Pour évoquer FluxTune je reprends un article du 29 septembre 2005 qui ne figurait pas à l'origine dans Le son sur l'image, puisqu'il fut écrit juste après le work in progress inédit que je publie ici en épisodes depuis quelque temps :

Journées enthousiasmantes à régler la nouvelle boîte à musique réalisée avec Frédéric Durieu. Je commence chaque matinée, de très bonne heure, en découvrant la version que Fred a améliorée la veille. Nous en sommes à la v62 et il reste encore beaucoup de travail, mais ça a trouvé sa forme.
L'Xtra Fluid d'Antoine Schmitt est une bénédiction pour les bien entendants. Macromedia Director n'a jamais été très concerné par ce qui passe par le conduit auditif, ne parlons pas de Flash qui nous fait revenir à une époque que je n'ai pas connue tant c'est rudimentaire et compliqué (pour pas grand chose !). La FluidXTra renferme à la fois un sampler et un séquencer. Elle nous permet de jouer sur un nombre de pistes illimité, d'assigner une réverbération générale ; il y a aussi un chorus, un oscillo basse fréquence, un filtre, un pitchbend, une horloge stable, etc., le tout programmable dans Director. Antoine a développé son Xtra en Open Source à partir du fluidsynth de Peter Hanappe. On ne pourra plus s'en passer.

FluxTune, prononcer fleuxtioune, est une forme adulte et très poussée de La Pâte à Son. On dessine des circuits sur une trame simple mais dont les ramifications sont complexes, d'ailleurs tout ici est simple d'accès mais d'un potentiel énorme donc complexe. Sur le parcours, on place des émetteurs et des instruments (j'en ai samplé 32 sur une octave, certains courent sur plus comme le piano sur 5 octaves avec 2 banques différentes selon le volume, tous sont transposables au delà du raisonnable, vers le haut comme vers le bas). Les notes s'échappent des émetteurs et se dispersent au gré des aiguillages, se rassemblent ou s'évaporent à l'extérieur du dessin. D'une mélodie hyper basique, on peut construire une polyphonie extrêmement fournie. Fred n'arrête pas d'ajouter de nouveaux réglages à l'interface, nous tentons de ne conserver que ceux que nous jugeons adéquats avec la philosophie de notre machine à musique : tempo, pitch, réverbération pour le réglage général ; diviseur et multiplicateur de tempo, densité, ordre et élisions aléatoires, nombre de pas de la mélodie programmable, durée et arrêt des émissions pour chaque émetteur ; volume avec option aléatoire, octave, envoi vers la réverbe pour chaque instrument ; deux autres outils programmables, un sens unique et un double réflecteur, complètent une liste qui n'est pas terminée, je pense que Fred va d'ailleurs bientôt rajouter un filtre par instrument ;-)

Suivre les particules sur le circuit est vertigineusement hypnotique. Le mode plein écran offre un très joli spectacle de feu d'artifices synchronisé avec la musique d'où l'interface a disparu. Jusqu'à hier, la musique était de type répétitif, variations quasi infinies, mais depuis ce matin nous avons implémenté la possibilité de démarrer ou arrêter cycliquement chaque émetteur. On aborde ainsi le couplet/refrain aussi bien que les tuilages progressifs. Presque tout ce qu'on tente avec FluxTune sonne bien, c'est très encourageant d'entendre des musiques aussi variées, nous sommes impatients d'entendre ce qu'en feront les futurs utilisateurs, mais avant cela, il faut terminer le moteur, le graphisme et décider ce qui sera offert avec la version gratuite et ce qui sera vendu, et puis comment et combien... Pour une fois qu'on tient un(e) machin(e) sur Internet qui peut rapporter des sous ! On pourrait même vendre la technologie développée pour FluxTune pour dessiner des signatures, des mots, des noms, en les rendant musicaux et animés... (en fait FluxTune restera expérimental, je m'en servirai seulement en concert ou lors de workshops) Je n'aurais qu'à fabriquer l'orchestre qui convient au propos. Pour FluxTune, j'ai programmé une large palette qui va de choses basiques comme le piano, l'orgue, la basse ou la percussion à des timbres plus riches et personnels. Nous avons ajouté la voix d'Elsa, c'est très joli...


Le 10 janvier 2009 j'ai annoncé les extraits vidéo de FluxTune que Frédéric Durieu avait figés pour YouTube :

Fred a récemment mis en ligne des enregistrements réalisés avec FluxTune, notre nouvel instrument virtuel qui attend depuis quatre ans que nous lui trouvions des conditions satisfaisantes pour le rendre public. Fred a commencé par placer Rave Party sur YouTube, emballement de percussions sur rythmique techno dont j'ai réalisé les sons avec mon Ensoniq VFX-SD en cherchant à retrouver les effets produits par alternance rapide de plusieurs programmes. C'est souvent en cherchant à reproduire un geste musical que j'invente des timbres et des modes de jeu. Les deux autres exemples, ComeBack et Aubade, sont réalisés à partir d'échantillons de piano sur cinq octaves et deux couches de timbres...


Depuis son château du sud de la France, Fred a programmé les algorithmes, secondé par Kristine Malden qui a apporté sa patte graphique tandis qu'à Paris je tentais de rendre mélodieuses nos élucubrations qui dans les premiers temps d'expérimentation n'avaient rien de très musical ! J'ai raconté comme il fut passionnant de devoir exprimer en mots ce dont je rêvais en termes musicaux à un mathématicien sans aucune compétence musicale et dont les algorithmes m'échappent au point que je les conçoive comme des équations poétiques ! Empiriquement nous nous sommes progressivement approchés de ce que nous imaginions l'un et l'autre au début du projet. Il reste encore quelques ajustements à faire. J'ai demandé par exemple à Fred qu'il soit possible de contrôler des instruments midi depuis FluxTune plutôt que de devoir se cantonner à ceux que j'ai échantillonnés note à note. Du sien, il affine l'interface et la présentation graphique. Nous continuons à avancer doucement, lorgnant une opportunité pour conclure, comme un nouveau début !



En 2011 je présentai encore FluxTune. C'est terriblement dommage qu'aucune version ne soit plus jouable sur Internet... Nous avions l'habitude d'en offrir des copies contre la promesse de nous renvoyer les créations réalisées... Je tente là de livrer une petite idée du potentiel énorme de notre système de composition / interprétation.


Vous avez ici accès au mode d'emploi de notre machine diabolique et Fred possède certainement ses lignes de code écrites en langage Lingo. Comme tout ce que nous avons créé de 1995 à 2005 environ, pas seulement nous, mais des centaines d'artistes emballés par les possibilités de l'informatique, FluxTune s'est évanoui dans les limbes du temps. Les pouvoirs publics, soit en France le Ministère de la Culture, comme les fabricants de matériel et de logiciels ont sacrifié cet immense patrimoine sur l'autel du profit. À leur suite il est probable que notre époque marquera un trou de mémoire total dans l'Histoire de l'humanité, s'il reste encore quelqu'un un jour pour s'interroger...

Précédents chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2 / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma ! 1 / 2
IV. L'auteur multimédia : L'auteur multimédia / Carton / Machiavel / Alphabet, la poésie interactive / LeCielEstBleu, du Zoo à... / LeCielEstBleu, La Pâte à Son / FluxTune

À suivre :
Flying Puppet, le WWW en peinture / Somnambules / Les Portes, vers de nouvelles interfaces...