Perspectives du XXIIe siècle tombe à pic au moment où le monde semble avoir basculé dans l'absurde. C'était à prévoir. Le système s'épuise. Ce n'est ni la première, ni la dernière manifestation du dérèglement dont nous sommes les auteurs. Comment retourner les évènements en notre faveur ? Transformer une dystopie en utopie ? Avons-nous d'autre choix ?
Aujourd'hui 19 juin, c'est le 19e article que je consacre à mon nouvel album, passant allègrement du projet initial au discours de la méthode, de l'enregistrement du disque à la réalisation des clips vidéo. Ce n'est pas terminé. Je vais continuer à vous bassiner avec ce drôle d'objet puisque s'ouvre maintenant la période "promo", d'autant que d'autres clips sont en cours de réalisation et qu'il y aura des prolongations, entre autres sous la forme d'un film à l'automne.
Malgré une centaine de disques à mon actif, c'est seulement le deuxième album physique "solo" après celui de mon Centenaire, il y a exactement deux ans. Après Birgé Gorgé Shiroc en 1975 (Défense de) et surtout Un Drame Musical Instantané qui aura duré 32 ans jusqu'en 2008, après n'avoir publié presque exclusivement que des albums virtuels sur drame.org depuis le début du nouveau siècle, j'avais décidé de recommencer à fabriquer des disques. En dehors des rééditions sur vinyle ou CD, et sur différents labels, étaient sortis sur le label GRRR mon duo avec Michel Houellebecq (Établissement d'un ciel d'alternance, 2007), le trio El Strøm (Long Time No Sea, 2017) et mon Centenaire (2018). On ne peut pas dire que j'inonde le marché, si ce n'est avec le laboratoire d'improvisation, mais cette collaboration avec une vingtaine d'improvisateurs/trices zélé/e/s est sans "commercial potential" puisque offerte gratuitement en écoute et téléchargement. J'ai néanmoins l'intention de produire un double album rassemblant une pièce phare de chaque rencontre.
J'évoque un disque "solo", mais de même qu'une quinzaine de musiciens/ciennes participaient à mon Centenaire, je suis cette fois épaulé par quatre musiciens exceptionnels, le corniste Nicolas Chedmail, le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, le violoniste Jean-François Vrod et le percussionniste Sylvain Lemêtre. Ma fille Elsa fait une petite apparition et dix-huit survivants de 2152 interviennent, chacun/e dans sa langue maternelle.
Survivants de de 2152 ? Si vous n'avez pas suivi cette drôle d'aventure, il s'agit d'une évocation musicale dans l'esprit des poèmes symphoniques chers à Hector Berlioz ou des Hörspiel pour lesquels les Français n'ont pas de terme comparable. Je résume : les survivants de la catastrophe qui ont élu campement sur les ruines du Musée d'Ethnologie de Genève (le MEG est accessoirement le producteur du CD !) y découvrent les archives sonores des AIMP (Archives Internationales de Musique Populaire) et en particulier le Fonds Constantin Brăiloiu et choisissent de s'en inspirer pour se reconstruire. Je vous renvoie au texte initial pour les détails. J'ai donc continué mon projet d'anticipation entamé sur les dernières pièces de mon Centenaire !


Je me suis ainsi approprié 31 archives de musiques dites traditionnelles enregistrées entre 1930 et 1950 auxquelles j'ai ajouté ma propre vision du futur. Il ne s'agit ni de remix, ni d'orchestration, ni même de recréation, mais d'une œuvre nouvelle obéissant à sa propre logique. J'ai transformé ces musiques, je l'espère, sans les trahir, orientant mon travail sur leur fonctionnalité plutôt que leur origine géographique ou historique, exactement comme Brăiloiu le concevait.
J'ai ensuite demandé à des artistes vidéo de procéder de même, soit de faire du neuf avec du vieux en choisissant chacun/e une ou plusieurs des 16 pièces du disque comme bande-son. Le résultat est au delà de mes espérances. Sonia Cruchon a réalisé Aksak Tripalium et Berceuse ionique, Nicolas Clauss Larmes de crocodile et Éternelle, Eric Vernhes De vallées en vallées, John Sanborn Ensemble Ratatam et d'autres suivront comme Les champs les plus beaux par Valéry Faidherbe ou L'Indésir par Sonia Cruchon.
Cette folle aventure n'aurait pas été possible sans la complicité de Madeleine Leclair, conservatrice du Département d'ethnomusicologie du MEG, responsable des Archives internationales de musique populaire (AIMP) et éditrice du label MEG-AIMP. Avec deux mois de retard, parenthèse partagée par tout le monde, et évitant l'embouteillage de la rentrée de septembre, ce tournant important de mon travail sort enfin !

→ Jean-Jacques Birgé, Perspectives du XXIIe siècle, cd MEG-AIMP, livret de 44 pages, dist. Word and Sound

Photo © Madeleine Leclair