs portables sont peu sexy. Osborne salua mon initiative de revenir en 1976 au ciné-concert avec toutes sortes de bruits, machines et instruments, ce qui n'avait pour lui d'antécédents que les glouglouteurs, crépiteurs, hurleurs, tonneurs, éclareurs, siffleurs, bourdonneurs, froisseurs de Russolo accompagnant des films muets dans les années 20. Je me trompais par contre en suggérant que Russolo avait adhéré comme Marinetti au fascisme alors que son refus l'éloigna des futuristes italiens.
Les choses ne sont pas si claires entre musique électronique et bruitiste, lutherie électrique et électronique, musique de danse et sons de synthèse, etc. Il me semble pourtant que la lutherie fut déterminante pour la création musicale. De même que les impressionnistes sortirent peindre la nature avec les tubes en plomb glissés dans leurs poches, les instruments de travail orientèrent chaque fois les grands courants. Quel sera alors la prochaine étape ? Il est par exemple probable que naissent de nouvelles interfaces, le clavier de piano ou le clavier d'ordinateur n'étant pas les mieux appropriés, ce qui produira forcément de nouvelles musiques...

vendredi 20 octobre 2017

Toto Bona Lokua sur un tapis volant


Treize ans après Totobonalokua qui avait marqué les débuts du label NøFørmat, le même trio réitère la magie de leurs voix mêlées, et même le surpasse. Le Martiniquais Gérald Toto, le Camerounais Richard Bona et le Congolais Lokua Kanza vont emballer les amateurs de belles voix, leurs harmonies vocales se hissant à la hauteur de leurs évidentes mélodies. Au jeu des comparaisons, j'ai immédiatement pensé à des Crosby Stills Nash & Young panafricains, avec des réminiscences de Simon and Garfunkel ou Bobby McFerrin. Susurrées, fredonnées, assumées, leurs chansons tissent un tapis volant au dessus d'un continent dont les frontières auraient été pulvérisées par le langage universel de la musique. D'en haut le paysage est d'une beauté à couper le souffle. Passé la folie des peuples qui se déchirent à l'instigation des puissants qui exploitent leurs richesses, la langue de chacun dessine des reliefs incroyables aux couleurs éclatantes, changeant sans cesse sous un soleil qui réchauffe le cœur. Le titre du disque, Bondeko, signifie l'amitié ou la fraternité en lingala. Les guitares tissent cette merveille veloutée. De temps en temps le claquement des langues comme les peaux des percussions brodent autour des cordes, qu'elles soient de métal, de boyaux ou purement vocales. Cette nouvelle musique pop échappe à la world désincarnée où personne ne reconnaît plus ses petits. À l'opposé, ces trois artistes dessinent une carte du Tendre d'un continent influent dont les ressources ont encore beaucoup à nous apprendre.


→ Toto Bona Lokua, Bondeko, cd NøFørmat, 15€, sortie le 3 novembre 2017

jeudi 19 octobre 2017

30YearsFrom


Il me semble évident que Théo Girard ressentit le même choc que moi en découvrant Sons of Kemet. Il avait déjà beaucoup écouté Polar Bear et Acoustic Ladyland où œuvrait également le batteur londonien Seb Rochford, assez pour l'engager dans son excitant projet intitulé 30YearsFrom. Trente ans, c'est le temps qu'il aura fallu depuis son arrivée sur Terre jusqu'à ce premier album sous son nom. Et d'ici trente ans allez savoir où le jazz nous emportera ! La danse puissante de la batterie confère donc à son trio un groove incroyable. Évitant les comparaisons avec le génial saxophoniste Shabaka Hutchings, le mélodiste à qui il a confié le rôle soliste est le trompettiste Antoine Berjeaut qui n'a jamais été autant à son avantage. Pour varier l'interprétation des thèmes d'une composition à l'autre, celui-ci doit jouer des mécaniques, articulations vertigineuses, au risque d'hériter d'un pâté de lèvres tant les notes occupent les premières lignes. Quant à Théo Girard, c'est Pincemi et Pincemoi sans que personne ne tombe à l'eau. On reste dans les cordes. Le navire fend les flots avec une précision remarquable. Les embruns nous éclaboussent de leur cinglante fraîcheur. On aura bien fait d'embarquer...


→ Théo Girard Trio, 30YearsFrom, cd Discobole Records, Digipack et édition sérigraphiée limitée à 100 exemplaires, dist. L'autre distribution, à paraître le 8 décembre 2017
→ Concert au Festival Banlieues Bleues, La Dynamo, Pantin, le 1er décembre 2018

mercredi 18 octobre 2017

Le point


Il était tôt. Je fais le point. Sans voir grand chose. Mes nouvelles lunettes. Pour lire. Regarde l'objectif. C'est écrit. Lumix. Je découvrirai le cadre plus tard. Du bleu, du vert. La mer, le ciel. Et d'autres cadres. Il est trop tôt pour faire le point. J'ai terminé. Pas encore commencé. Vers où me tourner ? Je pense souvent au sublime film de Michael Powell. I Know Where I'm Going. Ici je sais. Là-bas mystère. Ou bien encore. Les grandes lignes ça va. Mais dans le détail ? Il est un peu tard. Pas trop. La vie d'un homme. Tout est possible. On a le choix. Toujours. Entre deux. C'est ce que j'ai aimé dans le dernier film de Kaurismäki. Toivon tuolla puolen. L'autre côté de l'espoir. Pas le bien ni le mal. Mais bien ou mal. C'est fragile. La cadre dicte sa loi. Je lirai Bureau de tabac de Pessoa au Cirque Électrique le 25. Pour l'anniversaire de la révolution de 1917. L'année où naquit mon père. Je pense souvent à mon papa. Raconter sa vie d'aventurier me conforte. Et le 2 novembre j'enregistre un Tapage Nocturne avec Samuel Ber et Antonin que j'ai intitulé L'isthme des ismes. Les réponses sont sans importance. Seules les questions me guident. Ensuite ? La perspective de l'été 2019 m'offre un avenir. C'est du moins un vecteur qui me permet de rêver. Mais entre temps ? Je jongle avec mes conjugaisons. De tous temps. Cela m'a plutôt réussi. Je fais le point. Que je sois net. Piqué. Le flou autour me convient. C'est objectif.

