A Fuller Life, l'épopée de Samuel
Par Jean-Jacques Birgé, mardi 26 décembre 2017 à 00:21 :: Cinéma & DVD :: #3787 :: rss
En 2011 je chroniquai la passionnante autobiographie de Samuel Fuller, Un troisième visage. Le documentaire A Fuller Life réalisé par sa fille, Samantha Fuller, en reprend des extraits lus par une dizaine de personnalités qui l'ont connu ou aimé. Parmi eux, James Franco, Tim Roth, Constance Towers (Shock Corridor, The Naked Kiss), Jennifer Beals (The Madonna and The Dragon), Bill Duke (Street of No Return), Robert Carradine, Mark Hamill, Kelly Ward, Perry Lang (tous les quatre dans The Big Red One), Joe Dante, Wim Wenders, Monte Hellman, William Friedkin racontent la fascinante épopée d'un gamin rêvant de devenir journaliste, son engagement pendant la seconde guerre mondiale et son exceptionnel parcours cinématographique. Le montage intègre de courts extraits des films, mais aussi des archives personnelles dont certaines inédites, en particulier de quoi refaire le voyage qui alimenta The Big Red One. À sa mort en 1997, Samantha avait retrouvé sous son bureau une centaine de bobines 16mm.
On peut regretter les mouvements de recadrage intempestifs sur les images fixes ou les conteurs filmés dans le bureau de Fuller, mais l'ensemble donne furieusement envie de revoir J'ai vécu l'enfer de Corée (The Steel Helmet), Violence à Park Row (Park Row), Le Port de la drogue (Pickup on South Street), La Maison de bambou (House of Bamboo), Le Jugement des flèches (Run of the Arrow), Quarante tueurs (Forty Guns), Ordres secrets aux espions nazis (Verboten), Shock Corridor, Police spéciale (The Naked Kiss), Au-delà de la gloire (The Big Red One), Dressé pour tuer (White Dog), etc. En bonus, le court-métrage inédit, Dogface (1959), pilote d'une série, rappelle l'attention que Fuller portait aux animaux (White Dog, les poulets de Chillers: The Day of Reckoning, le pigeon de Beethoven Strasse, les chevaux...), sorte d'anthropomorphisme renversé interrogeant nos manières de vivre. Ses débuts à New York focalisent sur les émeutes sociales et l'on comprend son attachement viscéral à "la démocratie", fustigeant le racisme et l'intolérance. A Fuller Life montre une vie bien remplie, un engagement absolu pour son art et le désir irrépressible d'informer le public.
En cliquant sur Lire la suite, vous retrouverez mon article sur son autobiographie que j'aurais pu écrire à propos du film de sa fille, d'autant que Samuel Fuller est l'un de mes cinéastes favoris...
→ Samantha Fuller, A Fuller Life, DVD / Blu-Ray Carlotta, 20€, à paraître le 3 janvier 2018
→ Rétrospective intégrale Samuel Fuller à la Cinémathèque Française du 3 janvier au 15 février 2018
Voilà des lustres que je défends le travail de Samuel Fuller au risque de me faire incendier comme pour l'œuvre de Jean Cocteau ou ma collaboration avec Michel Houellebecq autour de ses poèmes. Les malentendus sont légion. On répète trop souvent ce qui se dit communément sans vérifier sur pièces. Ici l'erreur est à imputer à Georges Sadoul qui, dans son Dictionnaire des cinéastes de 1965, traite le cinéaste d'anticommuniste, raciste et militariste. Mauvaise lecture d'une œuvre qui est le contraire absolu de ce jugement à l'emporte-pièce. Si ses entretiens avec Jean Narboni et Noël Simsolo intitulés Il était une fois Samuel Fuller (Cahiers du Cinéma) avaient pu rectifier le tir, Un troisième visage, son autobiographie de 608 pages qui vient d'être traduite en français par Hélène Zylberait (ed. Allia), avec préface de Martin Scorsese, dissipe définitivement tout malentendu. Rarement un cinéaste américain se sera engagé avec une telle constance dans sa dénonciation de la guerre, de la violence, du racisme, du machisme et de la folie des hommes... Godard, Truffaut, Moullet, Brookes, Cassavetes, Wenders, Gitaï, Comolli et bien d'autres ne s'y étaient pas trompés.
Conteur exceptionnel et prolifique, Fuller fait le récit de sa vie avec le même punch, direct et crochet, que pour ses films, de Violences à Park Row à The Big Red One (Au-delà de la gloire) en passant par Pick Up on South Street (Le port de la drogue), House of Bamboo, Run of the Arrow (Le jugement des flèches), Forty Guns (Quarante tueurs), Underworld USA (Les bas-fonds new-yorkais), Shock Corridor, The Naked Kiss (Police spéciale), etc. Mais, en apôtre naïf de la vérité, il raconte son histoire au crépuscule de sa vie en tentant de présenter l'impossible troisième visage, celui que même les proches ne peuvent distinguer chez chacun d'entre nous. Issu d'un milieu modeste il construit son rêve par étapes avec une rigueur incroyable, d'abord grouillot puis journaliste, scénariste puis réalisateur, enfin producteur de ses films, s'appuyant sur son expérience et ses aventures pour rédiger des dizaines de scénarios, tournés ou pas, dans l'univers du crime, sur les champs de bataille ou dans la marathon que lui impose une profession qui n'épargne personne. Car, comme les plus grands, Stroheim, Renoir, Welles, Cassavetes, et presque tous les cinéastes en fait, son parcours est semé d'obstacles, d'arnaques et d'humiliations que son volontarisme l'aidera chaque fois à surmonter, jusqu'à sa mort en 1997.
Né en 1912 il évoque le New York des années 20 avec la même acuité que la seconde guerre mondiale qu'il a vécue aux premières loges, du débarquement en Afrique du Nord à la libération du camp de concentration de Falkenau qu'il filme avec sa petite caméra 16mm Bell & Howell. Le portrait acerbe qu'il dessine d'Hollywood est aussi passionnant que sa vision de Paris où il vivra une quinzaine d'années sur la fin de sa vie. Le livre montre un homme intègre qui se bat contre des producteurs parfois indélicats, qui souvent donne leur premier grand rôle à des acteurs inconnus, qui dénonce l'arrogance des riches et fantasme la démocratie comme nombre d'humanistes. On se souvient de son improvisation dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, lorsque Belmondo lui demande ce qu'est le cinéma et qu'il répond : "Un film est comme un champ de bataille. Amour. Haine. Action. Violence. En un mot, émotion." Son autobiographie, dictée à sa femme Christa Lang, se lit comme un roman qu'il est impossible de lâcher avant de l'avoir terminé.
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