Article du 25 décembre 2005

J'ai réussi à sauver des bandes historiques : Frank Zappa faisant le boeuf avec Pink Floyd, avec Captain Beefheart, avec Ainsley Dunbar Retaliation, avec les Blossom Toes, avec Caravan, avec Sam Apple Pie... Plus l'intégralité des concerts de Soft Machine, Ten Years After, Nice, Yes, etc.

Bonnes nouvelles pour Noël ! Suite à un mail d'Aymeric Leroy, j'ai eu la curiosité de replonger dans mes archives et de tenter de récupérer les bandes que j'avais enregistrées au Festival d'Amougies, le premier festival de musique européen qui s'était tenu en Belgique après son interdiction sur le territoire français. Au programme, tous les groupes cités plus haut, ainsi que Colosseum (je n'en ai gardé que leur Valentyne Suite), Freedom (Dirty Water), Alexis Korner, Cruciferius, We Free avec Guilain, le G.E.R.M. de Pierre Mariétan, les Pretty Things, East of Eden, Gong avec Daniel Laloux au tambour napoléonien, etc. Mais le choc fut pour moi la découverte du free jazz, dès le premier soir, avec l'Art Ensemble de Chicago, pastichant les rockers mieux que les modèles ! Il faut avoir vu et entendu Joseph Jarman entièrement nu à la guitare électrique... J'étais soufflé. Hélas, je n'ai pas enregistré Archie Shepp, Don Cherry, Anthony Braxton, Sunny Murray, Burton Greene, Joachim Kühn avec J-F Jenny-Clarke et Jacques Thollot, Alan Silva, Kenneth Terroade, Grachan Moncur III, Dave Burrell, John Surman, Robin Kenyatta, Franck Wright, Steve Lacy, etc. J'étais venu pour les groupes qu'alors on appelait pop, et bien entendu pour Zappa, mais j'ai déjà raconté cette première rencontre initiatique dans Jazz Magazine. C'est d'ailleurs cet article qui m'a valu le mail d'Aymeric Leroy, en quête d'informations sur Amougies, et sur d'éventuelles bandes magnétiques rapportées du froid...
Nous dormions sous le chapiteau, enmitouflés dans nos duvets, défoncés par la musique plus que par les joints, nous étions bercés par les orchestres du matin lorsque nous craquions de sommeil et sombrions dans les bras de (M)orphée. Le premier matin, c'est moi qui ai découvert le seul robinet d'eau froide où nous puissions nous débarbouiller, derrière le café-restaurant, si je me souviens bien. J'avais apporté le petit magnétophone de ma soeur Agnès, des bobines de 8 cm de diamètre tournant en 4,75 cm/s. Matériel très rudimentaire. J'étais limité par le nombre de piles et de bandes magnétiques, par la qualité du microphone. Depuis une vingtaine d'années, je n'ai plus pu réécouter tout cela à cause de cette vitesse rarement accessible sur mes gros magnétophones. Comme je venais de numériser les archives familiales de ma compagne qui remontaient aux années 50, j'ai tenté le coup. J'ai lu en 9,5cm/s les bandes enregistrées en quart de piste mono pour ensuite les transposer d'une octave vers le bas. Ça ralentit à la bonne vitesse et du même coup cela double la longueur de la durée. Ça a marché !
Sur mes fiches en carton, il est stipulé que le concert de Soft Machine dure 1h03'23" (pas de Zappa ici contrairement à certaines suppositions de blogs sur le net, mais première apparition des cuivres). J'étais déjà bien pinchecorné pour préciser la durée à ce point. Pas de coupure entre les morceaux, juste une petite vers la fin. C'est Mike Ratledge qui me donne l'idée d'ajouter toutes ces pédales sur mon orgue Farfisa. Je veux trouver mon son, j'ajoute un modulateur en anneau aux wah-wah et distorsions. La prestation de Pink Floyd est de 1h22'41" : accord, Astronomy Domine, Green is the colour et Careful with that axe Eugene, nouvel accord avec Zappa qui improvise une vingtaine de minutes sur Interstellar Overdrive, puis retour à Set the controls for the heart of the sun et A saucerful of secrets ! La foule scande Les frontières ont s'en fout avec Mouna. Zappa improvise avec Ainsley Dunbar Retaliation (6'42), il engagera ensuite le batteur dans les Mothers... Le concert de Ten Years After (48'50) est nettement supérieur à leurs disques. Je suis encore fasciné par la virtuosité et le liberté de l'orgue de Keith Emerson avec les Nice : Intermezzo from the Karelia Suite, Don Edito el Gruva, Country Pie (j'ai du mal à relire ma fiche), Bach's Brandburger Concerto n°6 in B Flat, Hang on to a dream, Tchaïkovsky's Pathetic Symphony, She belongs to me, Rondo'69... Zappa improvise avec les Blossom Toes (25'54) ; le G.E.R.M. du corniste Pierre Mariétan interprète la Keyboard Study n°2 de Terrry Riley et Initiative de Mariétan. Après un Place of my own, Zappa joue avec Caravan sur If I could do it all over again, I'd do it all over you (6'46), puis le groupe joue As I feel I die, And I wish I was stoned, Magic man, Reelin' Feelin' Squealin' (je relis mes fiches toujours), Where but for caravan would I, Get Up !. Il semble que j'ai effacé le concert des Pretty Things, je me crois me souvenir de leur batteur escaladant le mat du chapiteau en jouant. Même chose avec East of Eden. Zappa joue Moonlight man avec Sam Apple Pie, mais surtout je peux réécouter le concert de Captain Beefheart avec Frank Zappa ! 38 minutes 42 secondes de délire : Zappa joue au début sur She's too much for my mirror. Il présente le groupe en avertissant le public qu'il pourrait manquer quelque chose s'il n'y prenait garde, il arrose l'harmonica de Beefheart pendant que celui-ci joue. Break. Zappa : Captain Bullshit !. Van Vliet : That's a good name. Et ils reprennent. L'orchestre interprète My human gets me blues, Wild Life, Hobo Chang Ba, et les vingt minutes finales de When Big Joan sets up avec Zappa... J'ai déjà raconté comme j'enjambe les barrières et vais interroger F.Z. pendant trois quarts d'heure, ce qui entamera une suite de rencontres dans les années qui suivent, comment le Capitaine me traverse comme un ectoplasme... J'attendrai aussi trente ans pour aller voir Robert Wyatt à Louth pour Jazz Magazine...
Je n'ai plus enregistré de festival qu'une seule fois, il me reste à écouter Zappa et Ponty à Biot ! La qualité de toutes ces bandes laissent évidemment à désirer, mais la valeur d'archive est intacte, la musique se laisse écouter avec la plus grande émotion, elle est légalement inexploitable, dommage, certains tueraient, paraît-il, père et mère pour les avoir. J'ai peur. Je pars mettre tout ça dans un coffre-fort en haut d'une montagne gardée par des aigles cruels et sanguinaires. On en reparlera. Joyeux Noël à ceux qui me lisent et que j'ai fait rêver ;-)