mardi 17 octobre 2017

Effets spéciaux, crevez l'écran !


L'exposition Effets spéciaux, crevez l'écran ! s'ouvre enfin aujourd'hui à la Cité des Sciences et de l'Industrie et ce jusqu'au 19 août 2018 ! J'écris "enfin" parce que voilà des mois qu'avec Sacha Gattino nous avions commencé à composer musiques et design sonore pour toutes les applications interactives conçues par Yassine Slami. J'ai raconté dans un précédent article comment nous avons joué sur les références en ce qui concerne la musique alors que les sons d'interface accompagnant les actions des visiteurs étaient plutôt d'ordre mécanique et bruitiste avec une coloration électronique liée à la technologie des dispositifs utilisés par les développeurs.
Foule d'effets consiste à construire une séquence en ajoutant progressivement les éléments de l'image après avoir choisi son univers. Le résultat mixant bruitages afférents et musique ne se découvre qu'à la fin, évocations futuriste, 1001 nuits ou médiévale. Les ambiances sont différentes si c'est le jour ou la nuit ou bien s'il pleut, si des évènements sélectionnés sont sonores, et il y a chaque fois trois musiques au choix que l'on peut tester avant de valider.


Pour Truquez comme Méliès on enregistre deux plans successifs en changeant de costumes entre les deux et la musique d'accompagnement est un ragtime pour piano mécanique, tandis que des musiques de cirque dynamisent les participants à Faites les acrobates. Roulements de tambour et coup de cymbale ! Des figures au sol projetées sur écran vertical donnent l'illusion d'apesanteur à la manière des Kiriki.


Les musiques évoquant la joie, la colère, la peur ou un combat de kung-fu sont d'ordre symphonique pour les deux attractions utilisant la motion capture. Un monstre répète ainsi nos propres paroles, un autre reproduit nos gestes.


Nous battons des ailes pour Faire voler le dragon et nous ouvrons la bouche pour lui faire cracher le feu. La musique est atmosphérique et comme nous n'avons pu voler dans le ciel aux côtés de volatiles pour les enregistrer, nous avons fait claquer des serviettes éponge pour rendre l'effet désiré !


À côté de la dizaine des attractions que nous avons sonorisées il y a quantité d'autres choses à voir et admirer. J'ai par exemple bien aimé l'atelier maquillage et les mannequins derrière les vitrines. Le parcours de la visite est découpé en quatre temps : le bureau (coulisses de la préproduction), le plateau (secrets du tournage), le studio (laboratoire des trucages actuels), la salle de cinéma.


Nous nous sommes avancés sur la passerelle devant un fond vert. Sur l'écran accroché au dessus nous nous retrouvons instantanément incrustés dans le Jurassique où un énorme serpent vient nous menacer. Et pour Quels effets quels coûts nous pouvons constater le prix de toutes ces illusions, nous rappelant aussi que parfois les techniques les plus simples sont du meilleur effet ! Aujourd'hui le cinéma de divertissement comme il est produit à Hollywood a recours à des mécaniques très lourdes qui rendent les budgets colossaux, soi-disant pour faire des économies. Il n'y a pas que des films de science-fiction qui les utilisent. Tout semble possible à condition d'y mettre le prix et d'avoir les ingénieurs compétents. Ces spectacles épatants rappellent les origines du cinématographe, un art forain. Mais il existe aussi un cinéma d'art et essai qui utilise ses ressources les plus basiques comme la lumière, le cadre, le jeu des acteurs, le son, le montage et le mixage pour accoucher des chefs d'œuvre.


L'étonnante Danse des particules reproduit nos pas de danse en les traduisant en forme de cailloux, de feuilles, de flammes, d'insectes, etc., poésie graphique qu'offre l'incontournable motion capture. Les musiques sont générationnelles, mais les sons des mouvements sont de notre cru, intégrés comme chaque fois par les ingénieurs développeurs qui font marcher tout cela. À la sortie de l'exposition on peut récupérer sa propre Bande-annonce avec des extraits de soi-même filmé lors des différentes étapes, à condition d'avoir validé son bracelet sur les bornes placées à la fin de chacune. Rentré chez soi, on peut même la revoir sur Viméo ! Nous avons composé quatre musiques spectaculaires, s’appropriant avec quelques malices les codes symphoniques. Ces musiques sont placées aléatoirement sur le montage de chaque visiteur avec chaque fois l'une des vingt-deux voix de comédiens et comédiennes, français, anglais et italiens, histoire de rendre tout cela toujours plus vivant...

