Le dernier album du Kronos Quartet tombe à pic en cette période où le capitalisme n'a rien trouvé de mieux pour se régénérer que d'isoler les individus les uns des autres sous prétexte d'une pandémie qui n'est ni la première, ni hélas la dernière, et certes pas le plus meurtrier des fléaux qui s'abattent sur l'humanité et la planète. Sur le point de s'écrouler, le capitalisme international a choisi une manière habile de rebattre les cartes, laissant sur le carreau des dizaines, voire des centaines de millions de personnes, évidemment les plus pauvres. En choisissant les chansons de Pete Seeger, le violoniste David Harrington se réfère explicitement à l'incontournable best-seller d'Howard Zinn publié en 1980, Une histoire populaire des États-Unis. Sa vision alternative de l'histoire de son pays, loin des mythes des Pères fondateurs, rappelle que les fake news les plus énormes ont toujours été proférées par les États et non par les résistants qui pensent par eux-mêmes, s'élevant contre la Fabrique du consentement.
"S'il reste encore un monde dans un siècle, il sera sauvé par dix millions de petites choses. Le pouvoir peut briser n'importe qsuel gros truc. Ils peuvent le corrompre ou le coopter de l'intérieur, ou ils peuvent l'attaquer de l'extérieur. Mais que peuvent-ils contre dis millions de petites choses ? En briser deux ou trois, et trois autres jailliront !" (Pete Seeger)
Pionnier de la musique folk avec Woody Guthrie, Pete Seeger a toujours valorisé l'union et la solidarité pour lutter contre l'exploitation dont les travailleurs sont victimes. "Beaucoup de petites pierres ensemble construisent une arche, une toute seule pas grand chose... Des gouttes d'eau font tourner un moulin, une seule ne rime à rien." Et Zinn de répondre à Harrington que l'on peut tous changer le monde si l'on est nombreux et ensemble, ajoutant que les puissants craignent les musiciens et les artistes. Cette parole explique le saccage en règle dont ceux-ci sont les victimes en cas de putsch réactionnaire.
Je ne me souvenais pas que Seeger avait participé à l'élaboration de If I Had a Hammer (dont la traduction française avait gommé l'aspect subversif), Waist Deep in The Big Muddy (reprise en français par Graeme Alwright sous le titre Jusqu'à la ceinture), Kisses Sweeter Than Wine (sublime version de Nana Mouskouri dans une traduction de Boris Vian), Mbube (Wimoweh/The Lion Sleeps Tonight), l'hymne pacifiste Where Have All The Flowers Gone? (écrit avec Lee Hays)... Pete Seger a donc souvent repris des traditionnels qu'il a adaptés ou chantés comme We Shall Overcome, Jarama Valley, Anda Jaleo de Federico Garcia Lorca, Turn, Turn, Turn dont il a composé la musique sur des paroles issues du livre biblique de l'Ecclésiaste et repris par les Byrds... Avec Which Side Are You On?, The President Sang Amazing Grace, Raghupati Raghav Raja Ram, Garbage, Step By Step, le recueil constitue un hommage exceptionnel au musicien américain sur des arrangements très réussis de Jacob Garchik. L'empreinte entraînante du Kronos Quartet reste indélébile. À mi-parcours, dans la pièce de montage très radiophonique composée par Garchik, Storyteller, que j'apprécie particulièrement et pour cause, on entend Pete Seeger et l'ethnomusicologue Alan Lomax, et l'on reconnaît l'influence du producteur Hal Willner, récemment disparu, à qui le disque est dédié.
Le livret anglophone de 44 pages, qui reproduit les paroles des folk songs (portées par Sam Amidon, Maria Arnal, Brian Carpenter, Nikky Finney, Lee Knight, Meklit, Aoife O’Donovan et les écoliers des classes élémentaires de Francis Scott Key and Monroe à San Francisco) les resitue dans leur contexte politique, mais aussi musical, sans omettre l'apport de la musique classique que Seeger connaissait bien. Le Kronos a toujours soutenu les musiques traditionnelles et les compositeurs contemporains de tous les continents, créant un melting pot respectant les diverses cultures tout en se les appropriant

→ Kronos Quartet & Friends Celebrate Pete Seeger, Long Time Passing, CD Smithsonian Folkways Recordings