mercredi 7 mars 2018
Le Dharma sans rides
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 7 mars 2018 à 00:00 :: Musique
Les albums du Dharma, que Le Souffle Continu vient de rééditer en vinyle, ont le mérite de réfléchir une époque, sans nostalgie. Réécouter les 4 à la suite dresse un portrait musical des jazz du début des années 70 dans toute la diversité des influences que le vent du large soufflait sur l'Hexagone. Si les références sont évidentes, les musiciens du Dharma surent les cuisiner à leur sauce en les saupoudrant des épices post-68, posant au fur et à mesure les bases des nouvelles traditions européennes. Chaque album se situe dans un cadre particulier où les structures préétablies aménagent suffisamment d'espace aux improvisations collectives. Ces compositions instantanées caractérisent ce qu'on a ici coutume d'appeler le jazz par rapport au rock où seuls les solistes peuvent dérouler leur fil d'Ariane. À notre propre époque inondée de revivals, le Dharma n'est pas vraiment daté parce qu'il s'approprie les codes avant qu'ils ne deviennent des dogmes.
Mr Robinson sonne fondamentalement américain. Rien de surprenant, car c'est au Centre Américain situé boulevard Raspail, là où se dresse aujourd'hui la Fondation Cartier, alors quartier général de tous les musiciens noirs américains exilés à Paris, que se rencontrèrent le pianiste chilien Patricio Villaroel et le batteur Jacques Mahieux. Celui-ci jouait déjà avec les souffleurs Jef Sicard (alto, ténor, flûte, clarinette basse) et Gérard Coppéré (ténor, soprano), et le contrebassiste Michel Gladieux. Le Dharma était né. Posé et enthousiaste, mélodique et charpenté, il soigne les ambiances rubato avec des soli de flûte et de sax lorgnant du côté de la côte est des États Unis où Miles Davis et Charlie Mingus ont révolutionné le jazz que l'Art Ensemble of Chicago vient déjà bouleverser...
Pour l'album en trio piano/basse/batterie intitulé Snoopy's Time, Villaroel compose de plus en plus et devient électrique à l'instar des claviers saturés de Miles. Avec l'arrivée du guitariste Gérard Marais, le quintet se tinte parfois d'une couleur rock. En France, sous influence Soft Machine, ce qu'on appela un temps jazz-rock devient le rock progressif. Les groupes anglais ayant des difficultés à se faire entendre chez eux traversent la Manche. End Starting s'éloigne des modèles américains pour s'inventer de nouvelles perspectives où free jazz signifie avant tout que l'inspiration se libère. Le Dharma n'en perd pas pour autant son accent français. En 1973, Archipel, le quatrième album, troisième en quintet, possède une signature collective. En même temps que d'autres groupes, il ouvre la voie aux expérimentations, tendance que l'on retrouve actuellement à se dégager des cadres anglo-saxons en assumant l'héritage des musiques savantes et populaires dans un melting pot sans distinction de style, ou, devrais-je dire, un pot-au-feu des plus alléchants. Trois ans plus tard, ils accompagneront la chanteuse révolutionnaire Colette Magny sur Visage-Village (rien à voir avec le récent film quasi homonyme de JR et Varda !) avec l'accordéoniste Lino Leonardini, Jean Querlier remplaçant Sicard, et François Méchali remplaçant Gladieux. Et s'il est une chanteuse dont on devrait ressortir tous les disques, c'est bien Colette Magny ! Mais aujourd'hui c'est au Dharma de bénéficier de cette remarquable réédition.
→ Dharma Quintet, Mr Robinson (1970), LP Souffle Continu, 21€
→ Dharma Trio, Snoopy's Time (1970), LP Souffle Continu, 21€
→ Dharma Quintet, End Starting (1971), LP Souffle Continu, 21€
→ Dharma Quintet, Archipel (1973), LP Souffle Continu, 21€
→ Le bundle des 4 vinyles, 75€