Effets spéciaux, crevez l'écran !, Cité des Sciences et de l'Industrie, du 17 octobre 2017 au 19 août 2018, fermé le lundi, à partir de 8 ans, 8 ou 12€

lundi 16 octobre 2017

Dupontel émoussé


Grosse déception à l'avant-première du nouveau film d'Albert Dupontel pour les 40 ans du Cin'Hoche à Bagnolet. À part le rôle énigmatique de Nahuel Pérez Biscayart caché derrière les masques étonnants de Cécile Kretschmar, tous les autres obéissent à un schéma manichéen que le réalisateur avait su éviter dans ses précédents longs métrages. Les méchants interprétés par Laurent Lafitte et Niels Arestrup sont platement méchants, Dupontel joue un gentil demeuré, la petite fille qui traduit les borborygmes de la Bête incarne une Belle, caution de la tendresse, et les autres personnages ne sont pas plus fouillés, caricatures de leurs emplois. Pire que tout, l'abus de la musique grandiloquente et pléonastique, formatée à l'eau de rose, renvoie Au revoir Là-haut à une mièvrerie façon Amélie Poulain. Contrairement à Enfermés dehors ou 9 mois ferme, cette adaptation du Prix Goncourt 2013 de Pierre Lemaitre est bourrée de bons sentiments qui plairont au plus grand nombre, on le souhaite à Dupontel qui joue gros dans cette onéreuse production, mais il est tombé là dans une démagogie loin de sa marque de fabrique, usant de ressorts larmoyants qu'il avait toujours raillés.


Grisé par des mouvements de caméra virtuoses sans justification et des effets spéciaux épatants, le réalisateur a succombé aux sirènes spectaculaires en n'offrant que de rares instants de l'impertinence qui nous plaisait tant auparavant. La critique de la guerre elle-même s'émousse lorsque l'officier qui interroge l'escroc vers la fin le prend en sympathie, non par solidarité politique, mais pour avoir vengé son fils. En mal de reconnaissance, Dupontel a-t-il voulu convaincre du sérieux de ses films derrière leur fantaisie comique ? Nous avons tant aimé son travail jusqu'ici que l'on peut juste espérer que Au revoir là-haut, titre du roman éponyme, est en fait un adieu à une formidable erreur produite la folie des grandeurs.

vendredi 13 octobre 2017

Amnésie


Dans les années 70 la plupart des intellectuels des milieux artistiques avaient adhéré au Parti Communiste, mais tous les étudiants que je retrouvais le soir étaient sympathisants de la Ligue Communiste Révolutionnaire ou se rêvaient anarchistes. Se souvenant des Accords de Grenelle qui avaient sonné le glas des Évènements de mai 68, les plus jeunes traitaient de révisionnistes les membres du PCF inféodés à Moscou et tributaires des décisions du Comité Central qui siégeait Place du Colonel Fabien. Si ses choix politiques avaient coïncidé avec les positions des intellos du milieu cinématographique que je fréquentais, j’aurais probablement adhéré, mais je n’étais pas assez souple pour pratiquer le grand écart. Quelques camarades musiciens niaient aussi que le goulag puisse exister. La plupart de celles et ceux qui étaient alors au PCF le quittèrent au fur et à mesure, certains restant fidèles à leurs idéaux, trop d'entre eux les trahissant, à force de petits arrangements.
De toute manière, la Révolution d’Octobre 1917 avait fait long feu avec Staline, lui-même favorisé par Lénine qui comprit trop tard son erreur, sur son lit de mort, sans parler de Trotsky qui portait la responsabilité du massacre des marins de Kronstadt. Il n’empêche que le communisme reste l’utopie la plus sympathique, mais qu’il exige à la fois rigueur et liberté. Rigueur de contrôler les abus que le pouvoir génère quasi systématiquement, liberté des initiatives qui doivent nécessairement échapper au contrôle centralisateur. La puissance des banques et la violence exercée sur les populations de la planète pour permettre aux actionnaires de toucher toujours plus de dividendes monre clairement que la lutte des classes reste d’actualité. Si les milliards d’exploités n’en ont pas toujours conscience ou qu'ils se résignent, la mafia internationale qui a pris le contrôle des gouvernements sait parfaitement de quoi il s’agit !
Surpris de voir aujourd’hui nombre de membres du PCF passer plus de temps à vilipender Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise qu’à attaquer la casse du néo-libéralisme incarnée en France par le produit de marketing Macron, je constate que les Communistes français n’ont jamais voulu accéder au pouvoir, que ce soit sur indjonction soviétique, ou plus tard quand le Mur s’écroula, que ce soit au lendemain de la seconde guerre mondiale où ils représentaient le premier parti de France, en mai 68 où la grève générale avait renversé le rapport de force, à la signature du Programme Commun avec le Parti Socialiste qui annula toute velléité révolutionnaire, ou ces derniers temps en ne s’associant pas au premier programme cohérent depuis celui du Conseil National de la Résistance, les dirigeants du PCF ont trahi, ou du moins failli. La désaffection des rangs est explicite, et l’on peut comprendre que les militants opiniâtres aient du mal à avaler qu’un ancien socialiste, ancien trotskyste de l’OCI, organisme particulièrement sectaire de l’extrême-gauche, soit l’unique candidat envisageable lors des dernières élections présidentielles. Je rappelle que le NPA préfère se battre au sein des entreprises, position concevable si l’on en juge par la mascarade pseudo-démocratique où l’on en arrive à voter pour le moins pire, à force de manipulations médiatiques.
Je fus ulcéré d’apprendre que des militants du PCF avaient préféré soutenir Emmanuel Macron, ou qu’à Evry ils s’associent à Manuel Valls plutôt qu’à la candidate insoumise Farida Amrani. Malgré le désaveu de leur parti, c'est ulcérant. Les réseaux sociaux abondent de leur Mélenchon-bashing où certains saisissent le moindre prétexte pour démontrer en vain qu’il est soit un dictateur en puissance, soit un avatar socialiste, soit un résidus colonialiste, etc. On les connaissait moins critiques lorsqu’ils avaient élu le fossoyeur Robert Hue à leur tête ! Il serait facile de prouver la mauvaise foi de leurs posts, mais cela ne sert à rien car leur amertume tient d’un déni inconscient où ils oublient leur propre histoire. Chaque fois que je lis leurs critiques, qu’elles pointent un argument perfectible ou déplacé, je ne peux m’empêcher de faire un retour à l’envoyeur et d’interroger leur passé. Leur haine destructrice et démobilisatrice tient plus de la psychanalyse que du débat politique. En désaffection, au lieu de chercher à comprendre et se remettre en question, ceux-ci virent à l'aigreur. Ils restent sur leurs positions réformistes, y ajoutant des attaques fratricides totalement anachroniques, alors que ces derniers mois ont montré une mobilisation extraordinaire chez ceux de la France Insoumise, signe d’espoir que les pisse-froid croient pouvoir enrayer, alors que, se déconsidérant, ils ne font qu’accélérer leur déclin. Le front des luttes s’est simplement déplacé, les abandonnant sur une route qui ne mène plus nulle part. C’est vraiment dommage, car nombre de leurs aînés furent des modèles de probité gestionnaire, à la pointe des luttes sociales, ardents porteurs de projets culturels. Certains poursuivent cette tradition, d’autres se fourvoient en se trompant d’ennemi.