L'arnaque
Article du 12 avril 2007


Lorsque j'ai donné à Urich21 les bandes que j'avais enregistrées à Amougies, je ne pensais pas que cela allait provoquer autant de foin sur les forums des fans de Pink Floyd et de Frank Zappa. Il semble que les morceaux mis en ligne par Urich21 aient été téléchargés des milliers de fois et fait couler beaucoup d'encre, pensez, Zappa improvisant Interstellar Overdrive avec Pink Floyd pendant vingt minutes ! C'est plutôt sympathique de partager ses trésors, pensai-je. Et puis hier matin, Urich21 m'écrit : "En rire ou en pleurer... Quand de vieilles cassettes se transforment en vinyles translucides et multicolores... et en dollars...". Je vais voir le lien qu'il m'indique et reconnais notre modeste contribution : astronomy domine / green is the colour / careful with that axe, eugene / tuning up with frank zappa / interstellar overdrive (zappa on guitar) // Pink Floyd Meets Frank Zappa - Limited to 1000 pieces - Yellow wax - Near Mint // Festival Actuel, Amougies (Belgique), 2ième Jour, 25 octobre 1969. Du tac au tac, je lui réponds : " En rire, définitivement ! Tout le monde n'a pas accès à Internet, le prix est décent, le travail graphique existant, le found footage fait des ravages chez les compositeurs, les sociétés d'auteur font leur boulot à l'envers, notre générosité continue à s'exprimer ailleurs, certains revendent leurs cadeaux, quoi d'autre ?" J'avais confondu le coût du port avec le prix du disque. Je croyais avoir lu 4 dollars lorsqu'il s'agissait d'une enchère mise à prix 100 dollars ! Nos louables intentions se transforment en arnaque de charognard. D'accord la présentation graphique est chic, mais il y a des gogos qui vont payer une fortune pour un concert que l'on trouve en libre accès sur le Net. La malversation est claire, le piratage honteux. Ce n'est évidemment pas le seul exemple, les propositions sont légion. Si la circulation des œuvres est au moins aussi importante que la défense des droits d'auteur, la vente de ces pépites (pour collectionneurs fanatiques qui ont déjà acheté tous les albums commercialisés et en veulent toujours plus) est inadmissible et relève de la malhonnêteté envers les artistes comme du public, jetant une ombre sur notre initiative.

Le fiasco d'Amougies
Article du 22 mars 2019 (extrait)



Br1tag a donc rassemblé des reportages tournés en 1969 sur le festival d'Amougies et sur les prestations de Zappa, Pink Floyd, Beefheart, Yes, The Nice et Colosseum, recyclant hélas les images en boucle pour accompagner la bande-son... Le livre sur Amougies reste donc à écrire (ce "donc" renvoie au reste de l'article que je n'ai pas recopié), tout comme l'irremplaçable film de Laperroussaz sortira peut-être un jour (l'ingénieur du son qui l'avait mixé n'était autre qu'Antoine Bonfanti !), d'autant que Pink Floyd a depuis publié une partie de son concert dans le récent luxueux coffret de 27 disques intitulé The Early Years 1965-1972...