jeudi 24 septembre 2020
Les Allumés du Jazz, plus politique que jamais
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 24 septembre 2020 à 00:21 :: Musique
En quittant la Gare de l'Est, j'ai commencé par l'Encyclopédie d'Albert Lory à la page 2 illustrée par Johan de Moor, Matthias Lehmann, Jeanne Puchol et Jop, mais j'ai eu beau m'appliquer pendant tout le voyage je n'avais pas terminé ma lecture du Journal des Allumés du Jazz en arrivant à Strasbourg. Cela donne une petite idée de la densité du contenu de cette "sacrée publication gratuite à la périodicité diablement aléatoire". On peut aussi soutenir cette initiative de l'association rassemblant une soixantaine de labels de disques indépendants si la politique criminelle dite "sanitaire" ne vous a pas mis sur la paille, parce que franchement je ne connais aucune revue musicale à nourrir autant l'intellect. Il est même possible de lire en ligne, mais il vous manquera le grand format bourré de petits dessins, l'odeur et le bruissement du papier.
Je ne peux qu'abonder dans le sens du communiqué revendiquant l'indépendance des petits producteurs, mon label GRRR fondé en 1975 ayant résisté à toutes les absurdités, faillites, démissions, fausses révolutions, pilonnages, etc. que les fossoyeurs vénaux ont semé sur notre route. Mes quelques disques sortis chez des majors ont disparu tandis que ceux que nous avons sortis nous-mêmes continuent leur petit bonhomme de chemin. Mohamed El Khebir rappelle les jours heureux du Conseil National de la Réistance. Stéphane Enjalran conte une victoire des salariés d'Amazon. Davu Seru et Léo Remke-Rochard évoquent les journées combustibles qu'ils ont vécues à Minneapolis autour du meurtre de George Floyd. Rémi Guirimand s'appuie sur John Dowland pour revendiquer l'espoir que ça change. Pierre Tenne souligne l'importance sociale et personnelle de la musique dans nos vies. Pablo Cueco reprend ses brèves de comptoir avec un humour inextinguible. JR et Pic proposent une bande dessinée virale sur l'influence la maladie en musique. Un musicien, Clément Janinet, et trois musiciennes, Claudia Solal, Sakina Abdou, Mirtha Pozzi répondent à des questions moins farfelues qu'elles en ont l'air, de manières aussi personnelles que leurs œuvres. Pierrick Hardy, compositeur-arrangeur-guitariste-clarinettiste (quand on est artiste il faut faire tous les genres, clamait Bourvil), s'entretient avec Jean Mestinard sur le partage que représente la musique. Et nous n'en sommes qu'à la moitié des grandes pages.
Eve Risser, Antonin Gerbal, Sébastien Béliah, Pierre-Antoine Badaroux et Joris Rühl expliquent à Jean-Brice Godet leur lien avec le label Umlaut. Pierre Tenne et Pablo Cueco reviennent sur les possibilités de la radio, sa complémentarité avec les disques. Jean Rochard fustige ceux qui se gargarisent du mot "création" pour mieux l'étouffer. Fabien Barontini souhaite en finir avec la rengaine de la rentabilité. Les Allumés s'enorgueillissent de la place des femmes dans le Journal, hum, là je me souviens qu'il a fallu faire un effort parce qu'au début, hum hum, mais bon, l'important c'est que tout le monde en soit conscient aujourd'hui ! Marie Soubestre réhabilite Hans Eisler et son humour. Vous avez compris que « Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique », comme l'écrivait Francis Marmande dans Le Monde diplomatique de décembre 2004 ! Passé et futur étant intimement liés (même et surtout dans le présent d'une "improvisation"), on ne s'étonnera pas de trouver un article de Guillaume Kosmicki sur le Théâtrophone de 1881. Un rébus, le catalogue des nouveautés, la chronique d'un livre de Jean-Marc Montera sur Derek Bailey (chez un éditeur indélicat), un hommage au contrebassiste Beb Guérin disparu il y a déjà 40 ans (en 1980, Rideau !, le deuxième vinyle d'Un Drame Musical Instantané lui était dédié), le 14e épisode de la BD Allumette fait des étincelles ! et la photo de Guy Le Querrec commentée par Philippe Laccarrière, terminent en fanfare ce trente-neuvième numéro.
Spécialité de la revue, les 28 pages noir et blanc sont illustrées par des dessinateurs de BD et de presse, cette fois Edith, Zou, Nathalie Ferlut, Thierry Alba, Gabriel Rebufello, Emre Orhun, Pic, Laurel, Andy Singer, Sylvie Fontaine, Cattaneo, Julien Mariolle, plus des photographies de Seitu Jones, Francis Azevedo, Gigantonium, Tatiana Chevalier, Blidz, Milomir Kovacevic, Gildas Boclé et l'incontournable Guy Le Querrec. Un fascicule en quadrichromie est glissé au milieu des feuilles noir & blanc ; intitulé Le CD a ses charmes, il répertorie 9 bonnes raisons de ne pas l'oublier agrémentées d'un texte éloquent d'Olivier Gasnier. Cette litanie d'auteurs ne m'encourage pas à rechercher les liens de chacun/e ; je vous laisse ce soin si votre curiosité est égale à la mienne...