jeudi 12 octobre 2017

Bilan de santé


Je ne suis pas président de la république et vous pouvez le regrettez au vu du produit de marketing que "nous" avons élu, mais mon service de communication me conseille de publier un bilan de santé, au moins une fois tous les cinq ans. D'autant que le changement de saison provoque en chacun de nous des interrogations légitimes. Donc un mois et demi depuis cette photographie, l'air parisien est passé à la température du torrent de montagne où nous nous baignions héroïquement cet été. Huit degrés centigrades, cela nous fait des matins frais. Huit degrés à midi et je ressortais de l'eau aussi vite que j'y avais plongé. Aussitôt j'y retournais, mais après dix brasses je préférais me sécher, debout sur les rochers. Dehors, ah ça non, on n'avait pas froid. Et plus haut, au dessus de la mer de nuages, il était même impossible de rester bronzer sur la terrasse tant le soleil cognait. Le thermomètre risquait-il de faire gicler l'alcool rouge par le sommet du tube ? À l'ombre je profitais de ma liseuse, en lunettes de soleil et visière panoramique. C'est comme si j'évoquais un autre temps, un autre pays, un ailleurs qui n'existe que dans mes rêves.
Il suffirait pourtant que je prenne un avion pour jouir d'un chaud et froid plus exotique que le sauna au fond du jardin. Douche glacée après la suée matinale. Mon corps semble s'en contenter. Mes taux de sucre et cholestérol ont chuté incroyablement depuis un an sans que j'ai changé mon régime alimentaire, me goinfrant toujours autant de mets délicats. Sur le conseil de mon ostéopathe j'ai seulement supprimé la demi-tablette de chocolat du soir, éradiquant comme prévu les cruralgies récurrentes. La chaleur sèche serait donc ma bienfaitrice, garante de ma bonne santé. D'après une autre praticienne, homéopathe passionnée de microbiote, mes marqueurs génétiques seraient de bonne augure, même si je n'y comprends rien. Index HOMA, index Quicki, GPX, SOD, Homocystéine, Zinc, Iode, lactoglobuline, etc. C'est du chinois. Justement, l'idée est de prévenir au lieu de guérir, comme dans la médecine chinoise. Alors tout s'explique. Une histoire d'immunité. L'Assurance Maladie, qui a pris la relève de la Sécurité Sociale, rembourse les millions que coûte par exemple un cancer, mais pas les analyses qui permettraient de l'éviter ! J'avale donc des noix du Brésil, riches en sélénium, et quelques gouttes de vitamine D3. Si je fais attention en traversant la rue j'ai encore de beaux jours devant moi. Donc à demain...

