Nombres écarlates d'Anne-Sarah Le Meur
Par Jean-Jacques Birgé, lundi 20 janvier 2020 à 06:37 :: Humeurs & opinions :: #4333 :: rss
Des étendards flottent le long des rues de Maisons-Laffitte pour annoncer l'exposition Nombres écarlates d'Anne-Sarah Le Meur où est projeté le film du spectacle Melting Rust que nous avons créé ensemble l'été dernier à Victoria en Transylvanie. C'est loin d'être le clou de cette présentation monographique où sont rassemblés petits et très grands formats, installation interactive, triptyque vidéo, films sonorisés, tapis et kakémonos. Dès l'entrée de l'Ancienne Église du château nous marchons sur un linoléum où sont imprimés cinq grands tirages...
Pour cette circonstance exceptionnelle, l'artiste, qui d'habitude déteste être prise en photo, pose devant un kakémono de 6,45 x 2,50 mètres accroché sous la voûte de bois. Pour quelqu'un qui aime les couleurs, je suis comblé. Or ses images ne sont constituées que de 0 et de 1. Mathématicienne de formation, Anne-Sarah passe des heures devant son ordinateur à générer des images planes avec une application 3D, manière de jouer avec la lumière et sa profondeur. En choisissant des nombres négatifs, elle crée même des trous noirs d'où jaillissent ces nuances qui vont de l'obscurité à la plus grande vivacité. Je ne peux m'empêcher de penser à James Turrell dont la gigantesque rétrospective The Other Horizon à Vienne en Autriche il y a vingt ans m'avait bouleversé...
Pour saisir l'émotion produite par ces images arrêtées ou par leurs mouvements incessants, car toutes sont d'abord des processus évolutifs programmés avec un degré d'incertitude calculé, il faut les voir en grand. Comme les photos de films, les reproductions sur Internet sont aux tableaux de maître ce que sont les cartes postales vendues à la boutique des musées. Par contraste, ses natures mortes, plantes desséchées in situ, posent une fois de plus l'énigme du vivant et interrogent l'abstraction. Comme les poètes, la plasticienne tourne autour du centre plutôt qu'elle ne le vise. Ses tableaux se jouent des sinus et cosinus, mathématique qui, dans la Grèce Antique, était considérée comme un art. Les bords de ses œuvres trompent l'œil, ils ondulent. Les effets de bord de ses animations camouflent malicieusement les variations de vitesse de la réfraction.
Le parcours au milieu des œuvres coule de source parce qu'Anne-Sarah l'a imaginé spécialement pour le lieu, du long couloir de l'entrée à la salle suspendue où sont projetés les films en passant par un dédale propice à l'accrochage, des hauts murs de l'église à l'alcôve où est installé un grand cylindre, écran à 360° où sont projetées des images fugitives. Cette Outre-ronde est inspirée par Film de Samuel Beckett avec le vieux Buster Keaton fuyant la caméra. Elle se joue de la patience du spectateur-acteur interagissant, coiffé d'un casque, tandis que les spectateurs-observateurs deviennent parfois complices de la machine. Si Maisons-Laffitte peut sembler une autre galaxie, le voyage en vaut la chandelle qui n'a rien de standard. Ce n'est qu'à une heure de la ville-lumière !
→ Anne-Sarah Le Meur, Nombres écarlates, exposition à l'Ancienne Église de Maisons-Laffitte, jusqu'au 2 février 2020 (sauf le lundi).
Conférence samedi 25 février à 16h30. L'artiste est présente tous les week-ends.
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