mercredi 11 octobre 2017

Reprise du Workshop de Lyon


Le Workshop de Lyon fut au free jazz français des années 70 ce que François Tusques avait été aux années 60 : les meilleurs représentants d'une réappropriation locale d'un mouvement afro-américain global. Les manifestations contre la guerre du Viêt Nam avaient gagné Paris, mais les Lyonnais avaient déjà fondé leur Workshop en 1967. Chez nombreux musiciens un souffle de révolte attisait alors le feu collectif où le partage devenait la règle. Le Souffle Continu sort en vinyle leurs trois premiers albums (1973-1977) si l'on fait abstraction du magnifique Transit de Colette Magny et du Mirobolis de Steve Waring, enregistrés tous deux en 1975 comme leur second, La chasse de Shirah Sharibad.
En 1977, au moment du troisième, Tiens, les bourgeons éclatent..., ils créent l'ARFI, l'Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire. Collectif soudé et fortement implanté, les musiciens de Lyon ont toujours fait bande à part. Seul Louis Sclavis est parti voler de ses propres ailes. J'ai toujours eu l'impression que la bande des Lyonnais reflétaient l'esprit de leur ville, comme Tusques avec les Bretons, ou Portal et Lubat dans le Sud-Ouest. Le Workshop est inventif, mais il manque souvent de relief à mon goût, une retenue loin de la chaleur gasconne de mes préférés de l'époque. Comme si le squelette était complet, mais que la chair était maigre, un comble pour cette région gastronomique ! Pourquoi cacherais-je que je préfère le foie gras, le confit et le cassoulet ?
Depuis un demi-siècle ils ont conservé leur son, grosse machine collective accouchant de quantité de cellules indépendantes. Certains musiciens ont disparu, d'autres sont arrivés. La relève a toujours été assurée. Dans les trois premiers albums du Workshop, à commencer par Inter Fréquences, Maurice Merle est aux sax, Jean Bolcato à la contrebasse, Christian Rollet à la batterie. Ajoutez le trompettiste Jean Mereu dans le premier, le pianiste Patrick Vollat dans celui-ci et le second, et Louis Sclavis à la clarinette basse et au soprano pour les deux derniers. Les trois albums forment réellement triptyque, somme extraordinaire de recherche de timbres, d'influences de la musique traditionnelle à la contemporaine, de la fanfare au free exubérant, de la gravité à l'humour, avec toujours en ligne de mire ce qu'avait apporté au jazz l'incomparable Art Ensemble of Chicago. Le Workshop de Lyon fut un laboratoire. C'est aujourd'hui une mine pour les générations actuelles par la panoplie incroyable qu'ils rassemblent, en compilateurs géniaux et enthousiastes.

→ Workshop de Lyon, Inter Fréquences, LP Le Souffle Continu, 21€
→ Workshop de Lyon, La chasse de Shirah Sharibad, LP Le Souffle Continu, 21€
→ Workshop de Lyon, Tiens, les bourgeons éclatent..., LP Le Souffle Continu, 21€
Les trois, 56€... Le soin apporté à ces rééditions est toujours remarquable. Je regrette seulement que l'on retrouve le même très beau livret 30x30cm dans les trois disques. Cela permettra peut-être à certains d'en découper deux pour les encadrer !
→ Concert Musiques (Re)belles jazz libre jeudi 19 octobre à 20h30 au Théâtre Berthellot à Montreuil avec le Workshop de Lyon, le Cohelmec Ensemble, le Dharma, François Tusques et invités, quatre orchestres figures de cette époque libertaire

mardi 10 octobre 2017

Exercices de style de la musique appliquée


Derniers mètres de notre travail pour l'exposition Effets spéciaux, crevez l'écran ! qui débute mardi 17 octobre à la Cité des Sciences et de l'Industrie. Avec Sacha Gattino, nous avons réalisé le design sonore des dispositifs multimédia et composé la musique. Le sujet impose une série d'exercices de style que nous nous amusons à respecter en prenant quelques latitudes. Si l'on nous demandait aujourd'hui d'écrire de la musique de cirque par exemple, nous étudierions le projet pour trouver la meilleure solution, sans forcément les références musicales du genre. Mais ici le sujet impose un système référentiel auquel il serait absurde d'échapper.
Ainsi des ragtimes viennent soutenir Truquez comme Méliès, les connotations circassiennes sont de rigueur pour Faites les acrobates ! et Une foule d'effets nous fait accoucher de musiques arabe, médiévale ou futuriste. Le plus épineux fut de composer la minute symphonique de Faites votre bande-annonce, orchestre hollywoodien de cordes, bois, cuivres et percussion. Nous déclinons chaque fois plusieurs variations de manière à créer de la variété par l'aléatoire, pour ne pas lasser les visiteurs. L'artillerie lourde de la bande-annonce comporte ainsi deux thématiques façon Game of Thrones, une troisième plus décalée et humoristique, et la dernière, techno-pop avec guitares électriques, pianos, etc. Ensuite nous mixons chacune des voix des 22 comédiens français, anglais ou italiens avec l'une des quatre B.O.
D'autres dispositifs ont réclamé de la musique originale, souvent symphonique, mais La danse des particules fonctionne mieux avec des pièces existantes que nous avons montées pour qu'elles s'enchaînent façon DJ ! Le reste du travail consiste à bruiter certaines scènes dramatiques, à sonoriser les mouvements des visiteurs aux prises avec la motion capture, et à agencer le design sonore de l'ensemble des sons génériques ou spécifiques pour que tout s'orchestre parfaitement. Les sons étant intégrés par différents développeurs, nous avons demandé à ce qu'ils soient externalisés pour que nous puissions nous-mêmes intervenir dessus en dernière instance. La dernière phase de notre travail consiste en effet (spécial !) à équilibrer les volumes des centaines de sons que nous avons livrés...
Les exercices de style posent des questions auxquelles nous ne sommes pas accoutumés. Certaines restent des énigmes. L'important est que cela fonctionne. En écoutant et en nous confrontant à la matière, nous apprenons quantité de choses que nous avions inconsciemment évitées en composant notre propre musique.

lundi 9 octobre 2017

Symphonie parisienne


La semaine dernière Le Concert de la Loge jouait Haydn, Mozart et Devienne à l'Auditorium du Louvre. Le Comité National Olympique Sportif Français s’étant opposé à l’usage de l’adjectif « olympique », l’ensemble fut contraint d’amputer son nom alors qu'il se référait au « Concert de la Loge Olympique » créé en 1783, célèbre pour sa commande des Symphonies parisiennes à Joseph Haydn. La moyenne d'âge du public était la même que pour une soirée jazz. Sur scène il y avait pourtant pas mal de jeunes, et plus de femmes que d'hommes. Les musiciens baroques, curieux de nature, sont aussi moins compassés que les classiques habituels. Les cordes sont en boyau, les instruments à vent ont moins de clefs et leur timbre est riche de variations d'une note à l'autre.
Passé l'exquise interprétation du Concerto pour piano en sol majeur K453 par Justin Taylor au pianoforte, le moment le plus étonnant de la soirée fut certainement les salves d'applaudissements qui saluèrent les chorus successifs des solistes de la Symphonie concertante pour flûte, hautbois, basson et cor n°4 en fa majeur de François Devienne, compositeur français probablement inconnu à la plupart jusqu'ici. À la fin du XVIIIe siècle on exprimait son contentement comme aujourd'hui dans un club de jazz. De même Julien Chauvin, le directeur musical de l'orchestre (qui joue sans chef) et violoniste, scinda la Symphonie n°82 en ut majeur Hob.I.82 de Haydn, dite de l'Ours, en ouvrant la soirée avec les deux premiers mouvements et en la clôturant avec les deux derniers. Le Haydn et le Devienne enregistrés ce soir-là feront l'objet d'un disque comme tous les concerts de l'ensemble au Louvre.


J'ai été épaté par le solo de cor naturel de Nicolas Chedmail, alternant sons bouchés et ouverts, sans pistons ni palettes, sa virtuosité ne l'empêchant pas de swinguer. La couleur de sa figure se rapprocha progressivement de la tomate, mais ce sont des fleurs qu'on avait envie de lui lancer, comme au jeune pianiste prodige de 25 ans semblant s'amuser à caresser les touches de son instrument qui manquait forcément un peu de coffre, mais quelle grâce ! Si j'ai une fois de plus été subjugué par les inventions du "rocker" Haydn, je me suis tout de même ennuyé aux minauderies mozartiennes. On ne se refait pas. Il y a trente ans, alors que j'avouais à Marc-André Dalbavie, mon désintérêt pour Mozart en dehors de certains de ses opéras et de sa musique maçonnique, le jeune protégé de Boulez me souffla "C'est déjà courageux de le dire" ! La soirée n'en était pas moins bien agencée et je remontai de dessous la pyramide, repu, enjoué, avec aussi le souvenir du parfum des udon au canard caramélisé du restaurant Sanukiya où nous avions eu la bonne idée d'aller avant l'heure d'affluence lorsqu'une queue immense s'allonge sur le trottoir.

Photo © Franck Juery

vendredi 6 octobre 2017

Naked War suscite l'imagination


Au XXIe siècle la lutte sociale nécessite d'inventer de nouvelles formes de résistance. Les manifestations ressemblaient de plus en plus à une promenade dominicale en famille avant que les nervis du pouvoir fassent preuve d'une violence inégalée, histoire de démobiliser les plus prudents. Sous de faux prétextes où le terrorisme a bon dos l'état d'urgence permanent permet de réviser le droit de manifester. Le délit d'opinion s'étend révélant l'État pseudo-démocratique que les médias aux ordres renforcent à coups de manipulations mensongères détournant des vrais problèmes. Les grèves catégorielles n'ont pas plus d'impact, les uns râlant contre les autres d'une semaine à l'autre. La grève générale reste un levier déterminant, mais bloquer le pays solidairement semble étonnamment difficile à négocier entre les intéressés.
Les actions médiatiques sont des exemples de ces nouvelles manières de combattre le monstre inique et cynique. Ainsi Act Up fit preuve de beaucoup d'imagination ou Greenpeace communique largement sur ses interventions. La publicité que les médias de masse leur font est du même ordre que les prétendues revendications d'attentats de Daesh. Un coup de téléphone anonyme ne coûte pas grand chose, encore faut-il se demander à qui profite le crime ou sa signature ?


Même si le discours politique est mince, la lutte des Femen est un exemple de résistance qui mobilise les journalistes et la population. Il y a évidemment une ambiguïté à montrer des jolies filles à la poitrine dénudée, mais celles-ci se servent intelligemment de leurs bustes pour clamer des slogans simples et efficaces. Si leur implication initiale en Ukraine m'apparaît aussi problématique que la dite révolution de Maïdan (par l'implication de l'Allemagne sous contrôle américain et les milices fachistes tirant sur leurs propres soutiens, pardon si je fais court), le combat des Femen contre l'obscurantisme religieux et le machisme généralisé est clair et explicite. Avec Naked War, l'activiste Joseph Paris a réalisé en 2014 un documentaire original assez lyrique. L'écrivaine Annie Lebrun et le philosophe Benoit Goetz ponctuent les actions réprimées par les services de sécurité et les forces de l'ordre, mais c'est la forme nouvelle de combat qui me fait réfléchir, au delà des dissensions internes, de l'épuisement, de la fragilité des lutteuses aux seins nus et des multiples controverses risquant de décrédibiliser leur mouvement. Répondre aux médias en les détournant ou en se les appropriant est une des formes actuelles de résistance, on l'a vu avec les réseaux sociaux pendant les révolution arabes. Dans le passé, un des premiers bâtiments pris d'assaut par les révolutionnaires ou les putschistes était celui de la télévision. Outre le combat des Femen soulevant ces questions fondamentales, le film de Joseph Paris montre des personnages attachants, courageuses gavroches se jetant dans la mêlée. Elles rappellent aussi le bataillon féminin kurde YPJ combattant en Syrie dont on ne parle plus parce que renvoyées chez elles par les machos de service...
Si nous voulons nous débarrasser de la mafia internationale des banques qui a pris le contrôle des États, il va falloir faire autant preuve d'imagination dans les luttes que dans les programmes comme celui des Insoumis par exemple. Il faudra également plus de courage et d'implication pour que "la peur change de camp".

→ Joseph Paris, Naked War, DVD Ed. Montparnasse, 15€, à paraître le 3 octobre 2017

jeudi 5 octobre 2017

Les musiciens l'ont à l'œil


Les musiciens l'ont à l'œil, mais il le jouent à l'oreille. Qui ? Le cinéma ! Pratiquement trois albums de musique sur quatre que je reçois font référence à des cinéastes, des films, des acteurs... La plupart du temps la référence est subjective, voire usurpée, on n'y entend rien qui nous rappelle de près ou de loin les caractéristiques du cinématographe, à moins que ce ne soient simplement des arrangements de thèmes de la BO, indiscutable.
J'y suis d'autant sensible que quiconque désirant comprendre mon atypique musique devra chercher du côté du montage et des ellipses, des effets de perspective et de la grosseur des plans, de l'utilisation de bruitages et d'ambiances paysagères, extraits de dialogue, etc. Compositeur autodidacte, je suis par contre diplômé de l'Idhec (l'Institut des Hautes Études Cinématographiques est l'ancêtre de La Femis) pour le montage et la réalisation. J'y ai gagné quelques lettres de noblesse que je n'ai pas manqué de faire figurer sur ma biographie ! J'ai compensé mes lacunes musicales en adaptant ce que j'y avais appris, développant mon goût pour le médium audiovisuel, l'appliquant à ma pratique instrumentale et mes compositions. L'initiative de revenir au ciné-concert dès 1976 n'y est évidemment pas étrangère. Un drame musical instantané a ainsi accompagné créativement plus d'une vingtaine de films muets, du trio au grand orchestre. Je signifie par là qu'il ne s'agit jamais d'accompagnement ou d'iconoclastie, mais d'une complémentarité que je recherche toujours lorsque je compose de la musique appliquée pour le cinéma, le théâtre, la danse, les applications interactives, les expositions, etc. Il y a aussi ma pratique inaugurale du synthétiseur et de l'improvisation libre, mais ça c'est une autre histoire.
De quoi s'agit-il donc quand des collègues revendiquent leur inspiration du côté du cinéma ? D'un fantasme souvent, de marketing parfois, fut-il plus ou moins inconscient ou explicite ! Le cinéma fait rêver les artistes encore plus que la musique, et pas seulement par intérêt économique. S'il est vrai que j'ai acheté ma maison avec l'un des 200 films que j'ai sonorisés, les 199 autres ne m'ont pas rapporté grand chose ! L'abstraction de la musique peut aussi forcer à revendiquer un concept pour arriver à vendre sa camelote à des organisateurs qui n'y entende pas grand chose, en tout cas beaucoup moins qu'ils devraient (le plagiat n'est pas le fait des seuls artistes, leurs programmations sont trop souvent des clones les unes des autres !). Quoi de mieux alors que le médium où l'identification est poussée à son paroxysme ? Les musiciens fantasment le pouvoir du cinéma à raconter des histoires alors que la musique narrative, la musique à programme, les poèmes symphoniques, n'ont jamais eu le vent en poupe chez les classiques. Les gardiens de la musique savante ont souvent méprisé la chanson et, à moins de travailler pour l'opéra, choisissent des textes les plus abstraits possibles, disons poétiques. Certes la poésie, comme la musique, joue d'effets circonlocutoires qui laissent la place à l'interprétation de l'auditeur. Il est amusant de noter que de leur côté les cinéastes fantasment la musique et la craignent. Ils ont l'impression qu'elle pourrait sauver leur film tout en se méfiant qu'elle n'écrase pas les images. Or l'on ne refait pas le cadre, on ne revient pas sur une faute de rythme, on camoufle et le plus souvent on alourdit en surlignant les effets à la demande des réalisateurs, alors que le son pourrait apporter tant en développant par exemple le hors-champ, au sens propre comme au figuré.
C'est ainsi que ma déception est grande lorsque, le dossier de presse annonçant le Technicolor ou le noir et blanc, je n'en trouve nulle trace à l'écoute. Heureusement les exceptions existent, celles-ci faisant appel à des idées sans rapport avec les structures musicales, mais interrogeant la méthode sans hésiter à en adopter le discours. Il faut pour cela oser les œuvres dramatiques, au sens théâtral du terme, et aimer raconter des histoires, qu'elles soient d'ordre fictionnel ou d'un désordre documentaire.

mercredi 4 octobre 2017

La contrebasse de Bernard Santacruz


Pour quelles raisons Bernard Santacruz m'envoie-t-il son album solo, à moi dont la basse est l'instrument auquel je fais le moins attention dans les configurations orchestrales ? Peut-être parce que j'avais salué son association avec Bruno Tocanne dans leur excellent album Over The Hills ou que la semaine dernière je révélais la profondeur de la basse électrique d'Olivier Lété ? Les sons aigus vibrent en sympathie avec mon coffre haut perché et les solistes se détachent facilement sur le paysage, en tout cas cela expliquerait tout, du moins du côté de mon handicap. Mais du sien, comment sa contrebasse réussit-elle à me happer ?


Les pizzicati de Santacruz me font penser à une écriture manuscrite qui tranche avec les mécaniques trop bien réglées. Ses improvisations s'écrivent comme il respire. Enregistré en public dans la Salle des Nus de l'École des Beaux-Arts de Rouen, son nouveau disque convoque les esprits du lieu. J'ai connu l'un des figurants du film de Jean Cocteau qui jouait une statue "nous" suivant des yeux. Impressionnant. C'est tout vu, il n'y a pas d'histoire, Santacruz les enchaîne pourtant les unes après les autres. Ce sont bien des contes et des fables qu'il prend à la corde, comme une guitare, comme le faisait Charlie Haden. Il y a tout de même des contrebassistes que j'entends bien !

→ Bernard Santacruz, Tales, Fables and Other Stories, cd Juju Works, dist. Absilone

mardi 3 octobre 2017

Top of The Lake (saison 2), top de l'automne


Les amateurs de séries d'abord, bientôt suivis par les cinéphiles qui se rendent progressivement compte que mépriser le médium télévision était un mauvais procès, sont en quête du prochain (très) long métrage d'auteur qui saura leur faire passer une nuit blanche dans le ravissement. Car si l'on peut suivre les feuilletons semaine après semaine, et chaque année leurs nouvelles saisons, beaucoup préfèrent en attendre la diffusion de l'intégralité avant de se lancer dans un marathon. La projection de la seconde saison de Top of The Lake (six épisodes d'une heure) s'est ainsi terminée pour moi à 3h30 du matin. La première avait déjà été brillante, la seconde est fascinante. Écrite par Jane Campion et Gerard Lee, réalisée par Campion la première fois avec Garth Davis, puis ici avec Ariel Kleiman, Top of The Lake: China Girl est d'une qualité exceptionnelle, tant par le scénario et les sujets abordés que par la qualité des acteurs et de la mise en scène. Jane Campion évite tout manichéisme en imaginant des personnages complexes. Elle décortique le machisme en titillant le genre, questionne la famille et les rapports d'assujettissement, la paternité et la maternité, la violence qui prend bien des formes et les traumas de l'enfance, les mensonges que l'on se raconte autant que ceux qui nous sont servis.


Top of the Lake: China Girl est un nouveau thriller captivant dont les corps, la lumière et la musique rythment l'énigme. Elisabeth Moss (Mad Men, The Handmaid's Tale : La Servante écarlate) est une inspectrice fragile qui prend sur elle pour braver le passé et résoudre l'enquête, son association avec Gwendoline Christie (la géante Brienne de Torth dans Game of Thrones) rappellerait presque un casting de Bruno Dumont à la Laurel et Hardy, Nicole Kidman incarne merveilleusement un personnage superficiel victime de son époque, Alice Englert (fille de Jane Campion) est la parfaite adolescente ingrate... Si les femmes montrent ici un courage exemplaire, les hommes véhiculent la lâcheté qui les caractérise depuis l'adultère coupable jusqu'à la manipulation la plus perverse. Le méchant joué par David Dencik est particulièrement réussi, ses motivations terribles étant dictées par la plus virulente des critiques sociales.

lundi 2 octobre 2017

Deux fois Delbecq, mais pas tout seul


Ah non pas tout seul ! La musique fait partie des arts qu'il est bon de partager dans l'acte de création. DStream sort deux albums où le pianiste Benoît Delbecq confronte son jeu élégant à des partenaires tout aussi inventifs et délicats.
Le trio Manasonics est composé avec deux vieux comparses, le batteur Steve Arguëlles et le bruiteur Nicolas Becker. Il y a déjà un quart de siècle que Steve et Benoît avaient fondé les fameux Recyclers avec Noël Akchoté. Ils ont continué leur collaboration sur quantité de projets (Ambitronix, Delbecq 5, Pianoctail, Katerine...). On peut même les entendre sur l'album Machiavel d'Un Drame Musical Instantané ! Leurs interventions sont toujours aussi vives qu'à propos, aussi légères qu'imaginatives. La nature-même du travail de designer sonore de Nicolas Becker fonctionne sur le même registre d'une transparence constructive. Manasonics détournent leurs instruments de prédilection pour constituer une musique de chambre où le trio de percussionnistes joue sur du velours. Delbecq est l'un des grands virtuoses du piano préparé, Arguëlles est un sorcier du logiciel Usine (conçu par Olivier Sens) et Becker passe à l'abstraction en plus d'avoir déjà bruité plus de 250 films. Leur Foley est un des meilleurs disques de l'automne, un petit bijou qui échappe au tape-à-l'œil des grosses machines.
Naturellement j'ai posé ensuite Evergreens sur la platine. Ce second album produit par DStream est plus animé, ping-pong électrique où s'entremêlent les fils et les cordes. Jozef Dumoulin est le nouvel alter ego de Benoît Delbecq. Ensemble, ils forment le duo de claviéristes Plug and Pray, Delbecq au piano, Dumoulin au Fender Rhodes. L'un et l'autre ajoutent l'électronique pour enrichir leur panoplie de timbres, et Delbecq joue également ses e-drums en direct. Comme pour Foley il faudra que je l'écoute plusieurs fois pour trouver les mots. Je ne fais là que balbutier quand eux y vont sans hésiter. Ils se branchent et prient juste pour que ça marche. Et ça vole et nous venge... Les deux (albums) font la paire, et si j'ai bien compris, ce n'est qu'un début !

→ Manasonics, Foley, CD DStream, dist. L'autre distribution, 12,99€
→ Plug and Pray, Evergreens, CD DStream, dist. L'autre distribution, 12,99€